2. Sur la route en Lamborghini Revuelto, des torrents d’émotions et un seul obstacle

Quel dépaysement de ne rien entendre en appuyant sur le bouton Start / Stop caché sous le loquet rouge façon avion de chasse : la Revuelto se démarre par défaut en mode « Cita » 100% électrique. Elle offre alors des performances silencieuses de citadine électrique (genre Renault 5) avec un 0 à 100 km/h que nous avons mesuré en un peu moins de 9 secondes et peut fonctionner ainsi jusqu’à 135 km/h pendant une petite dizaine de kilomètres seulement. Et quand on la réveille tous les matins aux aurores pour aller s’amuser en Revuelto sur des routes vides, ce silence de démarrage permet réellement de ne pas provoquer de graves conflits de voisinage.

Car dès qu’on arrive à l’épuisement des batteries de 3,8 kWh (rechargeables via un câble de type 2 jusqu’à 7 kW de puissance en 30 minutes ou par le V12 lui-même en mode « groupe électrogène » pendant six minutes), le gros moteur thermique installé dans le dos se réveille en aboyant et là, tout le monde sursaute (même à l’intérieur de la voiture quand on ne l’attendait pas !). A condition de conserver le mode Strada, ce V12 s’oblige heureusement à un minimum de discrétion une fois monté en température, évoluant à des régimes bas en laissant sa boîte à double embrayage égrainer calmement ses huit rapports.
On touche d’ailleurs ici à la plus grosse amélioration dans la vie de tous les jours par rapport à l’Aventador : une transmission automatique à double embrayage enfin au niveau des meilleures boîtes du marché, qui ne vous secoue plus de manière ridicule en ville à chaque longue rupture de charge. Je note quand même un fonctionnement un peu plus brutal que sur les transmissions de chez Porsche, McLaren ou Ferrari avec de petits à-coups persistants quel que soit le mode. Pour rappeler qu’on roule dans la plus folle des Lamborghini ?
La phobie des dos d’âne
Au quotidien en tout cas, la Revuelto se conduit vraiment comme une authentique GT. Forte d’une direction assez légère, d’une pédale de frein à l’attaque douce et d’un amortissement piloté (de type « MagneRide ») faisant preuve d’une vraie souplesse en mode Strada, elle devient aussi plus pratique aux péages où sa structure en carbone mieux conçue n’oblige plus à systématiquement détacher sa ceinture de sécurité pour aller attraper le ticket à l’autre bout de la planète. Bien que son système hybride serve la performance plutôt que les économies d’énergie (elle n’échappe d’ailleurs pas au malus écologique français maximal de 70 000€ avec ses 276 g/km de CO2 !), la Revuelto abaisse aussi sa consommation en conduite tranquille : 15 litres aux 100 km en ville et même 11,2 litres à 130 km/h sur l’autoroute. Pas mal pour une supercar dotée d’un énorme V12, avouant 1 772 kg à sec et environ deux tonnes avec tous les pleins !

La seule kryptonite de cette Revuelto au quotidien se trouve au ras du sol : dès qu’un dos d’âne ou une crevasse se présente sous ses roues, on tremble. Certes, la voiture dispose d’un système de levage du train avant permettant de la rehausser de 4 centimètres en appuyant sur un bouton du volant. Mais même une fois levée, elle racle parfois sa lèvre de bouclier à cause de son interminable porte-à-faux avant, plus que l’Aventador et la plupart des autres super-sportives du marché. Et je vous assure que le bruit de la fibre de carbone qui frotte contre le bitume, ça fait mal au coeur. Dommage car il s’agit là du seul défaut de cette machine devenue véritablement vivable au quotidien (même au registre de la vision périphérique et des manœuvres, là où l’embrayage de l’Aventador chauffait vite en montée). Peut-être qu’il suffirait de quelques centimètres de levage en plus pour remédier à ce problème érectile ?
La Revuelto rend vraiment le monde plus beau
A cause d’une arrivée en France au cours de l’hiver dernier alors que la réglementation italienne imposait encore de disposer de pneus hiver, cette Revuelto bleue chaussait des Bridgestone Blizzak LM005 au moment de notre essai au départ de Cannes par une très chaude semaine de juin. Une vraie catastrophe puisque ce genre de gommes constitue une aberration totale sur de telles voitures : elles dégradent tellement le grip que même en hiver dans les conditions adaptées, comme j’avais pu le constater dans les Alpes avec une autre Revuelto en mars, il est impossible d’exploiter correctement les performances vertigineuses de ces machines. Alors autant dire que sur un bitume surchauffé par temps de canicule, conduire une Revuelto en thermo-gommes hivernales revient à courir avec des peaux de bananes attachées aux pieds. L’élasticité très particulière de ces pneus rajoute un temps de réponse catastrophique du train avant quand on tourne le volant et limite drastiquement le niveau d’adhérence dans les virages comme en longitudinal. Mais que pourrait-il mal se passer avec 1 015 chevaux et deux tonnes valant plus d’un demi-million d’euros !

