Comment Chevrolet a failli révolutionner la voiture moyenne
Censée inaugurer la suspension MacPherson, la Chevrolet Cadet avait tout pour devenir une auto révolutionnaire, en 1948. Mais le directoire de GM a estimé qu’une voiture peu chère ne devait pas être trop technologique...
Dans le groupe General Motors, on pratique l’innovation depuis longtemps. Par exemple, dès 1939, on a commercialisé la première boîte 100 % automatique au monde, via la filiale Oldsmobile. On a aussi inventé le bureau de style, le département Art & Color en 1927, sous l’impulsion de l’avant-gardiste Harley Earl. La seconde guerre mondiale est tout juste terminée qu’on se met à plancher chez Chevrolet sur une auto bon marché, ciblant la classe moyenne déjà importante aux USA à l’époque. Ce modèle devait aussi se montrer économe en matières premières, peu abondantes en cette période encore incertaine. C’est un certain Earl MacPherson qui est en charge du projet, dit « Light Car », censé aboutir à la Chevrolet Cadet, une petite familiale à 1 000 $.
Comme il s’agit de dégager un maximum d’espace habitable dans un gabarit contenu, on fait preuve d’astuce. Ainsi, si on ne retient pas la traction avant, trop chère à développer, on sépare le moteur, situé sous le capot avant, de sa boîte de vitesses, logée sous les passagers avant. Original ! Mais moins que la suspension. En effet, celle-ci place la partie haute de l’amortisseur à l’intérieur du ressort, la partie basse se fixant sur le porte-moyeu de roue. L'ensemble, tout en verticalité, pivote le cas échéant.
C’est la fameuse jambe MacPherson, universellement employée dans l’automobile car très compacte, solide, peu onéreuse et présentant des avantages intéressants dans la géométrie de suspension. Ce n'est pas le premier système vertical, mais c'est le plus abouti. De plus, la Cadet bénéficie d'un raffinement rarissime en son temps : des train roulant indépendants à l’avant et à l’arrière, ce, pour dégager de l’espace dans le coffre tout en améliorant le comportement routier. Dans le même ordre d’idée, soucieux de réduire les masses non suspendues et de gagner de la place, MacPherson recourt à des jantes de 12 pouces seulement (ce qui imposera de petits tambours de frein). Voilà qui rappelle la Mini d’Issigonis !
Le moteur, supercarré, doit être un 6-cylindres 2,1 l de 65 ch animant les roues arrière via une boîte manuelle à trois vitesses, tandis que l’embrayage bénéficie d’une commande hydraulique. Moderne à l’époque ! Le tout, recourant à une structure monocoque, est léger (une tonne) et s’emballe d’une carrosserie aérodynamique, un peu lourde visuellement mais plutôt avancée à la fin des années 40. La Cadet est prévue pour une vitesse de croisière de 112 km/h, là encore, un atout.
Malheureusement, si MacPherson s’investit à fond dans le projet, réclamant sans cesse plus de temps pour développer soigneusement ses idées, il doit constamment se battre contre les comptables, qui veulent produire l’auto au plus vite. Et la question du prix de revient, bien plus que l’innovation, est l’obsession des décideurs de GM, dont le grand patron, Alfred Sloan. L’inverse de ceux de Citroën ! Les prototypes de la Cadet se comportent extrêmement bien, tant en tenue de route qu’en confort, même si le freinage reste un point faible. Pourtant, le numéro 2 de GM estime qu’on prévoit trop de technologie pour une si petite voiture, dont on estime le seuil de rentabilité à 300 000 exemplaires annuels. Pour l'atteindre, on début la construction d'une grande usine accueillant quelque 10 000 employés !
Les financiers se rendent compte que le prix de vente prévu de 1 000 $ ne pourra être tenu, et au marketing, on doute que les objectifs commerciaux soient atteints. On comprend aussi qu’on pourra vendre au moins autant de voitures plus grandes, plus chères et plus faciles à concevoir, donc plus rentables que la Cadet, car le public en raffole. Aussi, en 1947, alors que la Cadet est presque prête, elle est envoyée aux oubliettes. Ulcéré, MacPherson part chez Ford, où sa fameuse suspension sera finalisée et installée dans des autos de série, d’abord la Consul anglaise fin 1950. Puis, tous les constructeurs s’en inspireront.
On peut déplorer qu’une auto aussi intéressante et avancée que la Cadet n’ait jamais vu le jour. D’un autre côté, GM a connu des années fantastiques avec ses autos « full-size », alors que les constructeurs produisant des engins compacts, comme Nash ou Kaiser, ont tous disparu après s’être alliés. Le succès considérable de la modeste VW Coccinelle aux USA a-t-il donné des regrets aux dirigeants de GM ? On ne le saura jamais.
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