Les arguments contestables du patron de Renault sur la Formule 1
Les explications du directeur général du groupe Renault sur l’abandon du moteur conçu en interne ne cadrent pas avec les règles imposées actuellement par la discipline ni le fonctionnement de ses concurrents.
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Le moteur Renault en Formule 1, c’est bientôt fini. Le groupe au losange a récemment acté sa disparition à partir de la saison 2026 du championnat du monde, remplacé sous le capot des deux monoplaces de l’écurie Alpine par un groupe motopropulseur de Mercedes (qu’on trouve aussi chez les écuries clientes McLaren, Williams et Aston Martin avec un basculement vers Honda pour cette dernière écurie l’année prochaine).
Le groupe Renault a justifié cet abandon de la fabrication de son propre moteur par la nécessité de faire des économies, promettant de transformer l’usine de Viry-Châtillon où est actuellement fabriqué tout le groupe motopropulseur des monoplaces d’Alpine en « centre d’excellence » de tout le groupe sur le plan de l’ingénierie électrique notamment.
Des explications surprenantes devant les députés
Lors de son audition devant les députés le 4 février dernier dans une Commission des affaires économiques où il était invité à s’expliquer sur différents sujets, il a été interrogé sur l’avenir de l’usine de Viry-Châtillon et en a profité pour justifier l’abandon de ce moteur de F1 :
« L’histoire de Viry est très compliquée. Il faut savoir comment est construit le système de la Formule 1. Les gens qui font le châssis dépensent pour une saison environ 150 millions de dollars. Les gens qui font le moteur et le châssis dépensent 400 millions de dollars et tout l’argent de la Formule 1 ne va que dans le châssis et pas dans le moteur. Ça veut dire que Renault a dépensé pendant dix ans 250 millions de dollars par an de tous les concurrents comme McLaren qui ont un moteur Mercedes, Aston Martin et les autres. Moi je gère une entreprise cotée en bourse. C’est moi qui ai voulu installer Alpine en Formule 1 il y a quatre ans alors que le groupe voulait arrêter la F1. Mais je dois chercher des stratégies économiquement viables et celle que nous menions n’avait aucun sens. Désormais, nous transformons Viry dans un pôle d’avant-garde de l’ingénierie de Renault et je vous assure qu’on va le faire », a-t-il affirmé devant les députés de la commission des affaires économiques.
Or, les chiffres évoqués ne cadrent pas entièrement réglementation actuelle de la Formule 1, qui a introduit une limitation du budget pour développer les voitures à partir de la saison 2021 du championnat (justement pour réduire les coûts). Alors que les plus grosses écuries dépensaient effectivement plus d’un demi-milliard de dollars par saison (mais pas Renault dont il se dit que le budget annuel ne dépassait jamais 300 millions à la fin de la précédente décennie), elles n’avaient officiellement plus le droit de dépasser 145 millions de dollars en 2021 pour le développement du châssis. Pour la saison 2025 du championnat, ce sera même 135 millions de dollars à ne pas dépasser. Certes, la FIA prévoit de faire remonter cette limite à 215 millions de dollars en 2026 pour permettre aux écuries de financer correctement le développement technique d’autos dans le cadre d'un coûteux chngement de réglementation (et en incluant des postes de dépense précédemment libres). Luca de Meo évoque, à côte de ce budget châssis, environ 250 millions de dollars pour développer le moteur. Or le budget alloué au développement du moteur est aussi réglementé, les écuries motoristes ayant droit à 95 millions de dollars de dépenses annuelles au titre de ces dépenses moteur depuis 2023 d'après le réglement de la Formule 1 (qui montera à 130 millions de dollars pour la saison 2026 et sa révolution technique). Même en imaginant que les écuries font tout leur possible pour contourner ce « budget cap », le chiffre des 400 millions de dollars évoqués par Luca de Meo n’est pas précisé plus en détail et paraît énorme.
Quand bien même ces chiffres étaient vrais, Luca de Meo oublie de rappeler que l’économie des autres écuries d’usine fabriquant leur moteur (Mercedes, Ferrari et Red Bull-Honda avec des liens différents) parviennent à rentabiliser nettement mieux leur développement technique. D’après Sportico, Mercedes aurait engrangé des bénéfices de 680 millions en 2024 et même la toute petite équipe client Williams aurait généré 158 millions de dollars de recettes. Les motoristes vendent par ailleurs leurs groupes motopropulseurs aux écuries clients ce qui leur rapporte plusieurs dizaines de millions d'euros (mais Renault n'a plus de clients depuis que McLaren est retourné chez Mercedes).
Ces écuries ont aussi une valeur : 4,54 milliards d’euros pour Ferrari (le record) et tout de même 1,43 milliards de dollars pour Alpine, ce qui signifie que les dépenses engagées ne se font pas à pure perte. La gestion de l’écurie de Formule 1 du groupe Renault n’a visiblement pas été judicieuse ces dernières saisons (elle n’a d’ailleurs jamais réussi à se porter à la hauteur des autres écuries de constructeur depuis le retour de Renault au plus haut niveau en 2016), mais Luca de Meo n’aborde pas du tout ce problème dans sa justification officielle. Et l'activité de constructeur-motoriste de Formule 1, si elle relève bien d'une compétence extrêmement difficile à viabiliser, n'est pas forcément qu'une perte d'argent quand on voit la forme des concurrents d'Alpine.
Comme Williams, Sauber (pour quelques mois encore), Haas, Alpha Tauri, Aston Martin (jusqu'à la fin de la saison 2025) et McLaren, Alpine ne sera plus qu'une simple écurie client à partir de 2026 après avoir pesé de tout son poids sur l'histoire de la Formule 1 pendant des décennies. Certes, cette situation n'a pas empêché McLaren de devenir championne en 2024 après une longue traversée du désert...
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