La course de Pikes Peak est une épreuve physique. Pas seulement pour les pilotes, les journalistes aussi souffrent. Les heures de sommeil se comptent sur les doigts d’une main et le jour de course ne déroge pas à la règle avec une arrivée sur le site de départ imposée entre 2 et 3h du matin. Du coup, on a le temps de voir arriver tous les concurrents qui ne s’élanceront qu’à partir de 8 h 00 (motos) et normalement 9 h 30 pour les autos. Sauf que la pagaille qui règne sur la ligne de départ génère forcément des retards et que tout incident sur la course moto oblige à stopper les départs et à faire redescendre les pilotes en cours de montée (les motos partent toutes les 20s) qui redémarreront une fois l’incident terminé. Bref, dans ce contexte, personne ne sait vraiment quand il va réellement partir. Et comme la pluie est annoncée dans la matinée, plus le temps file et plus on stresse chez les concurrents Unlimited.
Les bruits de la forêt
Chez Peugeot Sport, on est là pour marquer les esprits et l’augure de la pluie ne satisfait personne même si Michelin a tout de suite préparé des slicks retaillés au cas où (et les a d’ailleurs cachés très vite interdisant même de prendre des photos des pneus !). Tous ne sont pas équipés ainsi et chez Jean-Philippe Dayraut, on avoue ne disposer que de pneus pluie et de slicks qui plus est en 250 contre 300 pour ses adversaires. Jean Philippe est toujours aussi dépité par l’écart et explique qu’il ne reviendra plus, d’une part parce que la voiture qui pèse quand même un peu plus d’une tonne fut conçue dans l’optique d’une course mixte et qu’elle ne peut pas viser la victoire face aux nouvelles autos mais aussi parce qu’il juge la course trop dangereuse. Il milite depuis l’an dernier pour que les organisateurs imposent des pneus de série afin de préserver le charme de la course et diminuer les vitesses de passage. Les premières vidéos embarquées de Sébastien Loeb montrent que cela va terriblement vite désormais, le pilote toulousain prédit d’ailleurs l’arrivée massive de barquettes typée Le Mans pour les années à venir en voyant les chronos que réalise Romain Dumas sur sa Norma de 450 ch. Le Toulousain ne s’amuse plus et mettra en vente sa voiture à la fin de la course, il estime qu’il lui manque un châssis plus léger et pas mal d’aéro, la Mini ne prenant qu’une seul fois le rupteur à 230 sur la montée quand Sébastien Loeb atteint les 240 km/h 3 fois sur les 20 km. Sébastien Loeb qui court avec Dayraut en Mitjet n'hésitera d'ailleurs pas à signer la voiture, elle aura encore plus de valeur désormais !
Chez Romain Dumas, la petite équipe vit toujours l’aventure dans la bonne humeur et s’amuse à prédire le chrono que pourraient faire Loeb et la 208. Si Dayraut pense carrément à un temps sous les 8mn, l’équipe de Dumas parle de 8’15, 8’20 tout comme Simon Pagenaud, en démonstration ici sur un Honda Odyssey de 530 ch et qui avoue par ailleurs qu’il reviendra l’an prochain pour gagner. Le Français qui se sent bien aux States ne vise pas la F1 avec le retour de Honda mais plutôt les 500 Miles d’Indianapolis. Clairement, Pikes Peak sera un objectif s’il n’y a pas de conflit avec son calendrier Indycar. Et comme il y a de grandes chances pour que cela se fasse avec un proto LMP1 du Mans, on se dit que si Peugeot établit un record, il pourrait ne pas durer aussi longtemps que prévu.
Durant ces longues heures qui précèdent le départ, dans un joyeux bazar typiquement américain, on a également appris que le soutien de Hyundai pour Rhys Millen ne serait pas reconduit et que son proto issu du championnat Sport Prototype Daytona en vigueur aux USA a été conçu par son équipe et seulement elle. Hyundai changeant de patron de la communication, c’est probablement la dernière fois que l’on voit l‘équipe du pilote néozélandais résidant aux USA sous les couleurs Hyundai. On comprend donc que son prototype aussi impressionnant soit-il n’est en rien l’œuvre d’un constructeur mais celui d’une petite équipe d’une dizaine de personnes. Comme pour ses concurrents directs en somme. Et pour finir, je veux tout de même préciser que l’homme de chez Peugeot le plus visible de cette matinée ne fut pas Sébastien Loeb caché dans le bus Red Bull jusqu’au départ mais Bruno Famin qui, comme un fan lambda de cette course, a parcouru en long et en large tout le paddock (dispersé dans la forêt au milieu des arbres et sans aucun plan précis) pour faire signer son poster de l’épreuve par tous les concurrents. L’homme est un vrai fan de la course et une fois le stress de l'épreuve passé on découvrira un tout autre Bruno Famin, rigolard et vanneur, monté sur ressort.
