CBD au volant, attention danger !
Des conducteurs qui certifient n'avoir consommé que du CBD - cannabis légal - se retrouvent dépistés positifs aux stupéfiants, et ainsi poursuivis pour ce délit, qui s'accompagne de sanctions gravissimes. Cela fait plusieurs mois maintenant que le sujet émerge devant les tribunaux, mais rien n'est fait, pour tirer au clair cette situation, comme pour donner les moyens, le cas échéant, à ces citoyens de se défendre. Enquête.
À l’entendre, le phénomène serait « exponentiel » : « Non seulement, j’ai de plus en plus d’affaires de stupéfiants avec l’intensification des contrôles, constate l’avocate Laureen Spira, mais surtout j’ai de plus en plus de consommateurs de CBD qui se retrouvent dépistés positifs. »
Or, positifs aux stupéfiants lorsqu’on est au volant, c’est pour rappel un délit passible de 4 500 euros d’amende, deux ans d'emprisonnement, en plus d’un retrait de six points, sans parler des peines complémentaires que sont la confiscation du véhicule, et de manière plus courante, la suspension du permis de conduire (jusqu’à trois ans) quand ce n’est pas son annulation !
Et ces peines complémentaires sont souvent immédiates. Juste après avoir été dépisté positif, le véhicule est généralement immobilisé et le permis retiré sur arrêté préfectoral. Ce n’est que devant le tribunal, plusieurs mois plus tard, que les arguments de défense peuvent éventuellement fructifier.
Et, en l’occurrence, dans ce genre d’affaires, si avec un bon avocat, il y a de grandes chances de s’en sortir, comme en attestent les résultats récents de l’avocate parisienne spécialisée dans le droit routier, sans cette assistance, c’est le casse-pipe quasi assuré.
Sans avocat, rares sont ceux qui de toute façon contestent les faits.
Combien de conducteurs ont ainsi pu être poursuivis sans jamais s’être drogués ? Ni le ministère de l’Intérieur, ni la Justice n’ont répondu à nos sollicitations.
Le CBD, qu’est-ce que c’est ?
Du cannabis légal !
Le CBD a fini en effet par être autorisé en France, comme ailleurs au sein de l’Union européenne, notamment et surtout car il n’est pas considéré comme un stupéfiant.
« C’est quand même invraisemblable de pouvoir ressortir positif aux stupéfiants, insiste Maître Spira, alors qu’on n’en a jamais acheté, ni consommé ! »
Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, le cannabidiol (CBD) fait partie des molécules qui composent, comme le tétrahydrocannabinol (THC), la plante de cannabis. Toutefois, contrairement au THC, le CBD ne provoque aucun effet psychotrope.
Et il est devenu tout particulièrement à la mode, en raison de ses bienfaits supposés thérapeutiques : contre le stress, les maux de tête, les articulations douloureuses, la fatigue, le sommeil fragile…
Un vrai remède miracle, pour certains, même si aucune étude scientifique, randomisée, ne vient le démontrer.
Dans les boutiques de CBD, sur Internet ou dans la rue, on le trouve sous différentes formes : des huiles, des cosmétiques, des feuilles et des fleurs que les consommateurs peuvent fumer…
Problème : dans ces fleurs et feuilles, on retrouve du THC. Comme dans d’autres produits CBD d’ailleurs, mais sans que ça n'entraîne a priori les mêmes conséquences.
On parle là d’une très faible quantité de THC puisque, théoriquement, il n’est de toute façon pas légal, du moins en France, que les produits CBD en contiennent plus de 0,3 %.
Seulement voilà, c’est ce taux résiduel que les dépistages en bord de route réussiraient à détecter chez les fumeurs de CBD.
Les feuilles et fleurs de CBD sont-elles vraiment légales ?
Oui, mais peut-être pas pour très longtemps en France !
Cela fait des mois que les professionnels du secteur et les autorités françaises se livrent une bataille judiciaire. Dernier épisode en date : le 30 décembre 2021, paraît au Journal officiel un arrêté du gouvernement qui interdit la vente des fleurs et feuilles de CBD. Riposte de la filière : l’arrêté est contesté.
