Enquête: votre voiture française est-elle vraiment française?
Pour nombre d'entre nous, une forme de patriotisme économique suppose de rouler dans une voiture française. Seulement voilà, cette notion est bien plus complexe qu'il n'y paraît...et semble même assez secondaire aux yeux de certains constructeurs.
Le « made in France » est une valeur à la hausse. Ce n’est pas Caradisiac qui le dit, mais…Toyota, dont la Yaris a été la voiture la plus produite dans l’hexagone en 2017. Le constructeur japonais, qui fabrique sa citadine à Onnaing (nord) depuis le début des années 2000, a annoncé au mois de janvier dernier un investissement supérieur à 300 millions d'euros pour son usine, assortie de la transformation en CDI de 300 emplois temporaires et de la création ultérieure de 400 autres CDI. « Nous travaillons continuellement au renforcement de la compétitivité globale de nos sites de production », avait alors déclaré Didier Leroy, Vice-président exécutif de Toyota Motor Corporation. « Cet investissement additionnel sur le site Toyota Motor Manufacturing France est un signe de confiance envers nos employés et nos fournisseurs, qui délivrent qualité supérieure et efficacité. Nous remercions également le gouvernement français, ses services et les autorités locales pour leur soutien. » « Si Toyota décide d'investir 300 millions et de créer 700 CDI ici, c'est parce que vous êtes bons », lancera Emmanuel Macron aux employés lors de sa visite de l'usine Toyota d'Onnaing fin janvier. « Cela démontre qu'il est possible d'investir et de produire en France! »
Le « made in France » est une valeur à la hausse (bis). Ce n’est pas Caradisiac qui le dit, mais Carlos Ghosn lui-même. Le patron de l’Alliance Renault Nissan, lors d’une audition à l’Assemblée nationale en janvier dernier, a vanté l’hexagone en ces termes : « La France est au cœur de notre image, c’est un atout de conquête à l’international. Le French Design, la French Touch, la French Tech sont – nous avons pu le mesurer au CES de Las Vegas – des atouts commerciaux partout dans le monde. En Inde, en Chine, au Brésil, chaque client qui achète une Renault sait qu’il achète français. » Et Carlos Ghosn de préciser qu’avec un total de quatorze sites industriels, le groupe assemblait plus de 745 000 véhicules par an sur le territoire français, soit un quart de sa production mondiale. « À Flins où nous avons établi en 2017 la production de la Micra de Nissan, 110 millions d’euros ont été investis pour moderniser le site », observait M.Ghosn, ajoutant que « la France est enfin une terre de recherche, d’innovation et d’expérimentation pour le groupe. Nous y avons implanté le cœur de notre recherche, au Technocentre de Guyancourt, dans le département des Yvelines. La France représente aussi 75 % de nos dépenses d’ingénierie. »
Le « made in France » est une valeur à la hausse (ter). Ce n'est toujours pas Caradisiac qui le dit, mais le groupe PSA, qui dans un communiqué récent s’enorgueillissait d’être le premier constructeur automobile contributeur à la balance commerciale de la France en 2017. « Les 5 usines d’assemblage de véhicules ont produit 1,1 million de véhicules, en augmentation de 12,9% par rapport à 2016 et représentent plus d’un tiers de la production mondiale de véhicules du Groupe. (…) En complément, les 12 usines de composants fabriquent près de 5 millions des moteurs et boites de vitesses du Groupe PSA en France.» Pour Carlos Tavares, patron de PSA, « contribuer directement à l’activité économique de la France est une fierté pour notre Groupe et pour les 58 000 salariés basés dans l’hexagone ». N’en jetez plus, la France est de retour!
