Route de nuit - Et si on retirait les voitures des villes
Ticket vers la liberté, emblème de l’industrie, source d’amour et de passion, la voiture n’est plus que l’ombre de sa carrosserie. Nous avons tenté d’imaginer la vie sans elle au cœur des villes. Juste comme ça, juste pour voir.
La ville sans voiture est-elle une utopie ?
Avec des « si », nous pourrions mettre les villes en bouteilles. Mais si on y retirait les voitures, peut-être que nous les mettrions un peu à l’air libre. Autrefois symbole de développement industriel, de progrès, de liberté et d’avancée, l’automobile est passée, en quelques années seulement, de marqueur social de réussite à ennemi public numéro un. La voiture fait mal à nos poumons, mal à nos enfants, mal à notre planète, mal à notre compte bancaire. La voiture devenue coupable de tous les maux de la société moderne. Alors faisons-la disparaître, d’un coup d’imaginaire et regardons ce qu’il se passerait si elle n’était plus là.
Un changement brutal
Cela se fit brutalement. Une fracture dans le mode de vie. La métropole du Grand Paris donna le la, les autres villes des zones à faible émission, suivirent.
Que l’on eût été pour ou contre, personne n’y fut insensible. En une nuit, Paris doubla de taille. Du jour au lendemain, l’espace occupé par les véhicules en surface fut libéré, soit 1 400 hectares ou encore l’équivalent de 2 000 terrains de football. On se serait cru dans le décor d’un film apocalyptique. Ce jour-là, j’errai dans la rue calme et déserte.
La sonnerie d’un vélo m’extirpa des prémices d’une dystopie angoissante. Mes yeux quittèrent le vide et je balayai du regard les commerçants démarrant leur activité, leurs visages peinant à cacher une certaine anxiété. L’absence de voitures, de scooters, de motos, c’est l’absence d’une partie de la clientèle.
La voiture a mis 40 ans à coloniser la ville, à récupérer des parcelles de trottoirs, des voies plus larges, plus nombreuses, pour rouler et stationner. La ville, elle, a mis 11 ans à récupérer son territoire. Entre 2019 et 2030, la tendance s’est inversée totalement et de façon radicale. Pourtant, ce changement avait commencé à s’opérer bien avant et parfois dans la douleur et dans un désordre rare.
Pontevedra, une source d’inspiration espagnole
Si l’on pense irrémédiablement à Amsterdam dès lors que l’on évoque les notions de vélos et de villes sans voitures, ce fut Pontevedra, cette ville espagnole de 83 000 habitants grande comme Poitiers qui servit de déclencheur. Car en 1999, le maire fit le choix de bannir l’automobile et la moto de sa ville pour redonner sa place aux piétons et par voie de conséquence, aux touristes, aux commerces et à l’apaisement. Elle devint ainsi la ville pionnière de la piétonnisation et bon nombre de ses solutions logistiques furent réutilisées. Par exemple, les 8 000 places de parking gratuites aux alentours de la ville, la suppression des feux tricolores pour de simples avertisseurs lumineux de passages pour piétons surélevés, afin d’être dans le prolongement du trottoir, une surveillance accrue des forces de l’ordre et une régulation drastique du flux d’autos exceptionnellement autorisées à circuler. Un pari gagnant pour les commerçants puisque la zone devint un lieu d’attraction tant pour les habitants que pour les résidents des alentours et les touristes. Mais toutes les tentatives de suppression de l’automobile ne furent pas couronnées de succès.
Londres : une tentative peu convaincante
En 2003, Londres devint payante. Pénétrer la capitale en voiture avait désormais un coût de 13 € à ajouter à ceux déjà nombreux engendrés par l’usage de la voiture (essence, parking, etc). Malgré une réduction de 50 % de l’usage de la voiture par les particuliers, le trafic resta saturé. La faute aux 9 millions de personnes à drainer quotidiennement dans la capitale. Tandis que Pontevedra avait motivé les habitants à acheter sur place, Londres a poussé les siens à commander sur internet. Or, les véhicules des derniers kilomètres, thermiques et souvent diesel, étaient exemptés de péages, comme les VTC. Le résultat fut une augmentation drastique de la pollution en périphérie et un trafic aussi chargé sur les routes de la capitale. Mais ce sont surtout les 50 % qui ont laissé de côté la voiture qui se retrouvèrent dans des transports en commun saturés, troquant ainsi un confort relatif pour un calvaire presque aussi coûteux. À ce jour, Londres n’a toujours pas osé la solution adoptée par les métropoles françaises mais le gouvernement tente, tant bien que mal, de trouver des solutions.
