2. Essai - Kawasaki Versys 1000 : un Kawa pour tous les goûts
Lanzarote est une île surprenante. Volcanique, elle semble torturée, composée de champs noirs et de champs de bombes, de roches magmatiques tordues ou sculptées, plissées, déposées là par autant d’explosions et coulées ancestrales... Une île sauvage et pourtant domestiquée et façonnée par endroits par l’humain, qui la modèle avec respect. Avec douceur et passion. La Versys, c’est un peu cette image : une moto dont on ne saisit pas immédiatement les richesses, mais une moto avec un caractère de feu, aujourd’hui contrôlé par la main de l’homme ou de la femme. Elle est une moto avec laquelle il faut faire la route, aller plus loin que les préjugés et les simples apparences. La Versys 1000 SE encourage en tout cas à aller plus loin. Déjà pour sa capacité à mettre à l’aise niveau confort. Certes les jambes sont repliées plus que de coutume sur un trail, et le bras fort tendus, mais la posture épargne la fatigue au fil des kilomètres, notamment grâce au pare brise large et plutôt efficace pour le haut du corps. Certes, les turbulences se font sentir, mais on supporte aisément un rythme élevé. Le fessier, par contre, appréciera un peu de mobilité en selle, histoire de ne pas s’engourdir sur une assise résolument ferme.
Pour l’heure, les routes souvent rectilignes de la petite île nous conduisent entre de superbes maisons blanchies à la chaux jalonnant les plaines, tandis que de loin en loin l’on traverse une petite ville ou un village. Il y règne une ambiance particulière, prompte à la rêverie et à la poésie. En la parcourant, on se demande même si la seule chose qui soit parvenue à pousser sur cette terre en apparence stérile ce ne sont pas… des radars. Pire qu’en France ! Pas moyen de se sentir serein. Les limitations sont simple : 50 en agglo, et 90 sur route (ça existe encore!), soit un peu moins que ce que le premier rapport permet d’atteindre, ou encore ce que 3000 tr/min impliquent en 6ème, le 80 étant obtenu à 2500 tr/min, soit le régime auquel l’injection est la moins agréable. On ressent en effet en dessous de 4 000 tr/min quelques soubresauts de cette dernière. Pas de quoi nuire au confort cependant, ni à l’agrément moteur général. On évolue sereinement, au son doux de l’échappement.
En traversant le parc naturel de Timanfaya, limité à 60 km/h et surveillé par radar tronçon, on envisage même de passer le régulateur de vitesse, histoire de. Après cette petite phase quasi lunaire, une longue ligne droite encaissée s’offre à nous. Toujours en 6e, la reprise est douce dès les 30 km/h permis sur le seul ralenti moteur. Il tracte sans broncher, ce moteur , avant même que le régime moteur n’atteigne les 6000 tr/min. On est alors dans le régime vibratoire le plus important sur cette architecture, celui auquel le 4 cylindres franchit le palier de l’éveil. Jusqu’aux 8 500 tr/min auxquels on obtient les 120 chevaux revendiqués, on fait le plein de sensations, sentant qu’après 10 000 révolutions minutes, on entre franchement dans une zone de déclin menant à la rupture. La franche poussée, que seule la raison vient interrompre, a déjà permis de faire le plein d’adrénaline, sans vider le plein de la moto. Même à ce rythme, difficile en effet de dépasser les 6,2 l /100 km revendiqués par l’instrumentation. Quant aux performances, juger par vous-même : en 2e, on est à près plus de 120 lorsque le shift light et le rupteur ordonnent de passer la 3e. On n’envisagera la 4e qu’une fois l’allure autoroutière dépassée, sachant que la 5e pourra être obligatoire à près de 170 compteur… Mais déjà l'on ressent un mouvement de balourd dans la direction tant le train avant cherche un peu sa route : on perd en précision et le poids de la moto se rappelle à votre bon souvenir (on aurait préféré une carte postale, mais bon, on ne choisit pas toujours).
