À quoi sert vraiment l'argent des radars ?
Selon la Sécurité routière, en 2017, "91,2 % des recettes des amendes radars ont financé la lutte contre l'insécurité routière". Info ou intox ? Pour le savoir, Caradisiac a épluché tous les documents budgétaires qui retracent l’utilisation de cet argent public. Notre verdict contredit en partie cette affirmation. Pour finir, la part des recettes radars consacrée à l'amélioration de la sécurité pourrait au mieux représenter 68 %, et on pourrait même tomber à moins de 40 % en prenant en compte l'ensemble des PV routiers !
À en croire la Sécurité routière, "91,2 % des recettes des amendes radars ont financé la lutte contre l'insécurité routière et 8,8 % le désendettement de l’État", en 2017. En clair, contrairement à une idée reçue, les radars automatiques ne servent aucunement à remplir les caisses de l'État, puisque "la quasi-totalité" de ce qu'ils rapportent vise à améliorer la sécurité des usagers sur les routes, assène-t-elle en substance dans un communiqué, mardi, et dans une belle infographie mise au point pour illustrer ses propos.
Dans le détail, sur les 1 013,2 millions d'euros encaissés par le contrôle automatisé en 2017, la Sécurité routière souhaite que l'on retienne qu'il y a eu trois axes de dépenses :
- 405,5 millions d'euros ont été versés à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), un établissement public dont la mission est de coordonner le financement de grands projets d'infrastructures de transport,
- 270 millions d'euros sont revenus aux collectivités territoriales, qui en vertu du code général des Collectivités territoriales doivent de toute façon les réutiliser pour financer des opérations concernant la circulation routière au sens large (étude et mise en œuvre de plans de circulation, création de parcs de stationnement, installation et développement de signaux lumineux et de la signalisation horizontale, aménagement de carrefours, etc.), et les transports en commun, puis,
- 249 millions d'euros ont été réinjectés dans le système du contrôle automatisé (pour l'achat, l'entretien, le déploiement par exemple de radars) et celui du permis à points.
Bilan de cette communication officielle : sur les 1 013,2 millions d'euros récoltés en 2017 par les radars, 924,5 millions - soit 91,2 % des recettes - ont bel et bien été dirigés en faveur de la sécurité routière. Et "seuls" 88,7 millions d'euros - soit 8,8 % - ont servi au désendettement de l'État, comme retracé dans notre tableau ci-dessous.
Répartition de l'utilisation des amendes radars (en M€) en 2017
Recettes totales des radars | 1 013,2 |
- AFITF | - 405,5 |
- Collectivités | - 270 |
- Radars (entretien, déploiement) | - 249 |
Total de la dépense | 924,5 |
Part sur les recettes totales | 91,2 % |
- Désendettement de l'État |
88,7 |
Source : selon les différents documents budgétaires publiés pour cette année 2017 et la Sécurité routière. |
Si l'on élargit le spectre et que l'on prend l'ensemble des recettes des amendes routières perçues cette année-là - 1 978,2 millions d'euros -, ce sont 508,8 millions d'euros qui ont été versés pour le désendettement de l'État, comme le montre l'infographie ci-dessous, laquelle retrace l'affectation des recettes de tous les PV routiers. En ajoutant, les 45 millions d'euros réservés au budget général, la part officiellement destinée à la sécurité routière tombe alors à 72 %. Ce qui peut sembler déjà pas mal…
La gestion des amendes routières systématiquement épinglée
Seulement voilà, chaque année la Cour des Comptes épingle la gestion de ces recettes routières. Et 2017, sur laquelle elle s'est déjà penchée, ne fait pas exception. Le rapport de la Sécurité routière, annexé depuis deux ans au projet de loi de Finances, et qui doit préciser ce que l'AFITF et les collectivités territoriales ont fait de l'argent récupéré des radars comme du reste des amendes routières, n'y change pas grand-chose…
1- Comme toujours, l'utilisation des recettes "comprend des dépenses sans lien avec la sécurité routière", ce qui contrevient aux lois budgétaires, déplorent les sages de la rue Cambon, à chaque fois. En l'occurrence, c'est le cas des 508,8 millions d'euros affectés au désendettement de l'État, soit presque 25 % des recettes totales.
