2. KTM 990 Duke (2024) - Sur route : le bon mix
Il y a longtemps que je n'avais pas mis les fesses sur une KTM de cet acabit sur route. Dernier souvenir en date, une autre Duke, 990 déjà, en 2005. Le premier modèle passé à l'injection après un lancement en 950, deux ans plus tôt.
Elle était une moto impressionnante à plus d'un titre, que l'on parle de sensations moteur ou de consommation. Une autonomie limitée du fait d'un réservoir de 15 litres, qui donnait une saveur particulière aux kilomètres parcouru sur fond de nervosité ou encore de vivacité, avec un freinage puissant et mordant à souhaits pour l'époque. À l'image de la moto. Elle laissait en tout cas un excellent souvenir, et quelques traces (sur la route comme dans l'esprit), y compris celle d'une finition artisanale et d'une instrumentation anecdotique, sans oublier des soucis de vieillissement au long cours pour les possesseurs passionnés. De même, les réglages de suspension et sa géométrie d'origine lui donnaient un côté sautillant dont il fallait particulièrement se méfier à l'attaque. Quant au confort, il était une notion subsidiaire sur ce roadster pour le moins turbulent.
La 990 Duke fait ses armes à Almeria
Se retrouver là, sur les petites routes de col étroites, bordées de précipices sans aucun garde-fou (un ruban de goudron accroché dans l'horizon) et surplombant la région d'Almeria, là, assis presque vingt ans plus tard sur sa descendante indirecte, ne réveille pourtant aucune nostalgie. Quoi que. Le moteur, en pleine santé et au comportement entièrement modulé par l'électronique, remue bien moins que par le passé, tout en se montrant plus linéaire, toujours énergique, mais sous contrôle. Le côté débordant semble appartenir au passé. Quoi que : il est possible de lui enlever tout filtre afin de retrouver une belle dose de nervosité et surtout commencer à torturer les pneumatiques en les contraignant au maximum.
L'expérience acquise par la marque (et pas seulement elle) en près de 20 ans, tout comme les progrès réalisés en matière d'ingénierie, sans oublier les normes anti pollution successives, n'ont eu de cesse de modifier le champ des possibles et le caractère des Duke. À présent, il est possible de régler le niveau d'anti patinage à la volée et depuis la gâchette au pouce et l'index gauche, et même de le désactiver si l'on a pris l'option. C'est même particulièrement utile lorsque l'on constate la jugulation permanente des chevaux par la muselière électronique, notamment en sortie de courbe. Comme quoi la centrale inertielle fonctionne bien.
Avant le départ, l'anti cabrage a été mis au minium, le contrôle de glisse sur 2, puis 1 (9 étant le maximum), avant de le désactiver totalement et le freinage rapidement repassé de son réglage Supermoto à Road, histoire de conserver une sécurité sur la roue arrière et une certaine cohérence : les entrées en glisse dans les courbes et virages ne sont pas à mon goût, surtout lorsque la pédale de frein ne laisse pas toujours de marge entre "ça freine !" et "ça bloque !!!!!".
Dès lors, on s'en remet autant aux redoutables Bridgestone S22 qu'à Ste Silice pour garder de l'adhérence, notamment plein angle. Il faut dire que même avec plus de 52° pris, on frotte davantage le bout de la botte ou sa semelle que les repose-pieds, se méfiant même de la béquille latérale, à l'abri pour un temps encore. Au point que l'on en vient le plus naturellement du monde à se coller contre le réservoir et à sortir la jambe, laisser le pied sortir et se rapprocher du bitume, tandis que l'on envoie les mains tenant succinctement le guidon vers le sol. La Duke est légère, gracile, un tantinet remuante si l'on ne s'applique pas, bref, elle se laisse faire sans pour autant oublier son propre caractère.
Selon la typologie du virage, on engage donc le haut du corps (épaules) ou le bas (genoux). Lorsque les deux se coordonnent, les sliders sont recommandés, tandis que l'efficacité est au rendez-vous. Il n'y a pas que le freinage qui puisse être supermoto, donc, le style de pilotage aussi. L'ADN KTM ressort, tout comme le souvenir des modèles tout terrain. Même sur route. Il y a ce petit quelque chose. Ne serait-ce que l'ambiance cultivée par l'aspect des plastiques non peints, le guidon large ou encore ce comportement si spécifique. Scalpel en 890, la Super Duke est toujours asses chirurgicale, mais le champ lexical change : on passe à l'artillerie avec celle qui se dit à présent Sniper. Et ça arsouille fort.