Et le 24 janvier 2022, le Conseil d’État, saisi en référé (en urgence), suspend « l’interdiction de commercialiser à l’état brut des fleurs et feuilles de certaines variétés de cannabis, alors même que leur teneur en THC est inférieure à 0,3 % ».
Attention, il suspend l’article de l’arrêté en question. Celui-ci n'est donc pas supprimé. Pour l'instant…
La plus haute juridiction administrative se prononcera de manière définitive sur cette légalité dans sa décision au fond. Prévue pour quand ?
Au Conseil d’État, on nous explique que « ce n’est pas possible de le préciser », qu’il n’existe « pas de délai moyen entre un référé et une décision au fond », qu’en l’occurrence, « aucune date n’est encore fixée ». Difficile de faire plus flou !
Le business du CBD a beau être florissant, « cet arrêté, qui s'est appliqué durant trois semaines, a quand même porté un sacré coup à notre commerce », font valoir plusieurs vendeurs interrogés au cours de notre enquête.
Il faut dire que la vente de ces fleurs et feuilles brutes « représente environ la moitié du chiffre d’affaires des boutiques spécialisées », selon L’Union des Professionnels du CBD (UPCPD).
Est-on sûr d’être positif après avoir fumé du CBD ou à partir de quelle quantité l’est-on ?
Mystère…
Comme déjà évoqué, les ministères de l’Intérieur et de la Justice n’ont jamais répondu à nos questions. Silence radio aussi du côté de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Placée auprès du Premier ministre, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), toutefois, nous confirme, elle, être bien consciente de la problématique.
« Quand vous fumez des fleurs de CBD, vous fumez en fait une fleur de cannabis plus ou moins dosée en CBD, puisque le CBD pur n’existe pas, il y aura donc systématiquement du THC résiduel, lequel peut effectivement positiver les contrôles », reconnaît l’un de ses porte-parole.
Il faut aussi bien comprendre que c'est la conduite « après usage » et non sous l'emprise de stupéfiants qui est réprimée. Contrairement à l’alcool, il n’y a pas de seuil.
Dès que des traces de THC sont détectables et donc détectées dans la salive, il y a potentiellement un risque.
« Juste après avoir fumé du CBD, c’est clair que cela peut arriver, moi j’ai deux clients qui en ont fait les frais », concède l’un des vendeurs rencontrés.
D’autant plus que les dépistages salivaires utilisés par la police et la gendarmerie sont « particulièrement sensibles », alerte Laureen Spira.
Selon l'arrêté de 2016 qui fixe les modalités du dépistage, « les seuils minima de détection pour le THC, c'est 15 ng/ml de salive. Or, le drugwipe [le matériel de la marque Securetec utilisé par les gendarmes et policiers en bord de route, cf. photo ci-dessus] détecte dès 5 ng/ml de salive. On est donc très en deçà du seuil légal, de telle sorte qu’il y a plein de gens qui se retrouvent pris, alors que si l’on s’en tenait au seuil légal, ils ne seraient aucunement inquiétés ! »
Et il n’y a pas qu’en conduisant que les fumeurs de CBD courent le risque d’être verbalisés.
Comme nous le confirme aussi la Mildeca, « au-delà du problème de santé publique que l’on a avec ces produits puisqu’on ne sait pas toujours très bien ce qu’ils contiennent et surtout s’ils n’ont vraiment aucune nocivité pour les consommateurs, les études les concernant n’étant pas très avancées, on a un souci d’ordre public plus général, puisque nos forces de l’ordre n’ont pas les moyens de s’assurer qu’il s’agit bien de CBD », et non de stupéfiants.
Un fumeur de CBD risque donc aussi des poursuites pour usage de stupéfiant, au sens général, et d’écoper d’une amende forfaitaire délictuelle à 200 euros.
Mais n'y a-t-il vraiment pas moyen de différencier THC et CBD ? Les Suisses y parviennent bien, L’Obs a expérimenté leur procédé, et « en moins de 30 secondes », l'hebdomadaire a pu en faire la démonstration !
