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PV radars – Dénonciation obligatoire des salariés par leur patron : gare aux bobards !

Dans Pratique / Radars

Stéphanie Fontaine

On assiste à une véritable propagande, selon laquelle les patrons n'auraient d'autre choix que de dénoncer systématiquement leurs salariés, sous peine d'écoper d'une amende astronomique. La réalité juridique de cette affaire est pourtant bien plus nuancée qu'elle n'y paraît. La preuve avec la jurisprudence de la Cour de Cassation, la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français, que Caradisiac a réussi à dénicher…A la suite de la mise en ligne de cet article, le Ministère de l'Intérieur a demandé la publication d'un droit de réponse. Vous pouvez en prendre connaissance ici.

PV radars – Dénonciation obligatoire des salariés par leur patron : gare aux bobards !

La mésinformation se propage à vitesse grand V. À en croire ce brouhaha, les patrons ont désormais l'obligation de dénoncer leurs salariés, faute de quoi ils s'exposent à une amende dont le montant

Les nouveaux textes qui créent la discorde

Le L121-6 du code de la Route : selon ce nouvel article, les patrons doivent "indiquer (…) dans un délai de quarante-cinq jours (..) l'identité et l'adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule". Dans le cas contraire, les patrons s'exposeraient à une "amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe", dont le montant forfaitaire est fixé à 135 euros (minoré à 90 € et majoré à 375 €)… Sauf que d'autres articles du code de la Route, plus anciens, restent bel et bien applicables.

Le 530-3 du code de Procédure pénale : quand "les amendes forfaitaires (...) et les amendes forfaitaires majorées s'appliquent à une personne morale, leur montant est quintuplé", stipule-t-il. Sauf qu'en matière d'infractions routières, les amendes ne concernent jamais des personnes morales !

est multiplié par cinq par rapport à celui habituellement encouru.

"Si l'employeur n'indique pas le nom de la personne au volant, il devra s'acquitter d'une amende de 750 euros", nous indique-t-on par-ci. "Les dirigeants refusant de désigner leurs salariés s’exposeront à une amende majorée allant jusqu’à 1 875 euros", nous assure-t-on par là. Le ministère de l'Intérieur ne pouvait sans doute pas rêver de meilleurs relais pour imposer sa nouvelle loi !

Sauf que derrière cette propagande se cache une réalité juridique loin d'être aussi tranchée. Et si cette obligation par les patrons de dénoncer leurs salariés, pourtant inscrite noir sur blanc au nouvel article L121-6 du code de la Route, n'était qu'une… apparente obligation ?

Les 5 principes à retenir pour déjouer la propagande ambiante

1. Que les patrons paient sans dénoncer, cela reste bien possible et légal !

"Il n'y a qu'à étudier les nouveaux avis de contravention, envoyés depuis ce 1er janvier - et la mise en application de cette pseudo-dénonciation obligatoire -, pour s'en rendre compte", relève Caroline Tichit, avocate spécialisée dans le code de la Route. "Leur rédaction a à peine évolué. Et il suffit de suivre les instructions qui y sont mentionnées pour comprendre que 'le représentant légal de la personne morale', à qui appartiendrait un véhicule flashé, a bien toujours la possibilité de payer la contravention sans désigner qui que ce soit. Exactement comme avant !"

Comment pourrait-il en être autrement de toute façon ? Les patrons aussi peuvent en effet se retrouver au volant d'un véhicule de leur société. Qui d'autre devrait-il dès lors dénoncer quand ils sont eux-mêmes responsables de l'infraction ? Ce cas de figure a beau être ignoré par la propagande actuelle, il n'en reste pas moins que les patrons, aussi, profitent du système (voir notre encadré ci-dessous). Quand ils conduisent une voiture de leur société, la plupart du temps, ils n'ont ainsi aucun point retiré une fois leur contravention payée (et ce, alors même que ce paiement vaut bien reconnaissance de leur culpabilité)… Un privilège qui n'est apparemment pas près de leur échapper !

Il est à noter également qu'en dehors du nouvel article L121-6 du code de la Route, les autres dispositions prévues par ailleurs, en particulier aux articles L121-2 et L121-3 du code de la Route, n'ont pas été dans le même temps supprimées. "Ce qui existait avant cette nouvelle règle demeure donc valable aujourd'hui", insiste Me Tichit.

2. Quand les salariés dénoncés contestent leur PV-radar en assurant qu’ils ne conduisaient pas, ils sont généralement totalement relaxés !

Le rappel du contexte, à l'origine de la loi

Ce sont les titulaires des certificats d'immatriculation qui sont destinataires des PV dressés sans interpellation (radars, vidéoverbalisation, PV au vol ou à la volée). Et quand le véhicule est au nom d'une personne morale, la contravention est envoyée au représentant légal de cette personne morale – c'est-à-dire au dirigeant de cette entreprise.

Quel que soit le cas de figure, les PV sont rédigés de la même façon : systématiquement, ils font peser une présomption de culpabilité sur leurs destinataires. Du coup, si ceux-ci paient sans sourciller, cela veut dire qu'ils reconnaissent les faits. Théoriquement, les points en jeu doivent leur être automatiquement retirés de leur permis.

