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Quand Bugatti était sauvé par le rail

Voici 90 ans, en 1933, Bugatti se sauvait d’une faillite probable en inventant l’un des précurseurs du TGV : l’Autorail, un engin ferroviaire révolutionnaire qui battra une pléthore de records.

Quand Bugatti était sauvé par le rail

Nous traversons actuellement une période compliquée économiquement, mais ce n’est rien comparé à la crise de 1929. Des tripatouillages financiers à la bourse de New-York qui ont plongé le monde dans une récession terrifiante. Les barrières douanières, omniprésentes à l’époque, n’ont fait que ralentir l’expansion de l’effondrement économique, qui a touché la France au début des années 30, elle qui s’en est un temps crue immunisée. Bugatti en a fait les frais, voyant ses ventes baisser, alors même qu’il avait engagé des sommes énormes dans la conception de la Type 41 Royale.

La Type 41 Royale a été un échec cuisant pour Bugatti. Seuls six exemplaires seront fabriqués, dont ce roadster sans phares vendu à Armand Esders en 1932. Mais son moteur colossal (12,7 l !) aura une belle destinée ferroviaire.
La Type 41 Royale a été un échec cuisant pour Bugatti. Seuls six exemplaires seront fabriqués, dont ce roadster sans phares vendu à Armand Esders en 1932. Mais son moteur colossal (12,7 l !) aura une belle destinée ferroviaire.

Cette voiture de la démesure se destinait aux têtes couronnées et milliardaires, mais entre sa mise en conception et sa commercialisation, le monde avait changé ! Toutes les précommandes ont été annulées, et la firme de Molsheim s’est retrouvée avec sur les bras ces énormes voitures, dotées d’un 8-cylindres en ligne de 12,7 l conçu spécifiquement pour la Type 41. La faillite guette ! Que faire pour se refaire ?

En 1922, la Bugatti Type 32 surprend avec sa carrosserie monobloc qui lui vaudra le surnom de tank. Sa forme dictée par l'aérodynamique se retrouvera sur l'Autorail.
En 1922, la Bugatti Type 32 surprend avec sa carrosserie monobloc qui lui vaudra le surnom de tank. Sa forme dictée par l'aérodynamique se retrouvera sur l'Autorail.

A l’époque, la France bénéficie d’un réseau ferroviaire d’une incroyable densité, mais voilà, les trains, souvent très lents, commencent à être concurrencés par les autocars et les voitures individuelles. Raoul Dautry, Directeur Général de l'Administration des chemins de fer de l'État, se montre préoccupé de cet état de fait. De son côté, Ettore Bugatti, en chef d’entreprise avisé, comprend qu’il y a là un débouché potentiel pour le moteur de sa Royale.

Il imagine un véhicule sur rails associant les avantages du train et de la voiture pour accélérer le service ferré. Un Autorail, qui serait motorisé par l’énorme 8-cylindres. Ou plusieurs ! Dautry et Bugatti entrent en contact, le premier promettant au second de lui acheter son engin s’il répond à ses attentes. Les études débutent en 1932, et dès 1933, l’Autorail est prêt.

 

Un Autorail Bugatti commandé par Compagnie des chemins de fer de l'État, ici en 1933. Le machiniste se trouve dans le kiosque surplombant la carlingue. Photo : archives SNCF.
Un Autorail Bugatti commandé par Compagnie des chemins de fer de l'État, ici en 1933. Le machiniste se trouve dans le kiosque surplombant la carlingue. Photo : archives SNCF.

Bien plus léger qu’un train traditionnel, il se pare d’une carrosserie à l’aérodynamique soignée, inspirée apparemment de celle de la Bugatti Type 32 surnommée « le Tank » à cause de sa forme monobloc. Jean Bugatti (qui aurait fêté aujourd’hui même ses 114 ans) livre le premier exemplaire à la gare Saint-Lazare le 11 avril 1933, voici 80 ans donc, et dès les premiers tests, l’Autorail se montre rapide. 135 km/h.

Puis, lors d’essais intensifs d’homologation, il atteint 172 km/h. C’est alors le record de vitesse sur rail ! Cette rapidité, il la doit à non pas un mais quatre moteurs de Royale. Ce qui donne un total de 800 ch ! Il freine aussi très bien, et ses concepteurs ayant été pragmatiques, il dispose de plusieurs aménagements possibles.

La première classe dans l'Autorail Bugatti, vers 1933. Photo : Archives SNCF.
La première classe dans l'Autorail Bugatti, vers 1933. Photo : Archives SNCF.

L’Autorail Bugatti entre bien vite en service, sur le réseau de la Compagnie des chemins de fer de l'État entre Paris et Deauville en mai 1933. Il relie les deux villes en deux heures : inédit à l’époque. D’autres compagnies ferroviaires achètent l’Autorail, comme la PLM (Paris-Lyon-Marseille) qui en commande une version rallongée, pourvue d’une seconde voiture. Au total, ce véhicule de 35 tonnes seulement embarque 125 passagers et leurs bagages. La vitesse en service pouvant atteindre 140 km/h, cet Autorail relie Paris à Vichy en 3h50 dès 1934, puis Paris à Lyon en 4h45.

Cette année-là, Jean Bugatti emmène l’Autorail dans une autre dimension, atteignant la vitesse de 196 km/h. Encore un record ! Le succès de son train du futur se renforce, puisqu’il est acheté par le réseau AL (Alsace-Lorraine) desservant l’est de la France. Paris est ainsi relié à Strasbourg en 3h30. Cela représente une vitesse moyenne de 144 km/h, ce qui là encore, est un record pour une ligne commerciale.

Quand Bugatti était sauvé par le rail

Au fil des évolutions, l’Autorail Bugatti saura s’adapter aux usages demandés. Ainsi, en 1935, une version courte et économique en est proposée (à deux moteurs), puis en 1936, une variante Triple apparaît, elle au contraire plus grande (60 m de long pour 152 places) et rapide : c’est son apogée !

Mais, les années suivantes seront celles des malheurs pour Bugatti, entre le terrible accident où Ettore tue une jeune fille en traversant un village malgré une manoeuvre désespérée qui se solde par une sortie de route violente, et surtout, celui où Jean Bugatti trouve la mort le 11 août 1939, en voulant éviter un cycliste qui s’était aventuré sur la route pourtant fermée où il mettait au point une auto. Moins d’un mois après, la seconde guerre mondiale éclate…

Quand Bugatti était sauvé par le rail

L’Autorail a été un succès : quelque 88 exemplaires ont été fabriqués (soit plus de 350 moteurs), permettant à Bugatti de bien vivre durant les années 30. Les exemplaires n’ayant pas été détruits (sauf un) durant les hostilités, ils reprennent du service en 1945 et ne seront retirés qu’en 1958, leur exploitation étant devenue trop coûteuse. Aujourd’hui, un seul existe encore, préservé à la Cité du Train, à Mulhouse.

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