« Les Suisses ont mis au point leurs tests en fonction de leur législation, or chez eux, la teneur en THC peut être de 1 % dans les produits CBD, et non de 0,3 % seulement, comme chez nous. Là encore, on voit bien que la France fait tout pour nous mettre des bâtons dans les roues », s’énerve un commerçant.
Il semblerait en tout cas qu’il soit possible de mettre au point des tests qui permettraient aux forces de l’ordre d’y voir plus clair. Mais pour l'heure, on ne peut qu'observer qu'il n'existe pas de volonté politique pour mettre au point des tests fiables avant de les déployer dans les brigades et les commissariats.
La France est-elle si récalcitrante sur le CBD ?
Force est de constater qu’elle ne se précipite guère pour régler le problème.
On ne sait pas quand la décision du Conseil d’État tombera, en attendant, rien n’est fait.
Et quand bien même l’arrêté du gouvernement serait jugé légal, entraînant l'interdiction des fleurs et feuilles de CBD, le problème sera-t-il vraiment réglé ?
1- On peut parier que la bataille judiciaire va se poursuivre au niveau européen.
2 - On peut aussi parier qu’il va être très difficile de contrôler la vente de fleurs et feuilles de CBD par les pays voisins, comme la Suisse d’ailleurs.
À part la Mildeca, qui n’a éludé, c’est vrai, aucune de nos questions, on ne peut pas vraiment dire que les autorités se montrent bien volontaires - on en a fait les frais - à aborder le sujet.
Pour l'heure, aucune campagne de prévention ou simplement d'information pour mettre en garde les consommateurs sur ces risques n'est apparemment en préparation.
Or, cela fait quelques mois déjà que les affaires dans lesquelles les prévenus sont poursuivis pour conduite après stupéfiants (et alors qu'ils soutiennent n’avoir pris que du CBD) arrivent devant les tribunaux. Le Figaro a pu lui aussi le constater, avec une affaire plaidée en Gironde.
En clair, les différents parquets, un peu partout en France, ont commencé à voir apparaître le sujet.
Pourtant sur le terrain, les conducteurs dépistés positifs ont toujours les plus grandes difficultés à obtenir une contre-expertise, comme le prévoit pourtant la loi, et les réquisitions des procureurs qui accompagnent les prélèvements salivaires pour analyse dans les laboratoires de toxicologie ne réclament jamais – ou presque – la recherche en CBD.
Résultat, c’est très compliqué pour ces conducteurs de pouvoir démontrer leur bonne foi. Comment prouver qu’ils n’ont pris que du CBD si celui-ci n’est en effet aucunement recherché ?
« Pour nous, ce n’est pas tout à fait clair ce qui se passe dans l’organisme avec le CBD », nous explique un expert en toxicologie.
« Ce que nous réussissons tout de même à révéler, ce sont, disons, des ratios CBD/THC, et en fonction, si les concentrations de THC sont extrêmement faibles par rapport au CBD, on peut conclure qu’une consommation de CBD nous paraît plausible et compatible avec ces résultats ».
Mais encore faut-il ainsi que leur soit réclamé ce genre de recherches quand ils reçoivent les échantillons salivaires à analyser de la police !
Comment bien préparer sa défense ?
En s’y mettant au plus vite !
Pour les conducteurs concernés, il est en tout cas évident que leur défense doit se préparer immédiatement après les contrôles. Laureen Spira leur donne quatre conseils :
1 – Au moment des contrôles, tout faire pour obtenir cette contre-expertise, que les forces de l’ordre cherchent systématiquement à éviter.
Pour rappel, après un dépistage salivaire positif, un deuxième prélèvement – salivaire aussi généralement – est réalisé. C'est sur la base des résultats de ce prélèvement, envoyé en laboratoires pour analyse, que des poursuites judiciaires sont réellement engagées, même si en attendant, des sanctions administratives (retrait de permis/immobilisation du véhicule) sont prises.