Le cabinet PWC ne s’y trompe pas, comme en atteste l’étude qu’il a publiée début mars et dans laquelle on lit qu’en 2017, « la valeur de la production en France (véhicules neufs ainsi que les pièces et équipements) a connu une hausse de +10,2% en un an, et la production française devrait atteindre son plus haut niveau depuis 6 ans pour atteindre 2,3 millions d’unités. » Un chiffre qui s’expliquerait par le lancement de plusieurs véhicules comme le Grandland X d’Opel produit par PSA, ou encore la nouvelle Nissan Micra produite par Renault, « mais aussi par la forte dynamique d’assemblage de véhicules utilitaires que ce soit pour les marques françaises ou pour le compte de constructeurs étrangers ».
Moins du quart des voitures françaises sont françaises
Du côté de Bercy, à la Direction générale des entreprises, on rappelle toutefois que la balance commerciale (rapport entre importations et exportations) des constructeurs automobiles français est négative : « la production mondiale des constructeurs français s’est élevée en 2016 à 6,6 millions d’unités en progression de 10,8% sur un an (+23,3% par rapport à 2000). Durant la même période la part de la production des constructeurs français réalisées en France n’a cessé de baisser, passant de 3,137 millions d’unités en 2000 à 1,8 million d’unités en 2016, malgré une légère amélioration ces trois dernières années (+4,6% entre 2015 et 2016). » Amélioration qui s’est d’ailleurs poursuivie en 2017 (+12,6% et meilleure progression depuis 2010), mais on reste bien loin du compte.
De fait, si les constructeurs français représentent plus de 55% des immatriculations de voitures neuves en France, moins du quart de leur production sort effectivement d’usines locales, comme on le découvre à la lecture du dernier rapport annuel sur l’industrie automobile française édité par le Comité des constructeurs français d’automobiles (données 2016). Dans le détail par constructeur, si 83% des DS peuvent effectivement prétendre à l’appellation « fabriquée en France », il n’en va de même que pour 38% des Peugeot, 20% des Citroën et 18% des Renault.
Et modèle par modèle, on tombe parfois de haut: seul un tiers des Renault Clio, voiture la plus vendue en France l’an dernier, y sont effectivement produites. Et il est question que la prochaine génération du modèle, attendue pour 2019, soit quasi-exclusivement fabriquée en Turquie. Quant à sa rivale la Peugeot 208, seules les versions haut de gamme, soit 20% de la production, sont assemblées chez nous. Les autres viennent de Slovaquie. Citroën n’est pas en reste, avec une C3 elle aussi slovaque et une C3 Aircross espagnole (dans une usine Opel). De plus, seules 16% des C4 sont produites en France (source CCFA, toujours).
On nous objectera à raison que la Peugeot 3008, véritable succès commercial, sort de l’usine française de Sochaux qui devrait passer le cap des 500 000 voitures cette année, tandis que la 5008 vient de Rennes. Ces modèles peuvent d’ailleurs s’enorgueillir d’arborer le méconnu label « Origine France garantie », attribué sur les critères suivants : entre 50% et 100% du prix de revient unitaire doit être français, et le produit prend ses caractéristiques essentielles en France. « 15 véhicules des marques Peugeot, Citroën et DS ont été labellisés « Origine France Garantie » par l’association pro France. », rappelle-t-on chez PSA. La nouvelle Peugeot 508, assemblée à Mulhouse tout comme la 2008, pourrait en bénéficier également. On observe au passage que Renault préfère bouder ce label, dont l'obtention repose sur le volontariat et qui n'est délivré qu'au terme d'une analyse complète menée par un organisme certificateur (Bureau veritas, Afnor, etc.).
