Après une baisse ininterrompue depuis près de 15 ans, la mortalité routière est repartie à la hausse en 2014, avec 120 morts de plus qu'en 2013. Afin de respecter l'objectif fixé par Manuel Valls alors Ministre de l'Intérieur de passer sous la barre des 2000 tués d'ici 2020 quand il était encore de 3 388 l'année dernière, son successeur, Bernard Cazeneuve, a présenté une batterie de mesures comprenant l'expérimentation du 80 km/h sur 3 axes routiers prévue pour l'été, l'oreillette interdite, l'abaissement de l'alcoolémie à 0,2 g/litre de sang pour les jeunes conducteurs et le passage à 135 € de l'amende pour stationnement gênant sur les passages piétons, les trottoirs ou les pistes cyclables.
Mais d'autres voies sont aussi explorées. Bernard Cazeneuve a en effet demandé aux collectivités locales des audits de sécurité sur leur réseau routier, et les arbres le long des routes pourraient bien y être à nouveau pointés du doigt, tant c'est un sujet récurrent. Il faut dire qu'en 2013, 326 personnes ont perdu la vie en percutant un arbre, soit presque 10 % du nombre total de tués. Mais pour Chantal Fauché, présidente de l'Association pour la protection des arbres en bord de routes (Asppar), l'arbre n'est qu'un facteur aggravant et non la cause qui sont majoritairement l'alcool ou une vitesse non adaptée aux conditions.
Chez nos voisins, non seulement on ne coupe pas les arbres, mais on en plante, avec des résultats visiblement positifs en matière de sécurité routière. Ainsi en Angleterre, selon Le Figaro, des expériences ont été menées dans le Compté du Norfolk avec des alignements d'arbres de moins en moins espacés et de plus en plus proche de la chaussée à l'approche des villages, ce qui donnerait aux automobilistes une impression de vitesse excessive les poussant à ralentir. 20 % d'accidents en moins auraient ainsi été observés.
Trois questions à...
Chantal Pradines, ingénieur, experte au Conseil de l’Europe
En 2009, Chantal Pradines remettait au Conseil de l’Europe le rapport « Infrastructures routières : les allées d’arbres dans le paysage » dans lequel, après avoir notamment rappelé le rôle positif des arbres en bord de route (dépollution production d’oxygène, protection de la biodiversité...) elle appelait les États et pouvoirs publics à rompre « avec toutes les pratiques stigmatisant l'arbre de bord de route, en particulier en matière de sécurité routière, en engageant au contraire des mesures de responsabilisation des usagers de la route », et à « s’attacher à donner une image positive des alignements de bord de route, à la mesure de la valeur qui leur est reconnue. » Pour elle, les audits de sécurité visant les arbres en bord de route tiennent surtout de l'opération de communication.
« Le problème, ce sont les comportements, pas les arbres »
Les arbres au bord des routes représentent-ils vraiment un danger pour l’automobiliste ?
Pourquoi fait-on une fixation sur les arbres de bord de route ? D’après les chiffres 2012 de la sécurité routière, 9% des personnes tuées sur la route ont heurté un arbre. Mais quel arbre ? Les voitures percutent des arbres de forêt et même des arbres dans des propriétés privées. Cela signifie que dans plus de 91% des cas, les arbres de bord de route sont hors de cause. On se tue et on tue beaucoup plus sans les arbres de bord de route qu’avec. Mais surtout, ce n’est pas parce qu’un département est riche en arbres d’alignement qu’on y risque plus sa vie sur les routes : c’est ce que j’ai montré dans une étude qui a été publiée par la Revue Générale des Routes et de l’Aménagement. Ce n’est donc pas en supprimant les arbres au bord des routes que l’on réglera le problème n°1 de sécurité routière qui est le comportement des conducteurs.
S’en prendre aux arbres est une question de communication ?
C’est effectivement idéal en termes de communication car s’en prendre aux arbres permet de donner l’impression que l’on agit. Des arbres coupés, cela se voit. Les actions sur le comportement des usagers de la route, ce n’est pas toujours populaire et c’est moins spectaculaire.
Le concept de « route qui pardonne les erreurs », vous n’y croyez pas ?
Je pense en effet que cela n’incite pas à la prudence. Quand la route est dégagée, on a tendance à accélérer, ce qui n’est en soi sans doute pas très gênant tant qu’aucun danger potentiel ne se profile. On a aussi le sentiment d’être invulnérable. Le problème, c’est que cela crée un état d’esprit qui nous rend dangereux : que se passe-t-il à l’approche d’un village, d’un virage ou d’un obstacle comme un groupe de cyclistes ? C’est là que survient le drame. A l’inverse, des études ont montré que des routes bordées d’arbres incitent à une conduite plus apaisée. Outre leur rôle dans la défense de la biodiversité, ces arbres sont des monuments qui nous disent des choses sur le rayonnement de la France. Au-delà, ils servent aussi à se raccrocher à la vie et à la beauté ; ils peuvent nous guérir des blessures de la vie. En les supprimant, on ne diminue pas nécessairement le risque de se tuer sur les routes, comme je l’ai montré, mais on va vers un monde sans saveurs, sans couleurs. Vers quelle société voulons-nous aller ?
***
En 1970, déjà...
En 1970, alors que le ministère de l’Equipement s’apprête à ordonner l’abattage massif d’arbres au bord des routes, ceux-ci trouvent un défenseur inattendu en la personne du Président de la République Georges Pompidou. La lettre qu’il adresse alors à son premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, dans laquelle la colère froide le dispute à l’ironie, se montre d’une piquante actualité. La voici en intégralité.
17 juillet 1970
Mon cher Premier Ministre,
J'ai eu, par le plus grand des hasards, communication d'une circulaire du Ministre de l'Equipement — Direction des routes et de la circulation routière — dont je vous fais parvenir photocopie. Cette circulaire, présentée comme un projet, a en fait déjà été communiquée à de nombreux fonctionnaires chargés de son application, puisque c'est par l'un d'eux que j'en ai appris l'existence. […] Bien que j'aie plusieurs fois exprimé en Conseil des Ministres ma volonté de sauvegarder « partout » les arbres, cette circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l'égard des souhaits du Président de la République. Il en ressort, en effet, que l'abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité. Il est à noter par contre que l'on n'envisage qu'avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques.
C'est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n'ont, semble-t-il, d'autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas. La France n'est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l'importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage. La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes — et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes — est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d'un milieu humain. La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de beauté. L'autoroute sera utilisée pour les transports qui n'ont d'autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l'automobiliste de la fin du vingtième siècle ce qu'était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l'on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que l'on se garde donc de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté !
Georges Pompidou
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