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La beauté des laides - Citroën Axel : déja vieille au moment de son lancement

Dans Rétro / Géants de l'industrie

Michel Holtz

La petite auto née en 1982 aurait pu être une grande citadine. Si sa ligne n'avait pas douze ans de retard, si son moteur ne consommait pas comme un camion, si son assemblage n'était pas si aléatoire et si elle ne tombait pas en panne si fréquemment. Avec des "si", on réinventerait l'histoire de l'automobile, et l'Axel en serait peut-être à sa sixième génération couronnée de succès.

La beauté des laides - Citroën Axel : déja vieille au moment de son lancement

Imagine-t-on la Citroën C3, deuxième du nom, dévoilée en ce printemps 2021 ? On n'ose même pas envisager l'affaire, car on imagine ce que l'auto, et ses lignes datées de 2009, pourraient subir sur les réseaux sociaux et dans les médias. Et pourtant : commercialiser une auto douze ans après en avoir gelé le design, c'est bien ce que les Chevrons ont fait, en 1984, en lançant la Citroën Axel.

L'eldorado roumain

Tout avait pourtant commencé par une bonne affaire, de celles qu'un P.-D.G. ne saurait refuser. Nous sommes en 1976 et le patron de Citroën s'appelle George Taylor. Nommé par Peugeot deux ans auparavant, au moment où le Lion a racheté les Chevrons, il écope d'une mission difficile : sauver la boutique, en grande difficulté. Il s'y applique, lançant cette année-là la LN, une auto hybride mixant les soubassements de la Peugeot 104 avec un moteur de Citroën Dyane. En parallèle, Taylor a une idée en tête : développer des alliances internationales. Né en Roumanie, dont il connaît la langue et les usages, il apprend que son sinistre président dictateur Nicolae Ceausescu souhaite développer l'industrie automobile. On peut être un tyran sans pour autant négliger les affaires, et la Roumanie a noué un acord économique avec l'Union Européenne dès 1974.

Un coupé Visa ? Non une Axel à deux portes.
Un coupé Visa ? Non une Axel à deux portes.

Un partenariat est d'ailleurs déjà en cours entre Renault et la marque roumaine Dacia en cette année 76 et Taylor de se dire qu'il y a peut-être moyen de tirer quelques subsides en profitant lui aussi des deniers de l'État roumain et de la main-d’œuvre locale. Le business a souvent ses raisons que la morale réprouve. Rapidement, Ceausescu lui dit "banco", ou plutôt "bine", en roumain. De cet accord naît l'usine Olticit à Craiova en Olténie, la région roumaine ou l'unité de production a été construite.

Le projet Y est déterré

Une fois sortie de terre, l'énorme usine doit être capable d'assembler 130 000 voitures par an. Reste à trouver un modèle. Justement, dans les tiroirs de Citroën traîne un vieux projet baptisé Y. Il date du début des années soixante-dix et était destiné à un autre partenariat signé à l'époque entre Citroën et Fiat. Le premier devait utiliser la base de la 127 du second. Mais lorsque Peugeot a pris les rênes des Chevrons, le projet Y a continué à être développé sans l'aide de l'Italie. Il est même achevé lorsque le Lion exige d'y mettre un terme, pour qu'il ne soit pas un obstacle à sa petite 104.

Coucou, vous avez vu que l'aile arrière recouvre la roue, comme sur une DS ?
Coucou, vous avez vu que l'aile arrière recouvre la roue, comme sur une DS ?

Les ingénieurs de Citroën en nourrissent quelque ressentiment et du coup, George Taylor voit dans le partenariat avec la Roumanie l'occasion de faire une triple bonne action : faire renaître le projet Y pour lancer la production en Roumanie, contenter du même coup ses troupes, et rassurer Peugeot, puisque la nouvelle auto ne sera pas vendue en France.  Reste à lui trouver un nom à cette nouvelle auto : ce sera l'Olticit en toute logique, contraction d'Olténie et de Citroën.