Les ZFE et le Grand Paris
Ce sont par elles que tout a commencé et que nous en sommes arrivés là, ou presque.
À la suite de la promulgation de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la Transition Énergétique pour la Croissance Verte (Loi TECV), les communes et leur groupement disposèrent de leviers pour lutter contre la pollution émise par le trafic routier. Cette loi mentionne d’abord la volonté d’indépendance énergétique, la compétitivité économique puis, en toute fin, la préservation de la santé humaine, parce que finalement, elle compte un peu.
Les ZFE divisèrent. Les métropoles comme Paris, Bordeaux, Marseille, Montpellier, Strasbourg ou Lyon avaient déjà des alternatives de déplacement à disposition. Les choses étaient plus compliquées pour les villes comme Nantes et certaines communes du Grand Paris. Des manques d’infrastructures qui posèrent des soucis pour les habitants de ces zones à faibles solutions de déplacement et structures sécurisantes. L’idée d’améliorer la santé des habitants en leur faisant courir les risques de mobilités alternatives sur des infrastructures non adaptées était la preuve d’une excellente idée mal réalisée.
Un projet noble mais bien trop gros. Le plan repoussé à 2030 par le Sénat ne changea néanmoins plus et dès 2024, des voitures de 2017 n’avaient plus le droit de circuler dans ces zones. Des voitures déjà peu utilisées qui, même en cas d’urgence, en cas de besoin particulier, ponctuel, ne pouvaient pénétrer ces zones spéciales.
Ce fut le début de la déchéance automobile telle que nous la connaissons aujourd’hui. Le marché automobile s’était d’ailleurs littéralement effondré en 2021, avec un recul de plus de 20 %. Ce marché était une girouette qui chaque année sonnait le glas d’une orientation favorable dans le passé. Le coup de grâce fut donné en interdisant également les voitures électriques en ZFE pour des raisons de sécurité de la population, l’argument écologique n’étant plus vraiment de mise, à échelle locale du moins.
Ne sachant réellement vers quel véhicule se tourner et compte tenu des séquelles financières qui firent suite au COVID, les Français temporisèrent plutôt que d’acheter une auto vendue avec son épée de Damoclès. Une automobile en sursis car déclarée coupable de meurtre. Autant coupable qu’une arme à feu ou un tournevis ne puissent l’être.
La voiture, tueuse malgré elle et à cause de nous
Si je fus autant captivé par cette disparition, c’est que j’ai toujours aimé les automobiles. Elles étaient le symbole du progrès, du développement, de l’industrialisation, de la liberté et du plaisir. Elles étaient aussi le prolongement de notre chez-nous. Un confort privé, clôt, isolé, se mouvant dans une faune sauvage. De plus en plus silencieuses, de plus en plus confortables, de plus en plus faciles à utiliser, de plus en plus distrayantes, les voitures n’étaient pas qu’un marqueur de réussite social. Elle était le ticket d’accès à la liberté de parcourir le monde.
Pourtant, en 2019, 3 244 personnes perdirent la vie sur les routes quand 70 490 étaient blessées. Et quand ce n’étaient pas les occupants du véhicule qui étaient les victimes, c’étaient les autres : les piétons, les cyclistes, les personnes sans carrosserie et sans armure. En 2016, les piétons représentaient 16 % des victimes de la route, et, sur ces 16 %, 86 % étaient victimes d’un choc en traversant la rue.
La voiture était donc une arme. Comme toute arme, elle nécessitait un humain pour l’actionner, mais étrangement, c’était elle la coupable.
Si ce n’était pas par le choc, la voiture tuait également par le gaz. 63 % de l’oxyde d’azote (NO2) provenaient des transports routiers. L’oxyde d’azote, ce gaz mortel 40 fois plus toxique que le monoxyde de carbone qui nous effraie tant. Pour ce point, l’utilisateur n’y pouvait pour rien. Sinon de remplacer sa voiture thermique par une voiture électrique. Une solution qui, aujourd’hui en 2030, ne fait que transférer le problème ailleurs, pour les pays misant sur les centrales à charbon, pour l’utilisation massive de terres rares indispensables aux moteurs synchrones à aimant permanent plébiscités par les constructeurs.