Sans surprise, cette monte pneumatique constitue bien un élément de frustration énorme au moment de commencer à « pousser » la Revuelto puisqu’il faut composer avec un train avant incapable de rester collé au bitume lors des inscriptions un peu appuyées en virage, un flou dans le volant à chaque changement de direction, une motricité souvent prise à défaut (mais rattrapée par la gestion électronique obligée de moduler la puissance parfois jusqu’en quatrième), des décélérations scabreuses en cas d’écrasement maximal de la pédale de gauche (cette machine possède des freins monstrueux) et même un phénomène de flottement franchement effrayant au-dessus des 240 km/h (hors routes ouvertes). L’opportunité de passer autant de temps dans de telles machines ne se présentant pas tous les matins, j’avoue avoir détesté l’inventeur des pneus hiver tout au long de cette semaine-là.

Heureusement, même une monte pneumatique aussi inadaptée ne suffit pas à gâcher les moments délirants passés au volant d’une Revuelto configurée en mode Corsa (avec la batterie placée en « Performance » pour obtenir la puissance maximale totale). D’abord parce que les sensations rappellent d’une certaine façon la très amusante Huracan Sterrato et ses gros pneus tout-terrain et ensuite, parce qu’elle ne fait qu’abaisser les limites dynamiques de la voiture sans changer son caractère. Il faut accepter de réduire fortement les vitesses de passage en courbe et garder de la marge sur les freinages, sinon les choses deviennent vite dangereuses à cause de ces pneus inadaptés aux capacités de la machine. Mais très vite, on se console en découvrant une auto au comportement à la fois surprenant et passionnant.

La consistance de la direction et la réponse de la pédale de frein ne changent pas beaucoup par rapport à l’Aventador avec un ressenti assez léger et filtré, rappelant le feeling de cette dernière mais aussi de l’Audi R8 (à l’opposé des commandes de chez McLaren ou Porsche). En revanche, la voiture se montre beaucoup plus vivante même en comparaison des dernières versions de l’Aventador déjà équipées des roues arrière directrices. Non seulement la poupe pivote généreusement à l’inscription en virage (avec ou sans lever de pied), mais dans un second temps les moteurs électriques avant ajoutent du « torque vectoring » pour resserrer la trajectoire. Ces réactions nécessitent un petit temps de compréhension, d’autant plus avec ces maudits pneus hiver qui parasitent l’expérience en permanence. Puis on parvient à se mettre en confiance, aux commandes d’une machine extrêmement agile et mobile lorsqu’on la conduit à 80% de ses possibilités.
On sent aussi, même s’il ne faut jamais oublier que cette satanée monte pneumatique contribue d’autant plus à cela, que la voiture peut vite devenir très vive et même franchement pointue à piloter en poussant davantage une fois les aides à la conduite totalement désactivées. Ce que nous ont confirmé nos confrères des magazines Motorsport et Sport Auto après leurs essais réalisés avec des pneus été Bridgestone infiniment plus efficaces (mais pas autant que les Pirelli P-Zero Corsa et Trofeo RS de l’ancienne Aventador dans sa version SVJ) : à la limite absolue, cette Revuelto semble exiger un sacré travail au volant entre la sensibilité à l'accélération de son train arrière, ses réactions parfois complexes et sa masse !

