Il y a 50 ans, généralisation des limitations de vitesses en France, pour un effet mitigé...
Le 29 juin 1973, une limitation de la vitesse à 100 km/h était instaurée sur toutes les routes françaises (à l’exclusion des autoroutes), une première fois 1945. Ce, dans un contexte dramatique en termes de sécurité, puisque plus de 16 000 personnes avaient perdu la vie dans un accident de la voie publique en 1972… Mais les effets de cette mesure seront très limités !
Contrairement à ce que l’on croit, les limitations de vitesse ne datent pas de 1973 en France. Les premières sont en effet apparues dès… 1893, de façon locale. Le code de la route, instauré en 1921, ne stipule, cela dit, initialement qu’une vague notion de « rester maître de son véhicule », et il faut attendre 1962 pour qu’une régulation à 60 km/h soit pérennisée en ville. Néanmoins, à partir de la fin des années 50, des expérimentations sont régulièrement lancées pour voir l’effet qu’ont des limitations de vitesse sur des tronçons et des dates particuliers. Elles ne sont pas forcément concluantes.
On savait dès le début que les limitations avaient un effet... presque nul !
Par exemple, en juin, juillet et août 1970, 13 000 km de route se voient limités à 110 km/h. Résultat, par rapport à la même période sur 1969, le nombre de morts sur ces voies ne baisse que de… 66, soit – 12 %. Et dans le même temps, il augmente de 10 % en agglomération.De sorte que le bilan humain est globalement alarmant sur les voies françaises. Ainsi, malgré l’expérimentation, 1970 est en apparence pire que 1969, avec + 3,3 % de décès, soit un total de 15 034.
Et pourtant, en 1970, on introduit un taux l’alcoolémie limite : passé 0,8 g/l, on est en infraction, et à partir de 1,2 g/l, on devient délinquant. Peut-être cette mesure a-t-elle eu une influence. Par ailleurs, dès le 1er janvier 1971, tous les véhicules neufs doivent s’équiper à l’avant de ceintures de sécurité à trois points. Une amélioration qui, bien sûr, n'a pas d'effet immédiat, puisque le port n'est pas obligatoire. En tout cas, le nombre de morts par accident de la route atteint un pic en 1972, 16 545 personnes perdant la vie. C’est un véritable problème de santé publique.
Les autorités n’ont pas d’idée géniale à proposer. Le gouvernement Messmer crée simplement, en 1972, le poste de délégué interministériel à la sécurité routière, occupé par M. Christian Gérondeau. Puis, le 29 juin 1973, après une forte campagne médiatique, (la ville de Mazamet, le 17 mai 1973, organise une manifestation spectaculaire où ses 16 000 habitants se couchent par terre pour donner une idée au grand public de ce que représente l’hécatombe routière), des limites permanentes sont instaurées : 100 km/h sur route et 110 km/h sur voie express. Les autoroutes ne sont concernées qu’en décembre : 120 km/h maximum ! A ce moment, le 100 km/h autorisé devient 90 km/h. Le nombre de morts ? 15 469, soit un repli de 6 %, donc rien de très marquant, contrairement au discours officiel. Des baisses avaient d'ailleurs déjà été enregistrées en 1966 et en 1969.
Ajoutons qu'en 1973, deux autres mesures cruciales et souvent oubliées entrent en application : le port obligatoire de la ceinture de sécurité hors agglomération, et du casque pour les motos. Ce qui relativise encore l’influence des limitations de vitesse… Celles-ci sont d’ailleurs présentées comme temporaires. Comme la vignette.
Le Président de la République Georges Pompidou y est peu favorable. Il fait pression pour qu’en 1974, la limite sur autoroute soit relevée à 140 km/h, et 115 km/h (!) sur voie express. Mais, après son décès et l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, les limites changent encore : 110 km/h sur voie express et 130 km/h sur autoroute.
En ajoutant la marge d’erreur des radars (10 %), on peut donc rouler sur ces dernières jusqu’à 143 km/h réels sans être inquiété. Or, en 1974, une telle allure excède les capacités maximales de bien des modèles les plus vendus en France : une Peugeot 204 ou une Simca 1100 (hors Special et TI) plafonnent à un petit 140 km/h. Sans oublier que ces modèles « tirent court », c’est-à-dire que leurs moteurs hurlent à près de 6 000 tr/mn à ces vitesses. Ce qui signifie vacarme et consommation élevée.
