Le patron de Seat sera-t-il le héros de Renault ?
L’arrivée de l’Italien à la tête du Losange est imminente. Sur le papier, celui qui a, en partie, sauvé Fiat et Seat paraît le mieux désigné pour tenter de régler les problèmes de la première marque française. Mais le défi à relever est colossal et la suite de sa carrière à la tête de l’Alliance pourrait dépendre de sa réussite.
Ce n’est pas du foot, et Luca De Meo n’est pas Kilian M’Bappé. Pourtant, ce qui se trame ces jours-ci à Wolfsburg ressemble fort à un transfert de star du ballon rond. Car dans les bureaux du siège du groupe Volkswagen, Jean-Dominique Senard, président de l’Alliance Renault Nissan, négocie avec son homologue Herbert Diess, patron du groupe allemand, l’arrivée de Luca De Meo à la tête du Losange. C’est que ce dernier, comme la plupart des cadres dirigeants, supérieurs ou moyens, se voit affublé d’une clause de non-concurrence et c’est pour la lever, moyennant argent, que les deux patrons discutent, comme le feraient des agents de joueurs pour transférer leurs poulains du PSG au Real Madrid.
Italien et polyglotte
La somme en jeu ne devrait pas fuiter, mais, assemblée générale et rapport annuel obligent, on devrait connaître un jour ou l’autre le salaire de l’Italien à la tête de Renault, qui pourrait, du moins pour ses débuts, être moins élevé que sa rémunération allemande.
Car c’est une première historique : ce n’est pas un Français qui va diriger l’ex-Régie. Même le très mondialiste et voyageur Carlos Ghosn avait (entre autres) un passeport tricolore. De Meo, lui, est italien, ce qui ne l’empêche pas de parler couramment cinq langues, dont le français, avec un charmant accent transalpin. Mais ce n’est pas ce critère qui a guidé le choix de Jean-Dominique Senard, ni du gouvernement français, actionnaire de référence du losange. C’est plutôt le parcours du garçon.
En effet, l’homme est avant tout un as du marketing. Ce qui, en dehors de sa nationalité, est aussi un changement historique chez Renault. Maison d’ingénieurs ou de gestionnaires, puisque les précédents dirigeants étaient tous formés dans ces domaines, l’ex-Régie va pour la première fois tester le flair De Meo. Comme celui qui lui a valu sa première étoile, et la reconnaissance de ses pairs.
Nous sommes en 2006, et l’homme se voit confier le lancement de la Fiat 500, nouvelle version du mythe de la marque turinoise. L’engin, qui hérite de la base mécanique de la Panda, doit être positionné comme sa grande sœur : pas cher et pratique et à un prix légèrement inférieur. Normal pour une voiture moins habitable.
Mais De Meo tente un pari : faire de la nouvelle Fiat un objet de luxe, une auto premium sans une once de qualité du premium, mais avec un véritable style et des personnalisations infinies. Résultat : en entrée de gamme : la petite 500 est aujourd’hui vendue près de 13 000 euros, quand la « grande » Panda frôle à peine les 10 000 euros.
Le redresseur de Seat
Et le tour de passe-passe fonctionne à merveille. Douze ans plus tard, l’histoire lui a donné plus que raison : la mini-Fiat a sauvé la maison Fiat. Elle est même la seule auto rentable de la firme.
De Meo, lui, a été remercié par un cadeau empoisonné : Sergio Marchionne, le défunt PDG du groupe, lui a offert dans la foulée, en 2008, la direction d’Alfa Romeo avec un objectif : doubler ses ventes et les amener à 300 000 unités commercialisées chaque année. Un truc à la mesure du bonhomme. Mais il a vite senti que son boss facétieux lui tendait un piège, car pour redresser la marque, aucun budget supplémentaire ne lui était confié. Et le plan de nouveaux produits était aussi vide que la résidence surveillée de Carlos Ghosn au Japon. Vexé, il quitte l’Italie en 2009. Direction l’Allemagne et le groupe Volkswagen.
Il va faire ses armes à la direction des ventes d’Audi, rongeant son frein en attendant que son nouvel employeur lui confie une marque. C’est chose faite en 2014. De Meo se retrouve propulsé à la tête de Seat, l’animal espagnol blessé qui vit des heures sombres.
Quatre ans plus tard, la marque de Martorell renaît. Ses SUV Ateca et Arona ont relancé la machine. De Meo obtient de l’Allemagne l’accès aux dernières technologies du groupe, alors qu’auparavant, il fallait patienter des mois, voire des années pour que Seat en dispose. Et, comme il l’avait fait chez Fiat, en créant la marque Abarth, le nouveau patron sépare les sportives du reste de la gamme en lançant la marque Cupra. Une distinction dont il ne verra pas les résultats (fin 2020), puisqu’il est en train de boucler ses valises pour Boulogne-Billancourt.
Le challenge Renault
Le chantier qui l’attend en France n’est évidemment pas le plus simple. Car le groupe Renault, qui regroupe notamment le Losange, Dacia et Alpine, n’est pas des plus vaillants.
Alpine doit réduire ses cadences de production car les ventes s’essoufflent après deux ans d’un succès plutôt franco-français. Elle doit être relancée pour éviter que l’aventure de la berlinette ne vire au feu de paille.
Chez Dacia, la montée en gamme constatée sur le Duster notamment doit être savamment orchestrée, et le renouvellement du best-seller Sandero, prévu cette année, doit être bien mis en musique.
Mais le gros des travaux de De Meo va porter sur la marque Renault. Car l’ex-Régie fait face à un problème récurrent depuis des années : son incapacité à monter en gamme, sa difficulté à se dépêtrer des petites autos, sa spécialité, et à produire des grandes voitures, beaucoup plus rentables que la Clio, son absolu best-seller.
Car les tentatives de se frayer un chemin dans les SUV compacts, grands SUV ou berlines ne sont pas à franchement parler des réussites. La Talisman reste invisible sur les routes, les Kadjar et Koleos se font damer le pion par les Peugeot 3008 et 5008, et l’Espace, enfant naturel d’un monospace et d’un SUV, est en petite forme.
Lucas De Meo devra donc sortir de sa zone de confort - les petites autos généralistes - pour tenter de transformer Renault en le tirant vers le haut. C’est très certainement le challenge qui va lui être confié dès sa prise de fonction. Sa réussite, ou son échec, devrait conditionner la suite de sa carrière au sein de la galaxie Renault-Nissan. Car Jean-Dominique Senard, du haut de ses 65 ans, a prévenu son conseil d’administration dès son arrivée : il ne briguera qu’un seul mandat. Son successeur sera-t-il italien ? Il a trois ans pour convaincre, le temps de déployer une stratégie efficace pour que Renault ne devienne pas Fiat, en misant tout son outil industriel sur la seule Clio.
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