Voiture hybride : quand l’Europe pistonne, la Chine turbine…
Remplacer le moteur d’une hybride par une turbine, l’idée était élégante, mais hélas bien trop compliquée, impossible à mettre en œuvre. Pas pour les Chinois qui commencent à la produire en masse. Mais comment font-ils ?
Parmi la trentaine quotidienne de communiqués de presse, un titre a scotché mon attention : « La société qui a créé la supercar Techrules REN deviendra le premier producteur de masse au monde de micro-turbines à faible coût ».
Turbine ? Supercar ? Ces mots m’évoquent de lointains souvenirs d’une journée glaciale sur un lac gelé au fin fond de la Suède…
En 1992, jeune reporter, j’y découvre la Volvo ECC, une incroyable voiture qui innovait non seulement par son style annonçant la V60, mais surtout par sa motorisation.
L’idée était géniale, remplacer le moteur à pistons dont le rendement et la propreté –tous deux médiocres – dépendent du régime demandé par le conducteur, par une turbine tournant constamment à son régime optimal de sobriété et rechargeant, sans la moindre liaison aux roues, des batteries alimentant un moteur électrique. Lequel offre un bien meilleur rendement quel que soit son régime. En clair, il s’agit de produire une puissance modeste mais constante, charge à la partie électrique d’en fournir plus ou moins au conducteur selon son besoin.
Aujourd’hui, on appelle cela une hybride - ou plutôt une « hybride série » -, mais la Toyota Prius, première du nom, n’avait pas encore inauguré le terme. La vilaine petite quatre portes n’apparaîtra que cinq ans plus tard et en attendant, la berline scandinave semblait annoncer l’avenir sous sa superbe robe blanc nacré. Sa turbine pouvait s’adapter à n’importe quel carburant liquide ou gazeux, fossile ou renouvelable, et présentait un niveau de pollution si bas qu’elle pouvait se passer de catalyseur.
Mille chevaux aux roues avec une turbine de 107 chevaux
Hélas, en creusant un peu, on apprenait des ingénieurs qu’une telle turbine coûterait plus cher à produire qu’un moteur à pistons, imposerait une refonte de l’industrie, nécessiterait un entretien plus fréquent, un personnel plus qualifié et que bref, ce n’était pas pour demain.
Puis on n’en parla plus.
Jusqu’en 2010 où Jaguar fit sensation avec son concept-car C-X75 dont les deux petites turbines de 35 kilos reliées à une motorisation électrique offraient, disait-on, un rendement presque équivalent à celui d’un… diesel, la motorisation indéboulonnable de l’époque. Alors, quel intérêt ?
La supercar chinoise – la Techrules REN qu’évoque mon communiqué - est mieux tombée : juste après le scandale Volkswagen. J’ai le vague souvenir d’avoir aperçu ce bleu bolide au Salon de Genève 2017, sans m’attarder : les machins surmotorisés coûtant le prix d’un château pour déplacer deux tonnes presque aussi vite qu’une moto d’occasion à 3 000 euros ne m’ont jamais passionné.
J’aurais dû regarder de plus près. Mille et quelques chevaux avec six moteurs électriques (quatre derrière et deux devant) directement en prise sur les quatre roues et pour recharger ses batteries - c’est là que ça devient intéressant - une micro-turbine de… 80 kW, soit 107 chevaux.
On revient là au concept de puissance médiane de la Volvo ECC qui allait bien plus loin que le simple principe d’assistance électrique et de récupération d’énergie cinétique d’une hybride conventionnelle.
Poussant plus loin le concept de la suédoise, la chinoise part du principe qu’il ne sert à rien de s’encombrer d’une mécanique de 1000 chevaux dont la puissance ne s’exprime que très occasionnellement mais dont il faut assumer en permanence le poids et la cylindrée, et donc la consommation et la pollution. Mieux vaut confier la performance à des moteurs électriques largement dimensionnés avec, pour faire tampon, une batterie, ici de 20 kWh, rechargée en permanence (même à l’arrêt quand il n’y a pas de borne de recharge) par un générateur indépendant des roues. Résultat, 2,5 secondes sur le 0 à 100 km/h et 350 km/h en pointe pour les (brefs) moments de folie. Et à allure normale, une consommation de 4,5 l/100 km sur 1 800 kilomètres d’autonomie. Et même 0,18 l/100 selon le cycle d’homologation qui privilégie le roulage en pur électrique avec, ici, 150 km d’autonomie.
Vers la fin des hybrides à pistons ?
Aucune autorité indépendante n’a pu vérifier ces chiffres, mais cette voiture n’est pas qu’une image en 3D, elle roule vraiment et a effectué des tests en Grande-Bretagne. Un simple démonstrateur ? Certes mais la démonstration risque d’être cuisante…
Txr-S, l’entreprise qui a conçu la Techrules REN, commence à fabriquer en grande série sa turbine. Non seulement pour motoriser des voitures « hybrides série », mais aussi des drones, des bateaux, pour produire l’électricité de stations de charge mobiles ou fixes, et pour toutes sortes d’usages industriels, générateurs pour le chauffage ou le refroidissement. Une production de masse qui en abaissera le coût au point de la rendre compétitive face aux motorisations conventionnelles.
Car compétition, il y aura et sur le papier, cette technologie a tout pour envoyer nos hybrides à pistons au musée.
Plus compacte et légère à puissance égale que nos classiques moteurs à explosions (100 kg, périphériques et générateur compris), bien plus propre sans recours à un complexe système de dépollution, la turbine pékinoise innove surtout par son rendement annoncé comme 50 % supérieur à celui d’un moteur essence à puissance égale. Et cela grâce à deux inventions dûment brevetées, parmi cent-dix-neuf autres : des paliers de roulement pneumatiques à positionnement magnétique lui permettant de tourner à près de 100 000 tr/mn et un échangeur d’un nouveau genre permettant de récupérer les calories en sortie de tuyère.
On est très loin du vibrant et bruyant prolongateur d’autonomie bicylindre d’une BMW i3 qui pèse ses 140 kilos pour une vingtaine de kilowatts.
Une révolution semblable à celle du réacteur pour l’avion ?
Les Chinois ne sont pas seuls en lice. Aux Etats-Unis, Ian Wright, un des fondateurs de Tesla, a créé la société Wrightspeed dont la turbine Fulcrum recharge déjà les batteries de certains camions de l’entreprise de transports Fedex.
L’homme promet à l’automobile une révolution semblable à celle qu’a connue l’aviation avec l’avènement du réacteur.
De fait, l’hybride-série à turbine résout à la fois la question de la course à l’autonomie des batteries avec ce qu’elle implique d’alourdissement des véhicules et d’épuisement des ressources, et celle du rendement médiocre de l’hybride conventionnel, guère supérieur à celui du diesel.
Etrange époque qui nous ramène aux débuts de l’automobile, il y a 120 ans, quand rivalisaient voitures à pétrole, à vapeur et électriques.
La turbine fera-t-elle avorter le règne naissant de la voiture purement électrique ? Repoussera-t-elle l’avènement de la voiture à hydrogène ? Fonctionnera-t-elle au gaz, au pétrole ou aux carburants renouvelables ?
Et si finalement elle s’impose, l’Europe aura-t-elle sa part dans son développement et son industrialisation ? Txr-S promet ses turbines l’an prochain au marché européen… Après les batteries chinoises, la turbine chinoise ?
Notez que c’est en Chine que fut inventée vers l’an 1000 la « lampe du cheval au trot », ce mini-manège à aubes entraîné par la chaleur d’une lampe et qui en inventait le principe.
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