Ce dernier point revêt une importance toute particulière. En effet, fin 1973 éclate la guerre du Kippour, avec pour conséquence une hausse sensible (+ 20 %) du prix des carburants, ce qui a un effet sur les vitesses pratiquées et le kilométrage effectué, celui-ci reculant légèrement en 1975 (254,1 milliards de véhicule.km parcourus contre 254,3) selon l’Onisr.
Port de la ceinture et du casque obligatoires, hausse du prix des carburants, autant d'éléments qui obligent à relativiser l'importance des limitations de vitesse sur la mortalité routière. Ainsi, en 1976, quand le prix des carburants chute, les gens roulent davantage (276,2 milliards de véh.km)… et perdent un peu plus la vie sur les routes : 13 577 décès contre 12 996 en 1975 et 13 327 en 1974. Stagnation !
Limiter la facture pétroliere
En fait, les limitations servent surtout à limiter la facture pétrolière. Pourquoi ? Parce que les USA atteignent pic de production en 1971, ce qui engendre théoriquement une hausse des cours du baril, et donc incite nombre de pays à tenter de limiter les importations d'or noir. La guerre du Kippour, par-dessus le marché, a un effet turbo sur les prix à la pompe, ce qui permet en France de faire passer – difficilement – la pilule des limitations de vitesse.
Si la notre pays avait souhaité améliorer drastiquement et rapidement la sécurité routière, il aurait procédé comme le Royaume-Uni, qui a dépensé des fortunes dès la fin des années 60 (après un pic de 7 985 morts en 1966) pour totalement repenser et sécuriser son réseau : outre une limite fixée en 1967 à 70 mph (112 km/h) de façon permanente, en 1972, il compte déjà plus de 1 600 km d’autoroutes (gratuites), les axes les plus sûrs, contre à peine plus de 1 200 pour la France. Sans oublier la multiplication des ronds-points, la signalisation routière densifiée… On dénombre 7 763 décès routiers outre-Manche cette année-là, soit 50 % de moins que dans l'Hexagone, pour 363,8 milliards de km parcourus, soit presque 50 % de plus que chez nous. En clair, les routes sont 4 fois plus sûres de l'autre côté du Channel.
Chez nous, il faut attendre 2003 pour que le nombre de morts sur les routes connaisse une forte baisse. Pourquoi ? Parce que Jacques Chirac, réélu Président de la République en 2002 a fait de la sécurité routière une grande cause nationale. En conséquence, on observe une forte augmentation de la présence des forces de l'ordre sur le bord des routes. Résultat : 5 731 décès en 2003 contre 7 242 en 2002 et 7 720 en 2001. En clair, la peur du gendarme fonctionne très bien !
Seulement, en 2003, on commence à remplacer ces derniers par des radars automatiques (chose prévue en 2001 par un Lionel Jospin qui a tout mis en stand-by en vue de l'élection présidentielle de 2002). Et devinez quoi ? La chute de la mortalité ralentit (5 232 décès en 2004), car les boîtes à images sont bien moins dissuasives que le bleu sur le bord des routes. On compte même 5 318 pertes de vie en 2005, sauf qu'à partir de cette année, on se met à calculer les morts à 30 jours contre 6 précédemment.
Quoi qu’il en soit, la baisse du nombre de morts a été spectaculaire depuis 1973. Peut-on l’attribuer aux seules limitations de vitesses ? On a déjà vu que c'est très improbable. Surtout si on examine les choses sous un autre angle. Le chiffre brut des décès routiers, s'il est abondamment commenté, n'a guère de signification considéré isolément. Mieux vaut prendre comme indice le nombre de morts par milliard de véhicule.km. Plus il y a de monde sur les route, plus les possibilités qu'il y ait des accidents augmentent. A contrario, s'il n'y personne, aucun risque de s'y tuer ! Evidemment, tout ceci se nuance : trop de circulation engendre des embouteillages, et à l'arrêt, on ne va pas se tamponner les uns les autres...