Et si on partait ?
Voilà il est 10.15, les voitures ne sont toujours pas sur la ligne de départ, c’est l’Amérique, la journée va être longue et la pluie ne semble pas vouloir ennuyer les concurrents… pour le moment. Le temps passe, le retard s'amplifie, le responsable de Météo France venu avec Peugeot Sport commence à annoncer l'arrivée de la pluie dans la demi-heure. Il est 11 h 05 et Sébastien Loeb arrive sur la ligne de départ visiblement anxieux en regardant le sommet qui commence à aimanter les nuages. Toutes les motos étant désormais parties, il réclame à Bruno Famin qu'on aille demander à la direction de course pourquoi le départ n'est pas encore annoncé. La tension monte. Derrière la 208, la Norma et l'équipe de Romain Dumas joue avec les nerfs de Peugeot Sport en faisant venir 4 pneus slicks rainurés. La 208 repose toujours sans roues sur ses chandelles. Robby Unser, le dernier vainqueur ici (en 1989) promène sa grande carcasse longiligne autour de la voiture.
À 11 h 15, cela semble se débloquer, les mécanos Peugeot sortent les pneus (des slicks) de leur couverture chauffante mais Bruno Famin intervient et crie de les remettre dans leur couverture tant que le pilote n'est pas à bord. Loeb arrive au pas de course et commence à s'installer dans sa 208, à peine est-il à bord que le moteur démarre et que le départ est annoncé. 11 h 30, les roues ont été montées, la voiture est prête à partir, Sébastien Loeb tire nerveusement sur ses harnais, les drapeaux verts s'agitent, le pilote enclenche la première et lâche les chevaux dans un rugissement entrecoupé par les déflagrations de chaque rapport engagé. S'ensuit alors un reflux massif des gens présents sur la ligne de départ en quête des chronos de l'obus qui vient de démarrer provoquant une clameur de surprise et d'admiration dans l'assistance.
Sur le premier secteur, Loeb est plus lent d'une seconde par rapport aux essais, on pense à un effet de la chaleur plus importante mais Bruno Famin parlera plus tard d'une route plus sale. Il n'empêche que l'on comprend que le pilote maîtrise depuis le début cette montée en reproduisant à chaque fois les mêmes chronos à quelques dixièmes près. L'attente n'est pas longue et le temps de 8'13''878 confirme les prédictions des adversaires (hormis Dayraut qui le voyait plus vite) et signe un record qui laisse les Américains sans voix. Voilà une attente (pour nous) de 8h qui se termine, Peugeot Sport a réussi son pari, Sébastien Loeb était bien l'homme de la situation, au-delà de toutes espérances.
C'est d'autant plus vrai que Romain Dumas, le seul à pouvoir tomber sous les 9 mn et qui attend son tour rencontre des problèmes de batteries sur la ligne de départ. Le starter tarde à lui passer les drapeaux verts, sa Norma cale une fois, deux fois, quatre fois, les mécanos cherchent à trouver le problème (un élément de la batterie cassé au final) mais c'est l'heure de partir, le pilote d'Alès fera 300 m avant que sa barquette s'éteigne pour le compte. Seul avantage pour Romain Dumas, il quittera les lieux bien avant que Sébastien Loeb ne redescende du sommet et aura peut-être pu anticiper son retour en France où il a effectué une séance d'essai dès mercredi à Magny-Cours.
8 mois de travail pour Peugeot Sport, 1 mois d'essais sur place, 5 heures d'attente avant le départ et 10 minutes d'intensité dramatique puis c'est fini, la tension retombe et la joie déride les visages des « patrons », Bruno Famin saute au rythme de la musique, Jean-Christophe Pallier est radieux, nous savions que Peugeot ne devait pas perdre, Bruno Famin avait avoué qu'une défaite n'arrangerait pas les choses au moment de revenir à Paris devant les pontes du groupe, maintenant toute cette tension est derrière, c'est libérateur. Pikes Peak, c'est un contraste permanent.
