PV radars – Dénonciation obligatoire des salariés par leur patron : nos clarifications
Stéphanie Fontaine , mis à jour
À la suite de la publication la semaine dernière du droit de réponse du délégué interministériel à la Sécurité routière qui entendait réagir à notre article du 11 janvier, les lecteurs de Caradisiac nous réclament de nouvelles explications pour justifier le maintien de nos informations. Voici notre argumentaire point par point.
C'est bien volontiers que Caradisiac a accepté de publier, le 9 février, la lettre que lui avait fait parvenir,
Emmanuel Barbe, le délégué interministériel à la Sécurité routière, en réaction à notre article "PV radars – Dénonciation obligatoire des salariés par leur patron gare aux bobards !". Au nom de la transparence tout simplement…
Si, théoriquement, un droit de réponse est un principe général et absolu dès lors qu'une personne – morale ou physique - est mise en cause dans un article – en clair, on n'a pas d'autre choix que de le publier -, encore faut-il que celui-ci respecte pour sa part le cadre juridique du droit de réponse. Et avant tout que la personne qui se considère atteinte par notre article le soit véritablement… Ce qui est loin d'être évident pour ce qui est de la délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR).
Ceci étant dit, nous avions à cœur de présenter à nos lecteurs cet argumentaire "en défense", même s'il peut paraître en plusieurs points obscur, voire incohérent. Et pour tenter d'y voir plus clair, reprenons le débat point par point.
Caradisiac 1. Que les patrons paient sans dénoncer, cela reste bien possible et légal !
Réponse de la DSCR : Vrai mais risqué.
Selon la DSCR, le risque, c'est que "les chefs d'entreprise engagent alors leur propre responsabilité pénale". Jusque-là, nous sommes 100 % d'accord et nous l'avons maintes fois répété : quand un patron – plus exactement un représentant légal d'une personne morale - paie un PV radar sans sourciller, cela signifie qu'il reconnaît sa propre culpabilité. Du coup, c'est un fait, il engage bien sa propre responsabilité pénale, et les points en jeu doivent théoriquement lui être retirés de son permis de conduire, une fois l'amende payée.
Juridiquement parlant, tous les destinataires de ce type de contraventions sont d'ailleurs logés à la même enseigne. Qu'il s'agisse d'un propriétaire d'un véhicule personnel, d'un salarié désigné, ou bien même d'un patron, "la loi ne fait – fort heureusement ! - aucune distinction", renchérit Caroline Tichit, avocate spécialisée dans la défense des conducteurs.
À se demander d'ailleurs pourquoi les chefs d'entreprise ont rarement à subir cette perte de point(s) quand ils paient ce genre de PV ! Serait-ce une volonté de nos autorités que de ne pas les leur retirer systématiquement ? On peut légitimement se poser la question.
Pour finir sur ce premier point, il est tout de même à préciser que la DSCR ajoute dans sa lettre que si la responsabilité pénale des patrons est engagée, c'est "à raison de la contravention de non-désignation"… À force de le dire et de le répéter, sans doute la menace paraîtra-t-elle bien plus réelle ! De notre côté, nous n'avons jamais prétendu que nos autorités n'essaieraient pas de condamner les patrons au titre de ce nouvel article L121-6 du code de la Route qui donne naissance à cette pseudo obligation de dénoncer.
"Il est évident qu'il faut s'attendre à de telles poursuites", reconnaît Me Tichit. "Mais si un chef d'entreprise se justifie en expliquant par exemple que, malgré ses efforts, il était incapable de savoir qui conduisait précisément le véhicule, comment peut-on imaginer que la justice puisse le condamner pour non-dénonciation ?" Ou cela reviendrait à dire, s'agace l'avocate que "les responsables légaux ont l'obligation de dénoncer n'importe qui, y compris des innocents !"