Pour obtenir plus tard une contre-expertise, un troisième prélèvement doit intervenir également au moment des faits et donc du contrôle. Sauf qu'il s'agit d'un prélèvement sanguin - autrement dit une prise de sang – que les forces de l’ordre ne sont pas habilitées à effectuer. De fait, ça complique leur tâche, et elles poussent ainsi les conducteurs à y renoncer.
2 – Indiquer tout de suite et avec insistance que seul du CBD a été consommé.
Quand les conducteurs sont en effet interrogés après un dépistage positif, il faut bien penser à le consigner sur procès-verbal.
3 – Effectuer dans les plus brefs délais des tests urinaires et/ou capillaires en laboratoire. Il faut compter plusieurs dizaines d’euros pour les premiers (jusqu’à 70 euros, à la louche), et près de 200 euros pour les seconds.
4 – Toujours garder ses factures de CBD. Et quand on en achète, ne pas hésiter à réclamer systématiquement le « certificat d’analyses du lot », pour pouvoir aussi le présenter, le cas échéant.
Bientôt le cannabis légalisé ?
Certains le pensent en tout cas !
À en croire les députés, ce n'est qu'une question de temps…
Selon un rapport d’information de l’Assemblée nationale, paru l’été dernier, « la mise en place de niveaux de consommation autorisés de THC », dans le cadre de cette commercialisation des produits CBD, « aboutira nécessairement à une adaptation des règles applicables à la conduite sous l’emprise (sic) de stupéfiants. Les dispositions correspondantes du code de la route pourraient être modifiées en s’inspirant de la gradation mise en place en matière d’alcoolémie. »
Pour Laureen Spira aussi, mettre des seuils, cela aurait le mérite de clarifier la situation. « Il y a une vraie atteinte à la clarté de la loi pénale. Or, quand la loi penale n’est pas claire, cela crée de l’insécurité pour les justiciables ».
L’une des solutions serait ainsi d’établir, comme on le voit pour l’alcoolémie, des seuils légaux. Ce ne serait alors qu’en cas de dépassement de ces seuils qu’il pourrait y avoir des poursuites judiciaires.
Ce faisant, cela reviendrait donc à autoriser, même pour des taux minimes, le cannabis en général et donc y compris sous forme stupéfiante !
En cas d’accident, que fait l’assurance ?
Elle couvre… en partie seulement !
Comme nous l'indique une porte-parole du fonds de garantie des victimes, « le fait d’être positif aux stupéfiants ne peut entraîner un refus de garantie » de la part de son assureur.
Mais attention, cela ne vaut que pour « les tiers victimes, indemnisés par l’assurance responsabilité civile (RC) du véhicule du conducteur », comme nous le précise un représentant de la Fédération française de l’Assurance (FFA).
Le conducteur, lui-même (ou pour son véhicule), ne sera pas indemnisé « car les contrats portés à notre connaissance prévoient comme exclusion la conduite sous alcool et/ou stupéfiants ».
Et sans surprise, dans une telle situation, l'assuré peut aussi s'attendre à une majoration de sa prime, voire à une résiliation de son contrat.
Y a-t-il de plus en plus de PV pour stupéfiants sur la route ?
Vrai, mais ça paraît peanuts par rapport au reste !
À l'image de l'alcoolémie, la plupart des délits, en 2020 (les dernières statistiques connues remontent à cette année de l'apparition du Covid), sauf pour la conduite après usage de stupéfiants (+5 %) et les récidives de grand excès de vitesse (+15 %).
Au total, ce sont alors 82 127 PV qui ont été dressés pour les stupéfiants - contre plus de 13,3 millions pour la vitesse -, soit 0,3 % de la totalité des infractions constatées cette année-là.
Selon les données de la Sécurité routière, 12 % des conducteurs impliqués dans les accidents mortels étaient « sous emprise (sic) de stupéfiants ».
Il reste à se donner les moyens de ne pas sanctionner des consommateurs qui ne se seraient à aucun moment drogués et/ou à les sensibiliser correctement aux risques encourus avec le CBD.
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