Une idée géniale
Avant de raconter cette journée dantesque sur le plan météorologique, revenons sur la genèse du projet qui s'est déroulée dans un contexte très particulier. Après l'arrêt du programme 908, terriblement inattendu et traumatisant pour les gens de Peugeot Sport suivi de la division par 2 des effectifs (et non, aucun n'est parti chez Volkswagen en WRC), Bruno Famin, le nouveau patron de l'entité, s'est très rapidement attelé à la constitution d'un nouveau programme qui cadrait avec le budget désormais extrêmement réduit attribué à l'équipe. Très vite, l'idée d'un « one shot » sur la Course vers les nuages de Pikes Peak lui est venue en tête, un projet à la symbolique forte qu'il est allé défendre devant le tout nouveau patron Maxime Picat à l'automne 2012. La réponse – positive - a fusé dans l'instant et fin octobre, début novembre le retour de Peugeot sur les pentes de Pikes Peak était acté et dûment validé en interne. Le fameux Climbdance centré sur la 405 T16 d'Ari Vatanen aura une descendance.
S'ensuivirent 4 mois effrénés durant lesquels un petit commando d'une quinzaine d'ingénieurs et de mécaniciens a conçu et construit la 208 T16 Pikes Peak en puisant dans la banque d'organes de la maison. La 908 a donné beaucoup de ses éléments (trains roulants, aileron arrière, prise d'air notamment), le moteur est le V6 biturbo 3,2 l (un bloc utilisé à l'origine sur les 607 !) utilisé au début des années 2000 par l'équipe Pescarolo en Endurance mais avec une puissance désormais portée à 875 ch. La transmission se fait aux 4 roues, histoire de passer la cavalerie au sol puisque ce n'est pas le poids de la bête (875 kg) qui va aider à trouver le grip à basse vitesse (sur la course, on navigue souvent à 50 km/h) ! L'aéro serait particulièrement soignée puisque les vitesses atteignent environ 240 km/h (la v-max de la 208 T16 PP ne dépasse pas 250 km/h) et que le parcours totalement bitumé impose désormais de travailler ce domaine avec beaucoup d'attention. Pour ce qui est du look, ce sont les designers du centre de style Peugeot qui ont tant bien que mal tenté de donner à ce prototype aux dimensions assez compactes (4,5 m de long x 2 m de large x 1,30 m de haut) une allure de 208. Finalement, le résultat est spectaculaire avant même que l'auto ne démarre !
Red Bull amène Sébastien Loeb
Mais le plus étonnant est que toute cette période de conception s'est déroulée sans Sébastien Loeb qui n'a rejoint le programme que très tard. Ce n'est en effet que lorsque Total a mis en relation Peugeot et Red Bull que ce dernier a demandé au constructeur de Sochaux d'enrôler un de leur pilote, en l'occurrence Sébastien Loeb ! Le premier pilote choisi par Peugeot pour le début du développement devrait d'ailleurs désormais se retrouver lui aussi dans le Colorado le 30 juin prochain et devenir un des nombreux prétendants à la victoire. Pour l'Alsacien, l'opportunité lui a paru assez séduisante pour qu'il s'investisse dans cette opération alors même que son agenda était déjà très chargé.
Bien sûr, sur ce Pikes Peak 2013, Peugeot Sport véhicule moins l'image d'une armada quasi invincible et hyper préparée que lors de ces grandes heures en Rallye, Rallye raid ou en Endurance. Mais on sent l'enthousiasme, une volonté terrible et surtout on compte sur un magicien : Sébastien Loeb.
A vrai dire, le pilote a des interrogations. Il sait qu'il s'alignera lors des premières montées avec beaucoup moins de certitudes que ses concurrents. Dans notre interview vidéo, si l'inquiétude pointe, elle est le reflet de son perfectionnisme, celui qui lui a permis de devenir le champion que l'on connait. La victoire reste en tout cas en permanence dans le viseur.
S'il ne se sent pas plus ennuyé que ça par le paramètre physique de ce nouveau challenge (entre 2 800 et 4 300 m, le manque d'oxygène devient problématique mais comme d'habitude chez Loeb, on ne s'inquiète pas), il y a d'autres inconnues loin d'être balayées. Le parcours doit être connu par cœur pour espérer rivaliser avec les meilleurs qui ont pour certains bien plus de 10 participations à leur actif. La moindre erreur se payant cash, c'est en dévorant des caméras embarquées que l'Alsacien commence son apprentissage du tracé de 20 km. Le jour J, tout se joue sur une seule montée de 9 minutes sans que Loeb, comme tous les autres rookies, ne puisse effectuer auparavant une seule montée complète de repérages. Le système d'essais en vue de la course découpe le parcours total en 3 sections qui ne sont jamais parcourues dans la foulée. Sur ce plan, Loeb part avec le handicap de l'inexpérience commun à tous les débutants, un handicap qui a coûté la victoire à Dayraut il y a 2 ans et probablement à Dumas l'an dernier. Lorsqu'on ironise avec lui sur le fait qu'il va devoir apprendre le parcours seul sans l'aide de Daniel Elena, il s'amuse d'abord en disant qu'il est préférable de ne pas rouler lesté à Pikes Peak puis, plus sérieux, nous apprend que son « collègue de travail » habituel sera avec lui le premier week-end de reconnaissance pour l'aider à prendre des notes sur le tracé ! Ces montées de reconnaissance et d'essais qui précèdent la course seront d'autant plus importantes que l'Alsacien n'a effectué en tout et pour tout que 3 courtes sessions de roulage dans des conditions jamais idéales.
Un Rookie peut-il être favori ?