Assurément, le 1000 Kawa a la santé, même s’il n’abuse jamais de son énergie, et il n’hésite pas à le faire savoir. Jamais excessif avant les mi-régimes, il offre une plage d’exploitation très agréable pour les évolutions raisonnables, lentes ou urbaines. Seul le manque de sensations de reprise, essentiellement constaté sur les rapports supérieurs, est au choix source de frustration ou de satisfaction, selon l’environnement parcouru et le rythme souhaité. Sportif, donc, le moulin à Kawa, mais également civilisé, tout en ayant quelques « défauts » d’injection évitant la monotonie. Quant au shifter, rarement il aura su passer les rapports en douceur à la montée. La coupure est d’autant plus sensible que le régime moteur s’élève. Lors du passage standard des vitesses, on remarque également un petit manque de douceur au ressenti et l’obligation de gérer l’embrayage pour bénéficier d’un lissage bienvenu. Attachant, du coup, pour ce qu’il impose de bien le connaître pour en tirer le meilleur, tout en sachant que le reste de la moto est conçu de sorte à pouvoir aborder n’importe quel virage ou courbe à quel que rythme que ce soit.
En route vers le Ferry nous menant sur l’île suivante de Fuerte Ventura, nous nous demandons encore ce que donne la partie cycle dans le sinueux, fort peu représenté jusqu’à présent. 30 minutes et une belle traversée plus tard, nous voici à pied d’œuvre. Enfin à pneu d’œuvre, pour être plus précis. Et les Bridgestone spécifiques à la moto ne vont pas chômer ! Car pour ce qui est de prendre de l’angle, les occasions ne manquent pas dans le secteur. Après une petite pause, nous repartons dans le couchant, histoire de profiter un peu encore de la Versys 1000, décidément d’excellente constitution et de très bonne compagnie.
Une route improbable s’enfonce dans le ciel dégradé, jalonnée de « chapeaux chinois », véritables tremplins pour estomac bien accroché. La Versys est légère de l’avant, en un sens, de par sa géométrie. Sur ces montagnes russes espagnoles, l’avant décolle et pointe vers le petit croissant de lune pointant ses cornes: sans garde-fous aucun, nous n’avons conservé pour toute assistance que l’ABS et un cerveau bien calibré. Bientôt le ruban noir se fond dans le ciel, et dans cette nuit bien noire, tous les chameaux deviennent gris. Profitant du dispositif des LEDs éclairant les virages, on regrette alors la faible puissance des phares, à la portée peu différente de celle des feux de croisements, tout en appréciant la puissance du spectre. Le rythme de la virée nocturne comme celle du cœur redescendent de concert : il est temps d’aller se restaurer avant de dormir. 257 kg à emmener (plus le poids de la bagagerie), ça fait les bras !
S’il est possible de faire le tour de Fuerte Ventura en une demi-journée, le monde appartient dit-on à ceux qui se lèvent tôt. Ceux qui dorment un peu plus longtemps auront un prétexte pour rouler fort, rajouterions-nous volontiers. En emmenant la Versys 1000 sur les tracés tortueux accrochés à flanc de volcan, on savoure l’équilibre naturel de la moto, tout en appréciant le côté ludique prononcé de la partie cycle. Les suspensions électroniques s’adaptent au terrain, apportant un filtrage précieux et une rigueur de tout instant. Le train avant se place sans effort, et la trajectoire est maintenue sans forcer. Sous les décollages du moteur, on le sent s’alléger et tenter de rester en contact avec le bitume couleur ivoire, tout en facilitant encore plus le changement d’angle façon bûcheron. Des degrés (46 pour être précis), que l’on prend volontiers, avant de sentir l’ergot de repose-pieds venir très rarement lécher le sol. La garde nous est apparue excellente, y compris dans les lacets piégeux.
En 4e, nous avons enroulé et relancé, évolué en toute sportivité, profitant de la gnaque des rapports inférieurs lorsqu’il est impossible de prendre de l’élan. La motricité, même débarrassée d’assistance, est apparue de grande qualité, et la jonction poignée de gaz/pneu arrière précise en diable. Le mode Sport invite bien entendu à l’attaque, tandis que l’on évitera sur ces routes joueuses le mode 3 du contrôle de traction, trop intrusif, notamment sur l’angle. D’autant que le KTRC manque lui aussi de lissage de sa coupure. Une Versys 1000 est une moto au moteur vivant, qui apprécie la précision et s’accommode des béquilles électroniques, tout en livrant sont plein potentiel une fois qu’elles seront réduites au max ou annulées. De quoi offrir à la fois progression et marge, et ouvrir l’espace de son guidon à bien des typologies motardes.
Photos (48)
Sommaire
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération