Airbags Takata : ceux qui savaient, ceux qui ne savaient pas et ceux qui ne voulaient pas savoir
Le scandale de l’airbag Takata, au-delà de sa conception dangereuse, c’est qu’il ait été monté pendant près de 20 ans dans nos voitures, que depuis 12 ans, on en connaît les dangers, et que rien n’ait été fait jusqu’au « stop drive », à une semaine des départs en vacances.

PHOTOPQR/VOIX DU NORD/MAXPPP
Il y en a quelques-uns qui mériteraient d’avoir leurs noms gravés sur une plaque en marbre dans le hall de leurs entreprises. Avec des caractères dorés. Ce sont les ingénieurs de Renault et Peugeot qui ont refusé d’installer les airbags Takata dans leurs modèles. La seule Peugeot concernée, la petite électrique Ion est en fait une Mitsubishi I-Miev rebadgée.
Une décision d’autant plus méritoire que la technologie de l’équipementier japonais était moins chère, remplaçant le traditionnel azoture de sodium par du nitrate d’ammonium, certes réputé instable en présence d’humidité, mais moins cher et autorisant une "mise à feu" plus simple. Non seulement la chimie de l’airbag Takata est dangereuse, mais en prime son réceptacle et son allumeur mal conçus ne résistent pas à l’explosion et projettent des débris métalliques dans l’habitacle. Ce sont ces éclats qui tuent ou mutilent.
Ces ingénieurs de Peugeot et Renault avaient-ils le souvenir de l’explosion de l’usine AZF de Toulouse en 2001, de ses 30 morts et 2 500 blessés graves, du cratère de trente mètres de diamètre et six mètres de profondeur ? Trois-cents tonnes de ce nitrate hautement instable - qui sert également d’engrais - avaient détoné et soufflé les environs, on n’a jamais su précisément pourquoi. Contact avec de l’eau, contamination par des hydrocarbures ou départ d’incendie ont été évoqués. Même scénario catastrophe et même inconnue dans le port de Beyrouth en 2020, avec bien plus de victimes et de dégâts (photo ci-dessous).

Citroën, l’exception française…
Fallait-il avoir la mémoire d’AZF pour ne point vouloir placer cet explosif capricieux devant le visage des clients ? Leurs homologues allemands, d’Audi à Volkswagen en passant par Mercedes et BMW, ont, eux, massivement adopté le Takata. Pas ceux de Peugeot et de Renault. Même chez Dacia, où la recherche de la solution la moins chère est une obsession, on ne trouve pas le tristement célèbre coussin péteur.
Le mystère est que cette abstinence ne se soit pas imposée chez Citroën, marque sœur de Peugeot, et dont les modèles reposent sur des plateformes et composants communs aux deux marques ? Une remontée de la vieille velléité d’indépendance de la marque aux chevrons ? Même constat chez Nissan, alors "allié" de Renault.
Soyons juste, Il y a bien d’autres constructeurs, qui, malgré les incessantes pressions à la réduction des coûts, ont refusé ce pari hasardeux, dont ceux de Volvo, Kia-Hyudaï, SsangYong et quelques autres.
Avec des bizarreries familiales : on trouve des airbags Takata chez BMW mais aucun chez ses cousines anglais Rolls-Royce et Mini, chez Ferrari et Lancia, mais jamais à la maison mère Fiat, chez Volkswagen, Skoda, Seat et Audi mais pas chez le tonton Porsche, chez Mercedes mais point chez son ex filiale Smart… Sur le milliard et demi de voitures circulant sur terre, 200 millions sont ou ont été équipées des airbags Takata, 100 millions de la première génération et autant de la seconde.
Celle-ci est la plus scandaleuse ; désormais informés des risques de leur produit par des test en laboratoire sciemment cachés, et sans doute déjà de quelques accidents, les ingénieurs de Takata ont, plutôt que de changer la chimie de l’explosif, lui ont adjoint un peu de sel dessiccateur, le même que l’on retrouve dans un petit sachet de papier dans les emballages de produits électroniques. Évidemment, quand le sel est saturé d’humidité, il ne sert plus à rien. C’est pourtant ce correctif sommaire qu’ils sont parvenus à vendre à bien des directeurs d’achat nigauds ou criminellement mesquins.

Le SSMVM, vous connaissez ?
En plus de plaques en hommage aux courageux ingénieurs dans les halls de Peugeot, Renault et consorts, il faudrait un mur de la honte où inscrire les noms de ceux qui ont fait le choix inverse, celui du moins cher. Et aussi de tous ceux qui ont regardé le train passer sans rien faire : la commission de Bruxelles, les ministères des Transports européens, les automobile-clubs, les associations de consommateurs. Tout ce beau monde était informé ou aurait dû l’être car dès 2017, les gouvernements chinois, coréens, malaisiens, australiens et japonais imposaient le rappel de toutes les voitures concernées. Et en 2019 paraissaient In your face le livre témoignage de deux anciens de la filiale américaine de Takata chargée de la conception de l’engin explosif, et qui révélait l’ampleur du danger.
Pire, le scandale avait éclaté en 2013 aux Etats-Unis, et quand Honda, dès cette année-là, et Toyota en 2015, ont fait leurs premiers rappels, y compris en Europe, ça n’a pas fait de vague. Des constructeurs ont continué à monter les airbags au nitrate - dans leur version au gros sel – pour beaucoup jusqu’en 2017, année de la faillite de l’équipementier nippon, et même bizarrement, pour certains comme Mercedes ou Ferrari jusqu’en 2018, voire 2019 pour la DS3 de Citroën. Y avait-il des stocks en liquidation ?
Depuis, hormis chez certains constructeurs qui opéraient de discrets rappels, personne ne semble s’être demandé dans quelle autres voitures que les Citroën pouvaient se cacher les coussins tueurs, si c’était bien raisonnable de les y laisser et s’il ne faudrait pas imposer un gigantesque rappel. Pas même le très officiel SSMVM, le Service de surveillance du marché des véhicules motorisés créé en France en 2020, dont je n’ai découvert l’existence qu’à l’occasion de ce billet mais hélas pas l’utilité.

La flemme…
Sur ce mur de la honte, on pourrait inscrire aussi les noms d’une bonne partie des journalistes spécialisés en automobile, dont le mien, et à double titre.
En 2015, j’avais trouvé chez ma mère un courrier de rappel de Toyota pour l’airbag de sa Corolla de 2003. Je me suis dit que j’allais m’en occuper le mois prochain, puis je n’ai pas eu le temps, puis j’ai oublié. Et rebelote un ou deux ans plus tard quand est venue une deuxième lettre de rappel du rappel.
Non seulement je n’ai pas amené la voiture au concessionnaire – mon frère s’en est chargé bien plus tard - mais en sus je n’ai pas enquêté, pas même creusé un peu le sujet.
Des vilaines petites affaires, j’en avais pourtant soulevées au magazine Auto-Moto, de la loterie de l’examen du permis de conduire aux pots d’oxydation diesel en passant par les régulateurs de vitesse fous, les turbos mangeurs d’huile et les soucis de courroies en tous genres. Là, je ne sais pas quelle flemme m’a pris, je n’ai rien vu venir alors que je savais bien qu’un airbag, ça peut être dangereux, j’avais même pondu il y a longtemps un édito sur ces gens qui conduisent main sur le moyeu et ces passager(e)s qui étendent leurs jambes sur la planche de bord, comportement à risque avec affreux dégâts en cas d’accident. Mais bon, c’était une histoire de voitures japonaises (croyais-je…) avec des airbags japonais, je ne parle pas le japonais et j’ai, moi aussi, regardé le train passer.
Honte sur moi et honte sur nous, avec mention spéciale au ministère des Transports qui, à la veille des départs en vacances a feint de découvrir que les Citroën ne sont pas seules en cause et intime aux français de ne plus conduire les millions de voitures incriminées. Alors que ses fonctionnaires ont eu douze ans depuis la révélation du scandale, pour ordonner les rappels, au bas mot cinq ans depuis la première explosion mortelle à la Réunion, vite suivie de bien d’autres aux Antilles et en Guyane.
En attendant, il va falloir se débrouiller avec ça, ou bien se dire que le risque d’être tué par son coussin farceur reste de très loin inférieur à celui de mourir sur la route dans un banal accident qui ne doit rien à Takata. Risque également très faible statistiquement, j’ose à peine le rappeler, et qui ne devrait empêcher personne de partir en vacances.
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