La stabilité revendiquée plus tôt en conférence de presse est bien présente malgré un empattement court, pour peu que l'on mène la dance plutôt qu'on ne la subisse. Il faut laisser vivre la Super Duke pour qu'elle donne le meilleur. Du fait de la grande rigidité de son ensemble cadre/bras oscillant, elle vire d'un bloc et sans effort, mais n'apprécie pas forcément que l'on verrouille sa direction, de toutes façons assistée par un rassurant (?) amortisseur. Sinon ? Sinon, elle se met à gigoter, à remuer brièvement de l'avant tandis qu'elle engage prestement et plonge à l'intérieur de la trajectoire à la vitesse à laquelle votre serviteur se rue sur un buffet à volonté. C'est dire. On peut dès lors expérimenter une glisse de l'arrière plus ou moins volontaire sur les grosses contraintes d'accélération, même avec l'anti patinage sur une position intermédiaire parait-il.
L'amortissement, aux réglages très homogènes d'origine, permet de jouer finement du placement du corps pour aller là où l'on souhaite et corriger n'importe quel tir. D'aucun pourra choisir de basculer un peu plus la moto sur l'avant en contraignant l'arrière de quelques clics, tandis que l'on apprécie la pertinence, la facilité et la rapidité d'accès à l'un des réglages prédéfini en matière de compression ou de détente. N'en ayant pas ressenti le besoin ni même l'envie, la suite de l'aventure routière n'en a été que meilleure.
Un moteur assez linéaire, mais puissant et bien encadré
De fait, le bicylindre est d'autant plus démonstratif qu'on lui laisse les coudées franches en désactivant les assistances. Là, on en prend le plein potentiel, notamment de puissance, tandis que l'on profite d'un couple très rapidement disponible et de "watts" n'attendant pas les hauts régimes pour se manifester. Peut-être moins démonstratif que par le passé, il gagne en efficacité et en pertinence, à la manière de ce que l'on peut trouver sur le trois cylindres de l'excellente Street Triple 765 RS, rivale toute désignée pour cette Duke 990.
Accélération brute. 90, "shift", 120, "shift", 160, "shift", 190… le paysage de western des vallées arides défile dans le casque à mesure que l'on passe les rapports à l'approche du rupteur. Il y a de l'allonge et pourtant les rapports semblent courts, notamment les deux premiers, signe évident d'une montée en régime des plus véloce. On remarque bien entendu un regain à partir de 6 500 tr/min, mais surtout la sonorité sourdement discrète accompagne les évolutions. L'échappement d'origine ne pétarade ni ne claque, tandis que l'on en vient rapidement à passer les rapports à l'embrayage pour ne pas subir une coupure trop longue et trop importante induite par le shifter finalement assez "civil" et son utilisation à expérimenter plus longuement que ce qu'il nous a été offert de pratiquer.
Si mettre les pneus sur autoroute n'est véritablement pas un plaisir au guidon de la 990 Duke, on supportera les 130 km/h avec de l'air sur le torse mais sans turbulences. La pression de l'air a vite fait d'augmenter, tandis que l'on apprécie la stabilité quelle que soit la vitesse. Les jambes sont plutôt épargnées de par leur faible écartement et les importantes écopes. Enfin, on subit les vibrations dans les rétroviseurs, qui se trouvent bien avant que l'on n'atteigne les allures maximales. Des vibrations par ailleurs bien contenues et somme toute agréables. Quant à la consommation, celle de notre essai est d'autant moins significative que le rythme n'avait rien de banal. Les 4,7 l/100 km semblent en tout cas assez optimistes : nous les avons volontiers dépassés en effectuant plus d'une centaine de kilomètres et en ne voyant pas l'estimation de distance à parcourir dépasser les 200 km au total, contre près de 300 en théorie. Logiquement, plus on s'amuse et moins l'appétit est raisonnable. Cela dit, la sixième permet effectivement de réaliser quelques économies de sans-plomb.
Dans les épingles et le serré, à chacun de choisir le jeu à sortir. Grand, il se fait en arrivant l'arrière dansant et en sortant l'avant en l'air le temps de le reposer : la roue avant reste docile quand bien même on visse la poignée en première, laissant présager que tout lever de roue devra être volontaire, tout du moins la résultante d'une manipulation moins conventionnelle. Avec une bonne main, on mise sur une souplesse et des rapports intermédiaires, confiants dans les relances moins démonstratives qu'en 1 ou 2, mais largement suffisantes. Petit joueur, on peut choisir d'enrouler sans que le moteur ne proteste, du moins si l'on parvient à maintenir un bon régime sur les deux derniers rapports. Car la souplesse n'est pas encore le fort du twin parallèle si l'on ne l'accompagne pas suffisamment. Ainsi, en ville, on évoluera volontiers jusqu'en 4 aux allures admises, même si le 30 km/h ne semble pas particulièrement de son goût. Quant au style à adopter ? À vous de choisir : la 990 Duke n'est pas aussi sélective qu'elle le semble.
Au moins, l'injection comme l'électronique permettent de bénéficier d'une agréable souplesse et de réactions que l'on peut moduler, histoire d'apporter une poignée droite un peu moins réactive que le celle du mode Track, résolument nerveuse (artificiellement).
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