Mais surtout, une augmentation massive du besoin d’électricité, donc de la demande et donc du prix. L’adoption massive et rapide de la voiture électrique a littéralement fait exploser les tarifs de cette énergie, creusant un peu plus la difficulté financière chez une classe qui n’a désormais de moyenne que le nom. Quoi de mieux que d’améliorer l’air de la rue dans laquelle une partie de la population a été jetée.
Mais alors sans la voiture, que restait-il ?
Les vagues de déplacements et ses exceptions
Dans les années 2020, La voiture servait à parcourir environ 6,5 km de moyenne pour aller travailler, même si 42 % des personnes prenaient la voiture pour effectuer le kilomètre les séparant de leur lieu de travail.
Enfin pas partout. En dehors des zones urbaines de 400 000 habitants, dès lors qu’on quittait la ville pour rejoindre la zone rurale, la distance était plus importante et la voiture devenait indispensable faute d’alternatives crédibles.
Pour rejoindre ces villes sans voiture, des parkings furent aménagés aux alentours. S’y rendre est encore gratuit pour le moment, à la demande du gouvernement. Mais Vinci et d’autres sociétés privées qui ont la main mise dessus les rendront payants prochainement. De plus, ils ajoutent une étape au trajet quotidien et ne solutionnent pas les bouchons. On peut ainsi dirent qu’ils ont servi à sortir le problème des villes pour le placer ailleurs.
La voiture coûte plus cher car elle se vend moins. Moins d’économies d’échelle mais des normes de sécurités et de pollution toujours en hausse participent à cette envolée.
Les professionnels doivent désormais présenter une carte virtuelle délivrée par la préfecture. Aux entrées des ZFE, des barrages ont germé du sol. Sans autorisation, on n’entre pas.
Restait toutefois un problème de taille : les transports alternatifs. Car les mobilités douces, aussi bénéfiques soient-elles, ne ciblaient pas tout le monde. Une partie des 15,5 millions d’automobilistes d’Île-de-France se sont trouvés à partager les transports en commun déjà saturés avec les autres usagers. C’est ainsi que le RER A qui drainait quotidiennement un million de voyageurs a vu sa fréquentation doubler en heure de pointe.
Pire, les autres métropoles moins bien fournies ont dû mettre en place des navettes électriques dédiées, en plus des systèmes de bus, passés à l’hydrogène pour l’occasion. Le véritable problème surgissait et ce n’était pas la voiture : c’était la centralisation des zones d’emplois en France.
En 2030, rien n’a changé. Le télétravail a permis de diminuer quelque peu la quantité de personnes mobiles, mais pas suffisamment et le pique des 40 % d’actifs en télétravail atteint durant le confinement de l’épisode COVID de 2020 n’a jamais été reproduit à ce jour. Comme si la volonté était de tuer l’automobile plutôt que de régler les sources du problème.
Les limites du vélo
Le vélo fut l’une des solutions préférées des Français. Le marché est désormais suffisamment riche pour que chaque personne y trouve son compte, y compris celles qui ne peuvent pédaler.
Un vélo, même utilisé de manière intensive demande un budget modeste pour être entretenu. Ses bienfaits sur la santé font baisser la quantité d’arrêts maladie, les dépressions et augmentent la sensation de bien-être. Les vélos à assistance électrique ne sont pas en reste, puisqu’eux aussi permettent d’améliorer la capacité cardiorespiratoire et juste de se sentir bien et de se faire plaisir. L
Mais plus fort : face aux embouteillages, le vélo permet d’effectuer des trajets aux distances souvent plus longues, à une vitesse inférieure à l’automobile, dans un temps pourtant nettement réduit. Un paradoxe qui aurait séduit Einstein lui-même.
Le vélo est une sorte de remède miracle, pratique, amusant, simple et efficace. Il a également sa place en zone rurale, grâce à l’amélioration des modèles à assistance électrique et aux déclinaisons nombreuses des modèles (cargos, tricycles, longtail). Mais ce superhéros de la mobilité a ses ennemis et non des moindres.
