Nouveau malus C02 : la taxe impuissante
Gros micmac autour du bonus-malus : ces six prochains mois, trois modes de calcul vont se succéder. Ce qui risque de congeler le marché automobile une bonne moitié de l'année. Mais n'empêchera pas la terre de se réchauffer.
Pour faire court, en plus d'un barème abaissé et renchéri à partir de janvier et basé sur le cycle NEDC "corrélé" (durci pour compenser la sous-estimation des émissions), un nouveau malus apparaîtra dans le courant du premier semestre 2020 - quand ? on ne le sait pas encore - basé lui sur les mesures WLTP beaucoup plus réalistes et donc sévères. Pour amortir le choc, le seuil de déclenchement du barème sera relevé à 138 g/km.
En clair, euh... c'est très compliqué et vous trouverez tous les détails dans l'article de Florent Ferrière : Malus automobile 2020, deux nouveaux barèmes plus sévères.
Ce que l'on sait déjà, c'est qu'il sera moins coûteux d'acheter certaines autos après la prise en compte du barème WLTP, donc - au plus tard - passé le 1er juin et pour d'autres, avant cette date. Mais dans presque tous les cas, les malus grimperont après le 1er janvier. Avec des écarts dépassant les 5 000 € sur certaines autos et atteignant couramment les 1 000 €.
Des concessionnaires aux constructeurs en passant par les importateurs, les professionnels de la prophétie s'arrachent les cheveux et on risque bien d'avoir du chômage technique dans les usines.
Et pourquoi pas un malus sur le poids ?
D'autant qu'il pourrait y avoir une surprise... Lors des discussions en commission sur le projet de loi de finances pour 2020, trois amendements proposent d'ajouter à l'actuel malus C02 une taxe supplémentaire sur le poids des voitures. Elle serait de 15 € par kilo au-delà de 1 300 kg pour les thermiques et de 1 700 kg pour les électriques. Avec, comme pour le malus C02, une tolérance pour les familles nombreuses : 300 kg par enfant à partir du troisième enfant et 550 kg pour les électriques. Cible clairement désignée, les gros SUV et monospaces avec une pénalité moyenne de 1 500 € pour un Peugeot 3008 et de 3 000 € pour un Renault Grand Scénic.
Ajouté à l'actuel malus C02, le malus "kilo" gonflerait en moyenne de 20 % le prix de tout ce qui dépasse du format familiale compacte ou petit SUV. Autrement dit, les condamnerait à la disparition pure et simple.
Sachant que ces voitures moyennes sont les dernières que PSA et Renault construisent encore en France - le Scénic à Douai, le 3008 à Sochaux, les 5008 et C5 Aircross à Rennes - on peut espérer qu'un éclair de lucidité illumine les travées de l'Assemblée à l'instant du vote.
Le malus C02, moins fort que le SUV
On pourra dire ce que l'on veut, que le gouvernement affaiblit l'industrie automobile, achève ce qu'il restait du haut de gamme, favorise les délocalisations des usines, met la pression sur les ménages (et les entreprises qui achètent une voiture neuve sur deux), fait payer aux familles rurales le bonus écolo des "voitures électriques des bobos", il faut lui reconnaître une vraie persévérance dans sa volonté d'abaisser les émissions de CO2 du parc automobile français.
Hélas sans succès : à cause de la vague du SUV (37 % des immatriculations), de son influence à la hausse sur les autres carrosseries et de la chute du diesel, ses émissions augmentent depuis trois ans.
En 2008, quand est apparu le bonus-malus, j'aurais parié le contraire : je voyais déjà la mode américaine du SUV tuée dans l'œuf, l'allongement et l'abaissement des citadines devenues familiales, la disparition des gloutons monospaces, la généralisation du profil aérodynamique des Toyota Prius, le retour des petits moteurs de 50 ch, un allègement en dessous de la tonne en ordre de marche. Et au final, des émissions de C02 en chute libre.