Une fois les contrats signés, il n’y a plus qu’à fabriquer les autos et les vendre. Sauf qu’il faudra cinq ans pour y parvenir, entre les retards administratifs et les ratés de la production. Ce n’est qu’en 1982 que les premières Olticit foulent le sol des pays de l’Est. Mais les fruits de la coentreprise tardent à mûrir. La petite auto se vend mal et en plus, la Roumanie refuse de verser sa quote-part - pourtant prévue par l’accord - à Citroën. Las d’attendre, le Français accepte de se faire payer en nature et se voit attribuer des milliers d’Olticit chaque année. Mais en changeant de pays, elles changent aussi de nom, pour devenir Axel.

Il faut démonter et remonter les autos déjà assemblées

Mais le passage à l’Ouest de l’auto ne se traduit pas seulement par un nouveau logo collé sur son hayon. Car en les examinant à leur descente de camion, c’est la consternation. Pas question de les livrer directement en concession : la qualité d’assemblage n’est pas du tout aux normes du marché européen. Il va falloir dédier une chaîne entière dans l’usine d'Aulnay-sous-Bois au nord de Paris pour les désosser et les remonter correctement afin de servir la France et le Benelux. Ce n’est qu’en 1984 que les premiers modèles sont commercialisés discrètement.

Une discrétion qui tranche avec les habitudes maison. C'est que, depuis le début des années cinquante et le règne de Jacques Wolgensinger, directeur de l’information comme on disait alors, mais surtout inventeur de la communication automobile moderne, le lancement d’une nouvelle Citroën est un énorme show événementiel et publicitaire. Mais l’Axel n’y a pas droit. Les journalistes ne sont pas conviés, et doivent pleurer auprès de la marque pour arriver à en tester une.

Tu es sûre que les œufs ne vont pas casser si on éclate un pneu ?
Tu es sûre que les œufs ne vont pas casser si on éclate un pneu ?

Ce lancement en douce est évidemment guidé par le manque de motivation. Citroën ne croit pas en son Axel. Sa fiabilité est en cause. Certains moteurs n'atteignent pas 10 000 km, les pneus ont une fâcheuse tendance à éclater et la consommation dépasse les 9 l/100 km. C'est beaucoup pour un moteur certes pétulant, mais qui ne dépasse par les 57 ch au lancement, et 61 plus tard. Quant à la direction, elle est aussi camionnesque que la consommation. Et puis, l’Axel accuse son âge. Sa ligne fait songer à celle d’une Visa, en moins réussie et à deux portes seulement. Sauf que cette dernière est sur les routes depuis 6 ans. Alors, seules quelques pages de pub sont achetées dans les magazines de l’époque qui mettent en avant son prix : 37 000 francs, soit 10 800 euros d’aujourd’hui.

Une pionnière arrivée trop tôt

La commercialisation va durer quatre ans. Et pour une distribution sans promotion, le score n'est pas catastrophique puisque plus de 60 000 Axel vont trouver preneur. Mais c'est évidemment beaucoup trop peu pour une auto pas chère et censée faire de gros volumes. Pas chère ? Gros volumes ? Mais c'est la définition exacte du low cost. En plus, la production est roumaine, le pays où naîtra, 20 ans après l'Axel, la première Dacia Logan qui a ouvert la voie a d'autres modèles et à un succès mondial.

Voilà qui éclaire l'Axel d'une autre lumière que celle d'une auto plutôt mal foutue qui lui colle à la peau. Flop de l'histoire de l'automobile, il s'en est fallu de deux décennies pour que l'Axel se transforme en pionnière.  Et si en 1984, PSA avait poussé les ventes de la petite roumaine comme Louis Schweitzer, puis Carlos Ghosn qui lui a succédé, l'ont fait dès 2004 pour Dacia, le sort du groupe Peugeot-Citroën en aurait peut-être été changé.

D'ailleurs Jacques Calvet, PDG de PSA dans les années 80 et 90, était conscient de ce que la petite roumaine aurait pu représenter pour son groupe. Interrogé à ce sujet après le succès de Dacia, il s'est contenté de répondre qu'"il ne faut jamais avoir raison trop tôt". On continuera donc de se moquer de l'Axel et de louer la Dacia.

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