Enfin, il reste aussi cette possibilité, comme évoqué plus haut, que le chef d'entreprise, en toute connaissance de cause, ait procédé au règlement de l'amende, car c'était lui-même qui conduisait le véhicule pris en faute. En payant, il accepte tout simplement de se dénoncer. Comment imaginer, dans un tel cas de figure, que la justice l'oblige à dénoncer l'un de ses subordonnés ? Cela n'a tout simplement aucun sens.
Caradisiac 2. Quand les salariés dénoncés contestent leur PV-radar en assurant qu'ils ne conduisaient pas, ils sont généralement totalement relaxés (pas d'amende, pas de retrait de point) !
Réponse de la DSCR : Faux.
On aurait compris que la DSCR insiste pour répondre que "ce n'est pas toujours vrai". La jurisprudence de la Cour de Cassation, la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français, paraît tout de même sur ce point relativement constante… C'est pourquoi nous nous sommes permis d'indiquer que, "généralement", cela devait se passer ainsi. Bien entendu, il existe des cas particuliers. Et tout dépend, bien entendu aussi, des arguments présentés en défense par ces salariés désignés ! Rien n'est gagné d'avance. Et, surtout, s'il existe une jurisprudence à la Cour de Cassation sur ce sujet, cela veut bien dire que les jugements rendus en première instance, voire en appel, étaient contestables, et donc contestés… Il faut parfois se montrer pugnace pour faire entendre ses droits !
Dans ce deuxième point, la DSCR ajoute surtout que "si l'entreprise désigne un conducteur dont la contestation venait à être acceptée, celle-ci serait bien sûr alors destinataire d'un avis de contravention pour non-désignation puisqu'il apparaîtrait ainsi qu'elle n'a pas désigné le conducteur effectif du véhicule". Fichtre ! Si un salarié désigné conteste sa dénonciation, la DSCR avoue ainsi que les ennuis pourront revenir à l'envoyeur, soit à l'entreprise ! Ça tombe bien, c'est exactement ce qu'a déjà dit aussi Caradisiac : ce n'est pas parce que les chefs d'entreprise vont accepter de se plier au bon vouloir de nos autorités - en mettant en place des systèmes de dénonciation systématique - qu'ils peuvent espérer se mettre à l'abri de toute poursuite judiciaire ! Mieux vaut être prévenu.
"Sincèrement, je suis quand même scandalisée par la teneur de tels propos", lâche Me Tichit. "Car, d'un point de vue juridique, c'est tout simplement inapproprié. La DSCR ne parle ici que de la personne morale [soit l'entreprise, NDLR], alors que la nouvelle contravention pour non-désignation ne vise, selon la loi, que le représentant légal de cette personne morale… Sans compter que la DSCR laisse supposer que l'entreprise aurait ainsi des pouvoirs de police et que ce serait à elle désormais d'apporter la preuve que tel ou tel conducteur était bien au volant au moment des faits. Preuve qui incombe toujours au ministère public, la partie qui poursuit en justice. Franchement, on marche sur la tête !"
Caradisiac 3. Quand les entreprises paient elles-mêmes les contraventions, c'est tout à fait illégal !
Réponse de la DSCR : Faux car incomplet et imprécis.
Ah, faut savoir ! N'est-ce pas précisément ce qu'indique la DSCR à la fin de sa première réponse ? Pour rappel, voici ce qu'elle nous a fait parvenir en parlant des chefs d'entreprise : "ils doivent payer cette amende sur leurs deniers propres (…). Si le montant de l'amende imputée au chef d'entreprise est réglé avec les deniers de l'entreprise, les patrons commettent un délit d'abus de bien social."
Enfin, la DSCR évoque sinon la possibilité pour une personne morale – l'entreprise donc et pas seulement son représentant légal – d'être "poursuivie comme auteur d'une infraction". "C'est vrai dans l'absolu", répond Me Tichit, "mais pas quand il s'agit d'une infraction routière ! La jurisprudence de la Cour de Cassation est sur ce point aussi limpide". En gros, quand il s'agit d'excès de vitesse, ou même d'une autre infraction au code de la Route, seules les personnes physiques peuvent être condamnées – pénalement.