Au lieu de ça, on a eu au palmarès des ventes les parpaings Renault Captur et Peugeot 3008 avec des puissances à trois chiffres et des consommations délirantes sur les versions essence et pas reluisantes sur les diesels.
Raoul, Robert et Raymond achètent une voiture :
qui reste dans le bateau ?
La limite du malus est qu'il ne concerne que les voitures neuves et que celles-ci sont achetées par la frange la plus aisée de la population, 57 ans en moyenne - contre 44 en 1991.
Que chaut à Raoul, 58 ans, prêt à débourser 25 ou 35 000 € - et donc déterminé à se faire plaisir - une pichenette de 500 ou 700 € sur la facture de son 3008, sachant que plus aucun prix catalogue n'est crédible et qu'il a déjà négocié un rabais de 15 ou 20 % plus les tapis de sol et deux ans d'extension de garantie ? Dites lui que cette voiture malussée va consommer 0,50 l/100 km de plus que le modèle inférieur qui ne l'est pas, ça lui touchera la carte Vitale sans faire bouger sa carte bleue.
Robert, 42 ans, qui lui rachètera sa voiture pour 9 000 € dans quatre ans ne payera pas de malus mais sera davantage sensible à la consommation. Un demi-litre de trop aux cent kilomètres, il sait que c'est trois billets de 50 € par an mais il n'a pas vraiment le choix - quasiment impossible de trouver un Peugeot 3008 HDI 100 ch et même le bien plus sobre break 308 se fait rare. Car ce n'est pas l'acheteur d'occasion qui façonne le marché automobile et parle à l'oreille des marketeurs et designers.
Encore moins Raymond, 28 ans, qui l'en débarrassera six ans plus tard en troisième main pour 1 000 ou 2 000 €. Et qui, lui, prendra de plein fouet une remontée du baril à 100 $ et le gazole à 2 €.
A ce moment-là, Raoul, lui, passera à l'hybride ou à l'électrique.
Que les différents systèmes de malus européens aient été impuissants à transformer l'automobile, et même tout simplement à empêcher le SUV de dépasser le tiers des ventes, est regrettable mais anecdotique.
En revanche, c'est dramatique à l'échelle planétaire car c'est l'Europe et le Japon qui donnent le "la" au marché automobile mondial. C'est dans nos films, nos publicités, par le spectacle de nos rues que se façonne le goût de l'acheteur chinois ou indonésien. L'échec de la microvoiture de l'indien Tata, des Citroën et Peugeot chinoises et de bien des petites autos locales ne s'explique pas autrement.
Monsieur Wang et Monsieur Ganesh veulent désormais leur SUV à huit-dix litres aux cent et pas d'une Citroën Xsara améliorée.
Qu'il leur faille une tonne et quelques de ferraille pour se transporter au boulot, à portée de vélo ou de moto, leur est devenu une évidence. Comme à nous tous de ce côté-ci de la planète.
Que partout sur la planète se créent des bouchons dantesques semble être un indice de développement économique. Que malgré les progrès des motoristes, dans toutes les mégalopoles de l'hémisphère Sud, la pollution locale - je ne parle même pas de réchauffement climatique - s'aggrave à en faire crever les bébés et les vieillards, n'empêche pas de continuer à infuser partout le modèle de la société automobile.
En grande partie par notre faute : c'est notre industrie - et celle du Japon - bien plus que celle des Etats-Unis, qui diffuse ses standards, ses silhouettes, ses catégories. Et même ses ingénieurs, ses plateformes et ses moteurs. C'est Detroit qui a inventé le SUV, mais nous et les Nippons qui l'avons propagé.
Quand l'Afrique, l'Inde, la Malaisie, le Vietnam, l'Amérique du Sud, se seront motorisés à notre égal, à notre exemple, à notre instigation et finalement à nos dépens à tous, il sera trop tard pour nous dire que si on avait su, c'était peut-être eux que nous aurions dû imiter, à cinq sur le scooter ou à vingt dans la camionnette.
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