Mais justement, on sent bien qu’elle a été conçue pour procurer de vraies sensations intéressantes sans tutoyer ses limites. Sur mes routes préférées en mode Corsa, rouler en Revuelto à 80% ressemble vraiment au paradis des fans d’automobile. Un paradis où se mêlent les hurlements déchirants d’un V12 coupant l’admission à 9 500 tours / minute (il n’y a plus de rupteur, dommage !) servi par une boîte parfaite, l’exploration d’un châssis aux réactions à la fois complexes et passionnantes à ressentir et, malgré ces foutus pneus, des performances qui m’ont donné l’impression de conduire une voiture un peu lente quelques jours plus tard en Aston Martin Vanquish de 835 chevaux (un 0 à 200 sous les 7 secondes, ça reste hors du commun). L'énergie électrique comble les creux à bas régime du V12 atmosphérique et la poussée en ligne droite colle le vertige même à l'ère des catapultes "zéro émission" de chez Tesla ou Porsche.
Dans ces moments-là, le temps n’existe plus vraiment. On rétrograde en seconde, on prend les 9 500 tours / minute une fois puis deux, puis trois, on tourne, on freine, on rentre en transe et une fois arrivée à la fin de la route après seulement quelques dizaines de kilomètres, la jauge du réservoir a perdu 50% de son contenu (ses 67 litres paraissent un peu justes par rapport aux 80 litres de l’Aventador). Pour moi l’Alpine A110 apporte tout ce qu’on peut attendre d’une très bonne voiture de sport mais les autos comme la Revuelto y ajoutent une théâtralité et des performances que seules ces machines si intouchables sont capables de procurer. La vie en Revuelto rend même un peu fou. Dormir ? A quoi bon alors que vous pouvez rouler la nuit sans personne à l’horizon et vous lever à l’aube pour profiter des plus belles routes sans trafic et avec une lumière magnifique ! Manger ? Trop tard, la montre affiche déjà une heure du matin et vous devez récupérer un minimum de sommeil avant de repartir au lever du jour. J’ai passé près d’une semaine à vaporiser dans la nature la gomme des pneus hiver de la Revuelto (ils sentent vite le bûlé dans ces conditions) en dépensant des fortunes de carburant. Ensuite, je l’ai remontée à Paris en roulant au régulateur de vitesse adaptatif à 130 km/h (oui, il y maintenant ces choses-là sur des supercars !) puis, comme avec l’Aventador Ultimae deux ans plus tôt, j’ai rattrapé tout le sommeil en repensant à tous ces moments qui semblent être passés en un instant. J’ai le sentiment d’avoir vécu une expérience sommitale dans ma carrière d’essayeur automobile et même dans ma vie tout court.

Au passage, ce nouveau V12 joue une partition un peu moins gutturale et plus altière que celui de l’Aventador, même si son caractère n'évolue pas tant que ça. Et j’espère qu’il pourra vite chanter en liberté dans une version Roadster, sachant que sa devancière décuplait le plaisir dans sa déclinaison ouverte. Ce douze cylindres reste en tout cas l'une des trois plus belles merveilles mécaniques du marché automobile, en face de celui de Ferrari et au-dessus du flat-six atmosphérique de Porsche (en attendant de voir ce que donne le nouveau V16 de Bugatti...).
Et même si ces machines hors normes souffrent d’une réputation sulfureuse en matière de fiabilité, la Revuelto a parfaitement fonctionné pendant ces 2 000 kilomètres. J’ai expérimenté un bug de son système de levage bloqué en position haute et un témoin moteur jaune affiché au tableau de bord mais dans les deux cas, un verrouillage de la voiture et un éloignement pendant cinq minutes a permis de résoudre le problème. Ah, l'électronique...
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