À la montée la plus rapide de l'histoire va succéder la redescente la plus longue car ce n'est que sur les coups de 18 h 00 que tous les concurrents bloqués au sommet (motard y compris qui sont partis dès 8 h 30 du matin) vont entreprendre le retour vers la ligne de départ. On sait depuis longtemps que Monster Tajima a profité de bonnes conditions de route pour signer un joli chrono en électrique, équivalent à celui du vainqueur du Time Attack, Paul Dallenbach, qui réussit l'exploit de signer sur la Hyundai Genesis vainqueur l'an passé le même chrono qu'il y a un an (9'46) lorsque Rhys Millen la pilotait. Mark Rennison sur son impressionnante Ford RS200 est le dernier du trio en 9'46'' qui ont bien failli faire chuter Jean-Philippe Dayraut (9'42'') de la troisième marche du podium final acquise à l'arraché après de nouveaux soucis de frein.
Pour finir sur le sujet de la course, on notera l'échec de Grégoire Blachon, le cinquième français, dans son Impreza Diesel qui signe une chrono en 14'50 alors que le camion de Mike Ryan (2000 ch) réussit un spectaculaire 93e chrono en 12'49, devant Simon Pagenaud en 12'54 sous la pluie avec son monospace Honda Odyssey. En moto, si le Corse Bruno Langlois réussit le 12e chrono en 10'21'' sur sa Ducati Multistrada, l'exploit est signé Carlin Dunne qui sur sa moto électrique Lightning décroche un 9eme temps en10'00''. En auto, il est probable que sans la pluie, les Mitsubishi électriques auraient pu aller plus vite que Tajima et probablement inquiéter Dayraut pour la troisième marche du podium. L'autre révolution est en marche.
L'erreur de conception de la 208 : il manque des vitres amovibles !
La redescente reste un grand moment de cette course puisque les concurrents sont accueillis sur tout le parcours par une haie d'honneur formée par tous les spectateurs que les pilotes « checkent » de la main gauche passée à travers la vitre ou l'arceau, un protocole habituel auquel ne souscrira pas Sébastien Loeb qui est assis au centre de sa voiture et qui ne dispose pas de vitres descendantes ou d'ouvertures lui permettant ce genre d'exercice. Dommage pour l'image quand tous les autres satisfont les spectateurs avec cette main tendue. La descente derrière un pace car trop lent a probablement eu raison de la batterie de la 208 qui s'immobilisera à quelques centaines de mètre de l'arrivée, c'est finalement toute l'équipe prévenue par Jean-Philippe Dayraut qui partira en courant sur le parcours pour aller chercher la voiture qui calera une nouvelle fois à une dizaine de mètres du départ. Un événement qui va donner lieu à une superbe image puisque Loeb va sortir de sa voiture et commencer à pousser avec l'aide de quelques gars. Puis, lorsque l'ensemble de l'équipe entassée dans un pick-up arrive du premier dépannage, Loeb rentrera à nouveau dans la 208 et c'est finalement l'intégralité des gars de Peugeot Sport qui va pousser les vainqueurs jusqu'au box sous une Marseillaise tonitruante crachée par le camion sono de Red Bull.
Alors que tout le monde pensait qu'après 6h d'attente à 4 300 m d'altitude dans le brouillard sous la pluie et la grêle, Sébastien Loeb serait passablement énervé et pressé d'en finir, on découvre un gars rayonnant, tout sourire et franchement heureux (et soulagé) d'avoir réussi ce « one shot » si stressant. Il avouera avoir maîtrisé tout le run sans faire de fautes et sans se faire peur une seule fois, laissera entendre que si un autre constructeur venait lui piquer son record, il ne serait pas contre l'idée de revenir et que, surtout, toute cette aventure restera longtemps gravée dans sa mémoire. Visiblement très très heureux, le nonuple champion du monde WRC et malgré tout rookie savoure cette victoire à Pikes Peak, une victoire sur lui même et sur le chrono donné par la simulation plus que sur des adversaires qui n'étaient de toute façon pas suffisamment outillés pour rivaliser techniquement avec la 208.
Jusqu'au bout, tout ce sera déroulé parfaitement pour l'équipe et le pilote qui doit encore sacrifier au rituel de la remise des prix et du podium alors que la grande majorité des journalistes désertent les lieux après 17 heures passées sur place, Séverine Loeb peut enfin retrouver son mari après avoir elle aussi attendue toute la journée, le 30 juin 2013 restera forcément une date importante pour eux, pour nous, pour tous.
Peugeot Sport et Sébastien Loeb étaient venus frapper un coup. Ils n'ont pas manqué la cible. 8'13''878 et nous y étions.
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