Caradisiac 4. Quand les entreprises - ou même leurs dirigeants - paient les PV, tout en dénonçant dans le même temps leurs salariés, c'est aussi 100 % illégal !
Réponse de la DSCR : Faux.
Avouons-le, nous n'avons tout simplement pas compris l'argumentaire de la DSCR pour justifier cette réponse. De fait, elle répond à côté du sujet.
Il se trouve que nous avons eu l'occasion de poser directement la question à Emmanuel Barbe, lors d'une récente conférence de presse. Et, en substance, le délégué interministériel à la Sécurité routière s'est juste contenté de nous répondre qu'il ne comprenait pas bien la situation décrite, puisqu'il ne s'agissait aucunement d'une option proposée aux chefs d'entreprise sur les avis de contravention qui leur étaient adressés. Ce qui est vrai.
Le problème, c'est que nous avons reçu plusieurs témoignages qui nous laissent penser que de telles façons de faire existent bel et bien dans certaines entreprises. Celles-ci dénoncent et, en même temps, paient elles-mêmes les contraventions. Le risque pour la personne désignée, c'est alors que le paiement soit bien encaissé, et ses points de permis retirés, sans qu'elle n'ait eu à un moment ou à un autre la possibilité de se défendre. Nous avons donc demandé à Monsieur Barbe si toutes les précautions avaient été prises à Rennes pour ne pas accepter de tels procédés. Mais il s'est limité à nous répondre que de telles situations ne pouvaient pas exister… Espérons que l'avenir lui donne raison !
Pour rappel, n'importe quel destinataire d'un PV radar dispose de trois choix possibles :
1 – payer l'amende reçue, soit reconnaître sa culpabilité,
2 – dénoncer la personne qu'il estime responsable, et à ce moment-là, Rennes renvoie à cette personne désignée l'avis de contravention,
3 – contester la contravention.
Et, en effet, il ne peut choisir qu'une seule option : soit il paie, soit il dénonce, mais il ne peut pas faire l'une ET l'autre !
Caradisiac 5. En aucun cas, un patron ne devrait être condamné au quintuple de l'amende encourue !
Réponse de la DSCR : Faux.
"Encore une fois, la DSCR n'a jamais dit que le chef d'entrepris (sic), personne physique, pourrait être condamné au quintuple de l'amende", précise-t-elle pour commencer… Soit la même chose que Caradisiac. Ça tombe bien, là aussi !
Mais là où on n'est plus d'accord, c'est quand la DSCR ajoute que c'est "l'entreprise, personne morale, qui encourt le quintuplement de l'amende pour cette nouvelle contravention de non désignation"… Et sur quelle base juridique ? "La réponse de Monsieur Barbe, pourtant magistrat, est pour le moins étonnante, car le nouvel article L121-6 du code de la Route, qui crée cette nouvelle contravention de non désignation, n'évoque à aucun moment la possibilité de sanctionner les entreprises, et donc les personnes morales", rétorque, stupéfaite, Me Tichit. Seuls les représentants légaux, personnes physiques, sont concernés par cet article L121-6.
Tandis que le nouvel article 530-3 du code de Procédure pénale, qui évoque bien en effet le quintuplement de l'amende, ne concerne, lui, que des personnes morales, quand celles-ci peuvent être condamnées… Ce qui n'est absolument pas prévu dans le cadre des infractions au code de la Route ! Pour ces dernières, seules les personnes physiques peuvent être poursuivies, et donc condamnées !
Maintenant, comme déjà précisé dans nos articles précédents, Caroline Tichit ne doute pas que les services du ministère public – qui engagent ainsi les poursuites judiciaires – vont essayer de faire condamner des patrons à de telles sommes. "C'est déjà arrivé par le passé et on peut donc s'attendre à de nouvelles tentatives… Je connais bien le problème pour avoir eu à défendre [avec succès, NDLR] des sociétés et des chefs d'entreprise dans de telles situations", explique l'avocate. "Pourtant, pas plus qu'hier, cette volonté ne reposerait sur un fondement juridique solide !"
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