La France mondialisée
On s’aperçoit en fait qu’au-delà des quelques exemples évoqués plus haut, nos constructeurs, comme leurs concurrents, sont engagés dans la voie d’une mondialisation qui rend bien secondaire la question de la production nationale. « Nos châssis, moteurs, véhicules particuliers ou utilitaires fabriqués à Batilly, Maubeuge, Sandouville, Flins et Douai sont vendus à Nissan, bien sûr, mais aussi à Daimler, Fiat, Opel ou encore General Motors », précise Carlos Ghosn. Le message est clair : tout le monde est content de vendre à des constructeurs étrangers des produits français. Dans ces conditions, on doit aussi accepter que des voitures françaises soient produites hors de nos frontières. Et ainsi tourne l’industrie. L’automobile d’aujourd’hui est un véritable patchwork, et la clientèle se soucie finalement assez peu de l’origine du produit qu’on lui propose. Et après tout, est-ce si grave ? « Du point de vue du client, les études montrent que le patriotisme économique passe après les critères du prix, de la fiabilité ou du design », résume d’ailleurs Flavien Neuvy, Directeur de l’Observatoire Cetelem de l’automobile, dans l’interview qu’il a accordée à Caradisiac (voir encadré plus bas). En d’autres termes, libre à chacun de privilégier ou non le made in France dans ses choix de voitures neuves. Pour vous aider à y voir plus clair, vous trouverez donc ci-dessous la liste des voitures particulières dont une partie au moins de la production est localisée dans l’hexagone aujourd’hui.
Citroën: C4, E-Mehari, SpaceTourer, C5 Aircross (modèle commercialisé courant 2018)
DS: DS3, DS4, DS5, DS7 Crossback
Peugeot: 208 (GTI), 2008, 308, 3008, 508, 5008, Traveller
Renault: Clio*, Zoe, Scenic, Talisman, Espace, Kangoo
*Production partielle en France
Alpine: A110
Mercedes: Citan Tourer
Nissan: Micra
Opel: Grandland X
Smart: ForTwo
Toyota: Yaris (dont hybride), Proace Verso
Bolloré: Bluecar
Bugatti: Chiron
Trois questions à...
Flavien Neuvy, Directeur de l’Observatoire Cetelem de l’automobile
«Le patriotisme économique passe après le prix ou la fiabilité. »
L’automobile « made in France » a-t-elle encore un sens alors que les groupes Renault et PSA produisent moins du quart de leurs véhicules dans l’hexagone ?
Pour notre économie, la réponse est bien sûr positive car l’industrie automobile joue un rôle très structurant : il y a les constructeurs, les équipementiers, et bien sûr tous les emplois indirects induits par la production. Sur le plan du patriotisme économique, je suis par contre plus réservé. Du point de vue du client, les études montrent que ce patriotisme passe après les critères du prix, de la fiabilité ou du design. On observe toutefois que dans les bassins d’emploi où l’industrie automobile est importante, ce critère est plus marqué, puisqu’on se dit qu’en achetant la voiture fabriquée localement, on contribue à l’économie de sa région et/ou à l’emploi d’un proche.
Entre une Peugeot 208 fabriquée en Slovaquie et une Toyota Yaris fabriquée dans le Nord, quelle est la voiture la plus française ?
C’est très confus dans l’esprit des consommateurs, les gens n’y comprennent rien. J’ai moi-même du mal à répondre concernant la Yaris. Spontanément, le patriotisme économique sera toutefois plus associé à une marque. Il y a l’ingénierie et la conception d’un côté, de l’autre la production… Mais même là, il y a des nuances : la production est un assemblage de pièces détachées, qui peuvent être de provenances diverses. De fait, on observe que les constructeurs jouent assez peu sur ces arguments de l’origine de leurs modèles.
Une re-localisation massive de la production en France est-elle envisageable ?
La production en France est déjà repartie à la hausse grâce à une demande qui augmente et aux accords de compétitivité signés par les constructeurs. Mais jamais on ne reviendra aux 3,5 millions de voitures fabriquées dans l’hexagone au début des années 2000. Les constructeurs sont engagés dans une démarche globale, mondiale, et la France n’est pas l’enjeu majeur. Aujourd’hui, tous s’intéressent à l’Afrique, qui dans quelques années sera la Chine d’aujourd’hui.
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