Sécurité routière: pitié pour les platanes!
Le concept de "route qui pardonne", cher aux autorités, suppose hélas l'abattage de milliers d'arbres implantés en bord de chaussée. Leurs défenseurs organisent la riposte à l'occasion d'un colloque organisé fin novembre à Carcassonne, avec des arguments qui font mouche.
Les pouvoirs publics défendent depuis longtemps le concept de « route qui pardonne », ce qui suppose d’éliminer autant que possible les obstacles posés au bord de la chaussée, de façon à limiter les risques de blessure en cas d’accident. Les allées d’arbres sont donc visées au premier chef, ce qui inquiète leurs défenseurs.
Ceux-ci se réuniront pour la deuxième édition du colloque international d’Allées-Avenues/allées d’avenir, qui se tiendra du 19 au 21 novembre à Carcassonne.
Le but : « apporter des éléments de connaissance et de réflexion pour s’affranchir des politiques de « la route qui pardonne », obstacle au maintien et à la replantation des allées. Les arbres se voient ainsi relégués jusqu’à 10 mètres de la chaussée.
« La sécurité routière dépend-elle réellement de l’absence d’arbres proches de la chaussée ? La promesse d’intégrité physique suffit-elle pour vivre ? Notre vie physiologique, notre santé physique, notre santé mentale, notre bien-être social - constitutifs de la santé selon la définition de l’OMS - ne dépendent-ils pas aussi des arbres ? », interrogent les organisateurs du colloque, qui réunira des intervenants - universitaires, chercheurs, scientifiques…. - d’une douzaine de pays.
Et d’ajouter « La beauté n’est-elle pas tout aussi indispensable pour vivre ou se reconstruire, pour réenchanter le monde et remobiliser les sociétés autour de projets cruciaux ? La beauté n’est-elle pas justement un marqueur particulier des allées d’arbres, intervenant comme principe-même de leur aménagement ? N’est-il pas aujourd’hui crucial de maintenir et d’étendre les allées, patrimoine culturel international et corridors indispensables face au réchauffement climatique et à l’érosion de la biodiversité ? »
Interrogée par Caradisiac il y a quelques années, Chantal Pradines, organisatrice du colloque et autrice du rapport dans le rapport « Infrastructures routières : les allées d’arbres dans le paysage » publié par le Conseil de l’Europe en 2011, posait notamment le problème en ces termes : « La « route qui pardonne » n’incite pas à la prudence. Quand la route est dégagée, on a tendance à accélérer, ce qui n’est en soi sans doute pas très gênant tant qu’aucun danger potentiel ne se profile. On a aussi le sentiment d’être invulnérable. Le problème, c’est que cela crée un état d’esprit qui nous rend dangereux : que se passe-t-il à l’approche d’un village, d’un virage ou d’un obstacle comme un groupe de cyclistes ? C’est là que survient le drame. A l’inverse, des études ont montré que des routes bordées d’arbres incitent à une conduite plus apaisée. Outre leur rôle dans la défense de la biodiversité, ces arbres sont des monuments qui nous disent des choses sur le rayonnement de la France. Au-delà, ils servent aussi à se raccrocher à la vie et à la beauté ; ils peuvent nous guérir des blessures de la vie. En les supprimant, on ne diminue pas nécessairement le risque de se tuer sur les routes, comme je l’ai montré, mais on va vers un monde sans saveurs, sans couleurs. Vers quelle société voulons-nous aller ? »
" La France n'est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture" Georges Pompidou
En 1970, alors que le ministère de l’Equipement est sur le point de décider de l’abattage massif d’arbres au bord des routes, ceux-ci trouvent un défenseur inespéré en la personne du Président de la République Georges Pompidou. Nous reproduisons ici la savoureuse lettre qu'il avait alors adressée à son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas.
17 juillet 1970
Mon cher Premier Ministre,
J'ai eu, par le plus grand des hasards, communication d'une circulaire du Ministre de l'Equipement — Direction des routes et de la circulation routière — dont je vous fais parvenir photocopie. Cette circulaire, présentée comme un projet, a en fait déjà été communiquée à de nombreux fonctionnaires chargés de son application, puisque c'est par l'un d'eux que j'en ai appris l'existence. […] Bien que j'aie plusieurs fois exprimé en Conseil des Ministres ma volonté de sauvegarder « partout » les arbres, cette circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l'égard des souhaits du Président de la République. Il en ressort, en effet, que l'abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité. Il est à noter par contre que l'on n'envisage qu'avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques.
C'est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n'ont, semble-t-il, d'autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas. La France n'est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l'importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage. La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes — et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes — est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d'un milieu humain. La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de beauté. L'autoroute sera utilisée pour les transports qui n'ont d'autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l'automobiliste de la fin du vingtième siècle ce qu'était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l'on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que l'on se garde donc de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté !
Georges Pompidou
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