En pratique, c'est bien ce qui se passe quand il s'agit de voitures particulières, mais pas quand il s'agit de véhicules de société. Là, les points sont rarement retirés aux patrons, pourtant bien destinataires des PV. De fait, ils profiteraient - et par voie de conséquence jusque-là, leurs salariés aussi - d'un bug administratif. Et, officiellement, l'entrée en vigueur de cette pseudo-obligation de dénoncer devrait permettre de remédier au problème…

La jurisprudence de la Cour de Cassation, la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français, est on ne peut plus claire sur le sujet : un salarié d’une entreprise, même "titulaire d’une délégation de pouvoir, ne peut pas être déclaré redevable pécuniairement de l’amende encourue en cas d’excès de vitesse commis avec l’un des véhicules de la société (…). C’est le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule qui doit être condamné (…) et, lorsque le véhicule appartient à une personne morale, son représentant légal (Crim., 13 octobre 2010, Bull. crim. 2010, no  159, pourvoi no 10-81.575)."

En clair, un salarié qui conteste l'infraction, en niant simplement les faits, sans même avoir de preuve de son innocence, ne peut qu'être totalement relaxé (pas d'amende, pas de retrait de point), à moins bien sûr que le ministère public - la partie poursuivante au tribunal - ne puisse rapporter la preuve de sa culpabilité. Or, comme le savent tous les spécialistes du système automatisé, celui-ci fonctionne justement sans aucune preuve de la culpabilité des véritables fautifs. Il faudrait sinon que les photos prises par les radars permettent de reconnaître de manière sûre et certaine les conducteurs, ce qui n'est, sauf exception, jamais le cas… Déjà parce que la très grosse majorité des clichés sont pris par l'arrière.

Alors que le but recherché par le gouvernement, c'est de faire en sorte que les conducteurs de véhicules de société ne puissent plus éviter le retrait de point, en procédant ainsi, c'est justement prendre le risque de voir se multiplier les contestations des salariés désignés, quasi assurés de pouvoir échapper à toute sanction, soit non seulement au retrait de point, mais aussi au paiement de l'amende !

3. Quand les entreprises paient elles-mêmes les contraventions, c’est tout à fait illégal !

On ne compte plus les communiqués internes, les témoignages dans la presse laissant entendre que ce sont les entreprises elles-mêmes qui paient les PV reçus par La Poste. Puis, les salariés s'engageraient à les rembourser dans un délai raisonnable. Certaines boîtes pratiqueraient même des retenues sur salaire. Tout cela est tout à fait illégal ! Là encore, la jurisprudence de la Cour de Cassation est limpide.

On comprend bien que les patrons puissent s'arranger avec leurs salariés, mais cela ne doit aucunement apparaître dans les comptes de l'entreprise. Officiellement, cette "redevabilité pécuniaire" pèse sur le dirigeant à titre personnel, aucunement sur sa société. Gare aux délits d'abus de biens sociaux !

4. Quand les entreprises – ou même leurs dirigeants - paient les PV, tout en dénonçant dans le même temps leurs salariés, c’est aussi 100 % illégal !

"Le chef d'entreprise a le choix entre payer spontanément la contravention, la contester ou dénoncer la personne qu'il pense responsable. Mais il n'a droit qu'à un seul de ces choix ! En aucun cas, il ne peut payer tout en dénonçant, et ainsi prendre le risque de priver ses salariés de leur droit de défense les plus élémentaires", fustige Me Tichit.

S'il fait le choix de dénoncer systématiquement ses salariés, ce qui est son droit, il a seulement à indiquer leurs coordonnées (identité, adresse, voire numéro de permis), via le formulaire joint à l'avis reçu. Point.

C'est ensuite à l'administration de renvoyer l'avis de contravention à la personne désignée. Et, à son tour, celle-ci aura le choix entre la payer spontanément, la contester ou dénoncer la personne qu'elle pense responsable si elle considère que sa dénonciation est une erreur.

5. En aucun cas, un patron ne devrait être condamné au quintuple de l’amende encourue !

La supposée amende multipliée par cinq pour les patrons récalcitrants se révèle être pour sa part tout simplement illégale ! "La nouvelle loi évoque bien une amende quintuplée, mais uniquement pour les 'personnes morales', soit les entreprises", explique Me Tichit. Or, poursuit-elle, "ce ne sont jamais les entreprises elles-mêmes qui peuvent être poursuivies, ni tenues pour responsables quand il s'agit d'une infraction routière. Ce sont leurs représentants légaux, soit les patrons !"

La jurisprudence de la Cour de Cassation est sur ce point aussi sans appel : "lorsque le certificat d'immatriculation d'un véhicule verbalisé pour excès de vitesse est établi au nom d'une personne morale, seul le représentant légal de celle-ci peut être déclaré redevable pécuniairement de l'amende encourue" !

Maintenant, si la Cour de Cassation s'est déjà prononcée sur un tel sujet, c'est bien que des tentatives, pour faire condamner les patrons à de telles sommes, ont existé. Et il ne fait guère de doutes que de nouveaux assauts seront prochainement tentés. Méfiance…

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