La première qui fut une prise de contact plus qu'autre chose a eu lieu sur le circuit étroit et bosselé de la Ferté-Vidame, la seconde à Andorre n'a pas eu lieu à cause de la neige et c'est finalement lundi que l'équipe est descendue sur le circuit Paul Ricard au milieu d'une journée track day classique afin que le pilote parvienne à cerner un minimum le potentiel d'adhérence énorme d'un prototype aux performances hallucinantes. Si les accélérations (0 à 100 km/h en 1,8 seconde) ont impressionné Loeb lors de ses premiers tours de roues, il s'y est finalement assez vite habitué et ce qui le tracasse aujourd'hui, c'est d'arriver à cerner cette limite d'adhérence (d'où le choix du Paul Ricard avec ses larges dégagements) extrêmement reculée. Le comportement marqué par un gros appui aéro se rapproche beaucoup de celui d'un proto du Mans sauf qu'ici, on roule sur une route de montagne entre sapin et ravin avec beaucoup plus de puissance sous le pied qu'au Mans. Tout ça sans disposer d'une visibilité rassurante. Bref, la confiance en la machine compte beaucoup et elle est loin d'être acquise à la sortie de cette dernière session d'essai trop courte. Loeb trouve l'auto toujours trop nerveuse alors que sa position de conduite (impossible à modifier) n'est selon lui pas idéale. Assis très bas, sur certaines crêtes, il avoue qu'il imagine plus qu'il ne voit la courbe qui se présente ! Lui en rigole … son flegme n'est définitivement pas une légende, on se demande bien ce qui peut impressionner ce gars !
Ces 2 journées d'essai sur le Mont Ventoux étaient les dernières (et quasiment les premières) avant que la voiture ne soit démontée, inspectée et remontée puis envoyée de l'autre côté de l'Atlantique pour les premières reconnaissances les 8 et 9 juin. Peugeot ainsi que Michelin qui a probablement conservé quelques datas après sa participation l'an dernier avec Romain Dumas devaient travailler sur les différents types de pneumatiques afin de déterminer la bonne composition pour la course. Sébastien Loeb et les ingénieurs de Peugeot Sport devaient tenter de leur côté de « calmer » l'auto dont les réactions trop nerveuses ne mettent pas totalement en confiance le pilote. Le programme était donc chargé et après la journée de mardi consacré en grande partie au tournage d'un film promotionnel pour Red Bull (avec la 405 T16 et sous un soleil de plomb !), le mercredi devait être une longue séance d'essais s'étendant de 8h à 18h. Problème, le brouillard puis la pluie et le froid et enfin un problème d'embrayage grillé suite à des manœuvres et des démarrages répétés pour faire demi tour avant le sommet sont venus contrecarrer les plans de l'équipe. Après quelques runs compliqués (et risqués puisqu'il n'y a pas de mulet) sur une petite portion très humide de la montée vers les 1900m du sommet du Ventoux en pneus semi-slicks puis carrément en pluie rainuré, l'équipe a commencé à plier bagages en début d'après midi sans pouvoir recueillir les données qu'elle attendait.
L'envie de croire
Autant dire qu'avec les adversaires qui se sont déclarés en catégorie Unlimited (Toyota en électrique, Dayraut, Dumas, Tajima, Millen et Pagenaud que Peugeot craint aussi car Honda n'a pas encore dit avec quoi le Français roulerait), gagner dès la première participation constituerait un véritable exploit. Si tout a été fait (voiture, partenaires et pilote) pour viser la première place, une analyse objective pousse à voir en premier lieu les nombreux écueils qui se dressent devant Peugeot Sport et Sébastien Loeb dans leur quête de lauriers. Mais le plus extraordinaire dans cette aventure bien plus humaine qu'il n'y parait, c'est que malgré tous ces aléas, tous ces murs à abattre, on continue à penser que l'exploit est possible. Une autre équipe, un autre pilote et personne n'y croirait plus mais ici, derrière eux, on veut décrocher, s'extraire du rationnel et se dire que le plus grand pilote de rallye de tous les temps peut gagner dans le Colorado à bord de cette 208 T16 très très spéciale. Qu'on ne s'y trompe pas, ils ne sont certainement pas les favoris mais la décontraction de Sébastien Loeb associée à la cohésion et l'envie extraordinaire d'une équipe de mécanos et d'ingénieurs de Peugeot Sport en pleine renaissance après la meurtrissure de l'arrêt du programme 908 font que l'on continue à croire (espérer ?) que le challenge est à portée malgré la concurrence, probablement la plus relevée de toute l'histoire de l'épreuve.
Il ne faut pas voir dans cet espoir un enthousiasme de fan, une croyance aveugle de supporter, car il faut aussi expliquer que les quelques runs effectués nous ont quand même permis de découvrir un engin terriblement impressionnant. Oublions les détonations à chaque passage de rapports et évoquons les accélérations sidérantes (0 à 200 en 4,8s et vitesse maxi atteinte en 7s) rendues possibles grâce à une motricité sans faille «digérant» un couple de 882 Nm situé assez bas dans les tours ( régime maxi 7800 tr/mn). Malgré ce que dit Sébastien Loeb, on constate une belle fluidité des passages qui s'effectuent à des vitesses déjà extrêmement rapides, tout cela conduit à penser que ce prototype possède une belle rigueur de comportement que seul un nonuple champion du monde des rallyes forcément perfectionniste veut encore affiner.
Que l'espoir de la victoire soit toujours vivant aujourd'hui est déjà en soi un premier succès. Et une invitation à les suivre pour partager l'aventure. Caradisiac suivra pour vous tous les préparatifs et se rendra dans le Colorado pour vous rendre compte de ce qui pourrait bien être un exploit extraordinaire de plus pour Sébastien Loeb.
Vous pouvez également suivre l'aventure sur le site King of the Peak > pikespeak.redbull.fr
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