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Privatisation des voitures-radar : plus chère pour l'État et… prête avant Noël ?

Dans Pratique / Radars

Stéphanie Fontaine , mis à jour

Ça y est, le contrat pour confier la conduite des 26 mobiles-mobiles de la région Normandie à des chauffeurs privés a été signé. Selon l'avis d'attribution que Caradisiac a déniché, l'État l'a conclu le 18 octobre dernier pour une valeur totale de 10,25 millions d'euros. C'est donc plus cher que prévu, et c'est l'entreprise Challancin, spécialisée dans la sécurité et le nettoyage, qui en profitera. Attention, compte tenu de la "date de conclusion" de ce marché public, celle-ci pourrait commencer à rouler et contrôler les routes normandes d'ici quelques jours seulement. En tout cas, sûr, cette privatisation devra être effective avant le 24 janvier !

Privatisation des voitures-radar : plus chère pour l'État et… prête avant Noël ?

Le marché public ayant "pour objet des prestations de conduite de véhicules radars en région Normandie" a été conclu le 18 octobre dernier, vient de découvrir Caradisiac. Surtout, selon l'avis d'attribution de ce contrat étudié, il devrait en coûter au ministère de l'Intérieur quelque 10,25 millions d'euros - hors taxes - sur quatre ans, soit quelque 2,25 millions de plus que ce qui était initialement prévu. En l'occurrence, c'est l'entreprise Challancin, spécialisée dans les activités de nettoyage et de sécurité, jusque-là inconnue sur le secteur de la sécurité routière, qui a été choisie pour faire circuler les 26 radars mobiles-mobiles prévus dans cette région.

Manifestement, le contrat était alléchant : 20 sociétés se faisaient concurrence dans cet appel d'offres. Selon nos informations, Challancin n'était d'ailleurs pas la moins chère d'entre elles, ce serait donc "sur sa proposition technique qu'elle l'a emporté", comme nous le confie un proche du dossier.

Avant ou après Noël ?

Alors, à quand les premières voitures-radar conduites par un seul chauffeur issu du privé, en lieu et place des deux gendarmes ou des deux policiers à bord jusque-là ? Si l'on se base sur cette date officielle "de conclusion du marché", soit le 18 octobre, le groupe Challancin pourrait être contraint de commencer à les faire tourner avant le… 18 décembre ! Car selon les prescriptions du contrat que Caradisiac a également récupéré, il a en effet tout au plus deux mois pour se préparer, à compter de "la notification du marché".

Alors qu'en est-il vraiment ? En fait, la date de conclusion du marché doit être considérée comme "celle de la décision d'attribution (18/10/2017 : date à laquelle s'est réunie la commission d'appel d'offres)", nous a précisé la Sécurité routière, en ajoutant que la "date de notification du marché est intervenue le 24 novembre 2017". Du coup, les premiers véhicules seraient plutôt attendus au plus tard pour le 24 janvier. Et l'on peut supposer que rien ne se mettra vraiment en place avant les fêtes de fin d'année…

Un marché risqué

C'est en tout cas un contrat à haut risque juridique que Beauvau vient de conclure, si l’on en croit une note interne à la Sécurité routière, publiée par le journal en ligne Reflets.info. Dans cette note, datée du 9 mars 2016, et adressée au directeur de cabinet de Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur de l’époque, par le délégué interministériel à la Sécurité routière, Emmanuel Barbe, on comprend bien les inquiétudes qui entourent ce futur contrat : celui-ci pourrait "être regardé comme un prêt (...) de main-d’œuvre", strictement interdit par le code du Travail.

Or, selon le discours officiel que l'on nous sert depuis des mois, le ministère de l'Intérieur ne veut avoir affaire qu'à de simples chauffeurs qui "n'ont rien d'autre à faire qu'à conduire des véhicules, appartenant à l'Etat, sur des itinéraires que lui-même aura au préalable fixés"… Difficile d'y voir un quelconque savoir-faire qui ne serait pas de la compétence des policiers, ni des gendarmes.

"Si la qualification pénale de délit de prêt illicite de main-d’œuvre devait être retenue, la société prestataire et la personne publique commanditaire pourraient alors toutes deux faire l’objet de sanctions pénales", expose Emmanuel Barbe dans cette note. Et le contrat en cause pourrait carrément être annulé, avec pour l'Etat "l'obligation de recruter ces personnels [soit ceux de Challancin, NDLR], ce qui n'est pas envisageable", ajoute le délégué. Même s'il est loin d'être évident que les salariés et les fonctionnaires concernés seraient susceptibles d'être intéressés par une telle affaire en justice, le risque de voir ce contrat capoter n'en reste pas moins bien réel.

8 millions de kilomètres contrôlés en Normandie

Pour rappel, il ressort des pièces du contrat que l'entreprise Challancin sera principalement payée au forfait, lequel sera surtout basé sur le nombre de kilomètres parcourus avec le radar en fonctionnement. Soit, au total, 8 millions de kilomètres prévus sur la durée du contrat, à raison de 6 à 8 heures de conduite par jour. Les plages horaires pourront aussi bien avoir lieu en journée qu'en soirée, ou durant la nuit, ainsi que tous les jours de la semaine, y compris donc le week-end et les jours fériés. Le but recherché de cette privatisation, c'est de toute façon de multiplier l'utilisation de ces voitures-radar, qui ne sortiraient en moyenne qu'une heure par jour.

Chaque mois, Challancin aura une feuille de route à respecter avec des parcours apparemment bien précis à réaliser, et avec "un nombre de passages déterminé sur des tracés et des plages horaires imposés", dixit les documents du contrat analysés. Ce programme sera majoritairement – "environ 80 %" – constitué de "parcours récurrents", et pour les 20 % restants, de "parcours ciblés", mis en place au moment "de grands événements ponctuels (tels que manifestations culturelles et sportives, festivals, grands départs en vacances)", entre autres.

Dans ces conditions, il paraît évident que le nombre de PV dressés via ces radars mobiles de nouvelle génération (RMNG), capables de flasher en roulant, ne peut que progresser. Seule la Normandie est certes concernée pour l’instant, mais il est bien prévu d'étendre ce même processus à toutes les régions de France progressivement.

Selon le bilan officiel de 2016 - encore plus opaque que les années précédentes -, les radars automatiques ont généré un total de 16,05 millions de PV (+20,6 %) et 920,3 millions de recettes. Selon nos calculs, les 383 mobiles-mobiles en service l'an dernier ont "dressé" à eux seuls environ 1,5 million de prunes, pour un chiffre d'affaires estimé à près de 100 millions d'euros. Une fois cette privatisation généralisée à toute la France, ce sont alors 8 millions de contraventions et 500 millions d'euros de recettes par an qui pourraient être attendus avec ces seules voitures-radar.

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