La baisse de la mortalité routière a commencé dès les années 60
En tout, en reliant le nombre de décès aux kilomètres parcourus, on constate que la baisse de la mortalité a en réalité débuté, lentement, en 1963 (104 décès par milliard de véh.km, contre 111 en 1962). En 1972, année du pic du nombre de morts brut, on était à 77 décès par milliard de véh.km. On est ensuite passé à 66 en 1973, 57 en 1974, 53 en 1975, 54 en 1976, puis 39 en 1980, 27 en 1990, 16 en 2000, 10 en 2004, 7 en 2010 et 5,2 en 2021, la meilleure année avec 2018. Oui, il y a eu des hausses en 2013, 2014 et 2019, malgré des radars toujours plus nombreux ! Et même en 2022 : + 0,5 %, face à 2021, avec 3 260 décès.
A quoi imputer l'amélioration de la sécurité routière ? Largement aux améliorations du réseau routier malgré leur lenteur (la crise économique n'a certes pas aidé à suivre le schéma initial). En 1970, on dénombre 1 600 km d'autoroutes (les axes les plus sûrs), 5 200 km en 1981, 6 800 km en 1990, 10 000 km en 2000 et 12 000 km environ actuellement. L'amélioration de la sécurité des véhicules, tant passive qu’active, lente dès la fin des années 60 puis spectaculaire à partir des années 90 (les résultats des crash-tests de l'EuroNcap sont édifiants à cet égard), a joué, elle aussi, un rôle crucial.
De surcroît, rappelons que l’ABS (qui empêche le blocage des roues lors d'un freinage d'urgence) est obligatoire sur tous les véhicules particuliers neufs vendus en France depuis 2004, l’ESP (qui réduit nettement le risque de sortie de route) depuis novembre 2014, sans parler de la multiplication du nombre d’airbags, et de l’optimisation de la protection offerte par la structure des véhicules (l’Europe a joué un rôle important en la matière à partir de 1995)… L’obligation permanente du port de la ceinture à l’avant (1979), et à l’arrière (1990), ou encore l’abaissement du taux d’alcoolémie à 0,5 g/l (1995) ont également profité à la baisse de la mortalité. Parallèlement, la médecine a réalisé des progrès considérables, tout comme l'organisation des secours, avec, là aussi des effets bénéfiques.
Les limitations de vitesse, c'est pas cher et ça marque les esprits !
Avec le recul, en étant un peu taquin, on pourrait même se dire que l’instauration des limitations de vitesse généralisées, plus que servir la sécurité routière, a été le prétexte pour masquer la lenteur de l’amélioration du réseau, très critiquée au début des années 70. Donc, ces limitations, telles qu’elles ont été mises en place, auraient, pourquoi pas, été contre-productives pour préserver des vies.
Qu'on ne se méprenne pas : au-delà de la provocation, je pense qu'elles sont indispensables, surtout en ville et sur départementales/nationales. En revanche, on pourrait largement les relever sur certains tronçons autoroutiers lisses et peu fréquentés. Pas les supprimer, car les normes de fabrication des autoroutes sont insuffisantes vu la vitesse atteinte par la moindre citadine actuelle.
Il est une autre mesure qui aurait des effets immédiats pour la sécurité : rendre gratuites les autoroutes, qui sont les axes les plus sûrs. Elles le sont au Royaume-Uni, en Allemagne et en Suède, par exemple, autant de pays où la mortalité routière est nettement inférieure à celle de la France. Or, on prend le chemin exactement opposé en la matière !
Evidemment, une telle décision coûterait plusieurs dizaines de milliards d'euros, mais il serait intéressant de corréler ces coûts avec les économies que l'on réaliserait grâce à la chute du nombre d'accidents qu'elle entrainerait...
Maintenant, il appartient aux pouvoirs publics de remettre une fois de plus en état les routes, de lutter contre de nouveaux fléaux, en particulier la conduite sous l’empire de drogues (700 morts par an !), au lieu de s’arc-bouter sur la vitesse (ah, le fiasco du 80 km/h de M. Philippe en 2018) et de nous produire des clips de prévention toujours plus ineptes.
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