Le premier frein à l’adoption du vélo est le vol : avec 400 000 vols pour 21 millions de vélos en 2021, la France faisait figure de bonne élève face aux Pays Bas et ses 900 000 vols pour 15 millions de vélos. Le problème s’est malheureusement intensifié et ces vols ont progressé. Malgré les aménagements des commerces de la ville et de certaines entreprises, les statistiques ne firent qu’augmenter et avec elles, le coût des assurances, dont une désormais obligatoire pour les vélos et trottinettes qu’il est nécessaire désormais de marquer.
L’autre grand ennemi du vélo, ce sont les infrastructures. Penser au bien-être des habitants des villes où l’on doit se rendre pour travailler est une bonne chose, mais qu’on ne souhaite pas réaliser au péril de sa vie. En 2030, les pistes cyclables alternent entre bonnes idées et réalisations catastrophiques. Si en ville, le risque tombe désormais à zéro en absence de voiture et depuis l’instauration d’une vitesse maximale de 30 km/h, le trajet qui relie ces villes entre elles n’a rien d’une sinécure. En 2019, 187 cyclistes avaient trouvé la mort sur les routes, routes qu’ils se doivent d’emprunter à défaut de piste cyclable, le trottoir leur étant interdit. Un chiffre qui risque d’exploser en 2030, car une partie des 15,5 millions d’automobilistes ont adopté le vélo comme alternative.
Le vélo est une bonne solution, mais il n’est pas adapté à tout le monde.
Retirer la voiture des villes : logique en métropoles, impensables en zone rurale
La décision de retirer la voiture des villes n’a été que le premier pas vers l’amélioration de la vie en métropole et uniquement en métropole. En effet, la part des voitures françaises dans les rejets de gaz à effet de serre au niveau mondial est de 0.0157 %. Pas de quoi soulager la planète, mais plutôt les habitants de ces villes.
Sur Paris, les voitures, fourgonnettes et camion représentent 10 % des déplacements. En banlieue, ce chiffre passe à 50 %. Dans les autres villes de plus de 400 000 habitants, ce chiffre monte à 60 % en moyenne. Dès qu’on parle de villes inférieures à 400 000 habitants et de la zone rurale, les véhicules représentent 90 % des modes de déplacement.
C’est la preuve que ce système n’est adapté qu’aux métropoles et non aux zones rurales. D’ailleurs, nous sommes en 2030 et la voiture thermique est toujours présente dans ces endroits plus éloignés. Les ZFE favorisent donc aisément les métropoles où le coût de la vie est élevé et délaissent les autres régions qui, bien qu’elles fassent la beauté du pays, se retrouvent stigmatisées. Ce sont pourtant ces lieux prisés des touristes qui devraient être mis en lumière et aidés financièrement pour s’affranchir des véhicules composant 85 % des déplacements.
Retirer la voiture, une dystopie
À ce jour, il reste encore bien des points à éclaircir et des normes à définir, afin de garantir un meilleur vivre ensemble. Accroître la sécurité dans les transports en commun dans lesquels on ne compte plus le nombre d’agressions, sexuelles ou non et de harcèlements au quotidien.
Il faut garder un contrôle total des coûts des parkings en périphérie, motiver les entreprises à se détacher des métropoles pour éviter des afflux aux heures de pointe et favoriser le déploiement économique de belles régions en zones rurales.
Enfin, il faudra faire tout cela en pensant comme cette nouvelle génération qui a pris l’habitude, en glissant son doigt sur un écran, de payer pour un usage ponctuel plutôt qu’une possession dont l’utilisation est hypothétique. Une génération qui adoptera volontiers les véhicules autonomes dont le déploiement serait nettement plus simple en l’absence de véhicules contrôlés par les humains.
Mais retirer la voiture d’une partie du territoire, c’est le séparer lui et ses habitants en deux. C’est blâmer un outil plutôt que ses utilisateurs et surtout, oublier que l’automobile est une réponse à un besoin réel. La supprimer, c’est considéré que ceux en ont vraiment besoin ne comptent pas et un excellent moyen de se voiler la face sur ce qui pose réellement un problème.
La ville sans voiture réduit le concept de ville à celui de métropole et c’est justement tout le problème.
Avoir supprimé le confort de l’automobiliste pour celui de l’habitant des grandes villes est moins une solution écologique qu’égoïste. Plébisciter des alternatives crédibles en complément plutôt qu’à la place de la voiture est en revanche nettement plus pertinent. Mais étrangement, depuis ce jour de rupture et le retrait de l’automobile, rien n’a été fait dans ce sens. C’est dommage.
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