2 - Il reste toujours une part "importante" des recettes qui n'est pas affectée à ce que l'on appelle le Compte d'affectation spéciale (CAS), qui quand il est mis en place permet justement de déroger au principe de la non-affectation des recettes, dans le budget général, pour au contraire retracer "des opérations budgétaires financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation directe avec les dépenses concernées"… Pour faire simple, puisqu'un CAS existe, développe la Cour, toutes les recettes des PV routiers devraient normalement se retrouver dans ce compte, surnommé "CAS radars", afin d'être utilisées uniquement à des fins de sécurité routière. Sauf que ce n'est donc pas respecté, ce qui selon la Cour "alimente la confusion sur la nature du CAS et la suspicion sur l’utilisation du produit des amendes". En l'occurrence, en 2017, 23 % des recettes n'ont pas été affectées à ce CAS radars : 45 millions d'euros ont ainsi été versés au budget général, et 405,5 millions d'euros à l'AFITF.
3 - L'utilisation d'une bonne partie des amendes reste surtout méconnue. La comptabilité publique ne permet pas de retracer ce qui en a été vraiment fait (voir plus loin nos précisions concernant les 743,7 millions d'euros reversés aux collectivités territoriales).
L'AFITF, "un moyen de s'affranchir des principes du droit budgétaire" pour la Cour des Comptes
Que les 405,5 millions d'euros pour l'AFITF ne rentrent pas dans le périmètre du CAS radars, ça n'est pas vraiment un problème, insinue la Délégation à la Sécurité routière dans sa communication, puisque, comme on peut le constater dans son rapport annexé au projet de loi de Finances, l'agence dépense de toute façon bien plus pour les routes que ce qui lui est alloué avec l'argent des radars. En 2017, elle y a ainsi consacré plus de 811 millions d'euros, soit le double de ce qu'elle a perçu avec le contrôle automatisé ! Il ne fait donc guère de doute, conclut la Délégation, que l'AFITF "contribue pleinement à la lutte contre l’insécurité routière". Ce qui est loin de satisfaire la Cour des Comptes…
Car pour elle, ce rapport "n'isole pas la part des investissements visant spécifiquement la lutte contre l’insécurité routière", ni ceux strictement "financés par le produit des amendes radars". De même, "aucune étude d’impact ne permet (…) d’évaluer la contribution effective" de l'AFITF à la politique de la sécurité routière. Faut-il en outre rappeler qu'à plusieurs reprises (en 2009 et 2016), la Cour des Comptes a dénoncé "l'absence de plus-value apportée par l'AFITF, opérateur de l'État sans feuille de route ni marge de manœuvre" ? Aux dernières nouvelles, elle le considère même comme "un instrument de débudgétisation", "un moyen de s'affranchir des principes du droit budgétaire"… Si peu.
L'utilisation par les collectivités territoriales de l'argent des PV à 87 % méconnue
Enfin, et c'est peut-être le pire, sur les 743,7 millions d'euros affectés aux collectivités territoriales, on ne sait quasiment rien du tout ! Le fameux rapport de la Sécurité routière annexé au projet de loi de Finances pour 2019 n'y change rien. Ou presque… Comme l'a déjà déploré la Cour des Comptes, ledit rapport se borne en effet à fournir une liste d'opérations relatives aux seules communes de moins de 10 000 habitants, alors que les dotations versées aux communes de plus de 10 000 habitants "représentent 87 % des crédits attribués" !
Cela revient à considérer que seuls 13 % des 743,7 millions d'euros affectés aux collectivités territoriales en 2017 ont servi à des opérations de sécurité routière de manière à peu près sûre, soit moins de 97 millions d'euros. Pour finir, ce n'est donc pas 72 % des recettes routières qui auraient été consacrées à l'amélioration de la sécurité, mais moins de 40 % !
La chute est moins vertigineuse pour ce qui est des seules amendes radars. Il ne s'agit certes plus de "91,2 %" de recettes qui auraient financé la lutte contre l'insécurité routière, mais encore 68 %… Enfin, ça, c'est donc sans insister sur les 405,5 millions de l'AFITF, dont la gestion des deniers publics, si l'on s'en tient aux remarques de la Cour des Comptes, n'aspire guère confiance… Bilan : tout ça paraît donc beaucoup plus discutable qu'annoncé !
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