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Enquête - Voitures électriques: pourquoi ça ne décolle pas

Malgré d'indéniables qualités d’usage, les voitures électriques ne séduisent toujours pas: l’an dernier, elles ont représenté moins de 1% des ventes mondiales de véhicules neufs. Voici pourquoi ça coince.

Enquête - Voitures électriques: pourquoi ça ne décolle pas

Mais qui peut bien bouder la voiture électrique ? Sur le papier, celle-ci cumule les qualités : avec sa douceur de fonctionnement, son silence d’usage, un coût du « plein » dérisoire et son absence d’émissions polluantes, cette technologie a tout bon. Du coup, corrigeons la tournure de la question initiale : avec toutes ces qualités, qui peut encore ne pas vouloir de la voiture électrique? Réponse : 99,2% des acheteurs de véhicules neufs dans le monde l’an dernier, d’après les chiffres du cabinet d'expertise automobile Jato. C’est un peu mieux sur le Vieux continent, puisque ce chiffre « tombe » à 98,5%, à en croire l’Association des constructeurs automobiles européens… En tout état de cause, on est loin, bien loin du raz-de-marée pour une technologie dont l’importance médiatique semble inversement proportionnelle au succès commercial.

Tous drogués au gazole ? Accros au sans plomb ? Incorrigibles pollueurs ? Non, tout simplement des automobilistes qui, bien que conscients que la motorisation thermique n'est pas forcément la panacée, estiment à tort ou à raison que l’électrique ne répond pas à leurs attentes ou à leurs besoins. Voici pourquoi.

Enquête - Voitures électriques: pourquoi ça ne décolle pas

Changer ses habitudes. La première raison est probablement d’ordre culturel, sinon psychologique. Accoutumé à des motorisations thermiques qui remplissent parfaitement leur office, l’automobiliste ne ressent pas forcément le besoin de modifier ses habitudes pour une technologie récente qui, il est vrai, présente plus de contraintes à l’usage. Plus que la question de l’autonomie, qui n’en est pas vraiment une avec la nouvelle génération de batteries permettant d’effectuer plus de 300 km sans avoir à se rebrancher, c’est celle du temps de charge et de la disponibilité des bornes qui peut décourager. En septembre 2017, un pointage mené par l’Avere-France et le Gireve dénombrait plus de 20 000 points de charge dans l'hexagone (+35,5% en un an) répartis dans 7 242 stations ouvertes au public, pour un parc roulant de 115 000 véhicules. C'est encore trop peu, mais le nombre augmente rapidement.

Trouver l’énergie. Pour qui a la possibilité d’effectuer des charges à domicile, la solution est relativement simple : elle consiste à faire installer une Wallbox qui sécurise l’installation électrique et permet une recharge plus rapide. Il en coûte entre 700 et 1200 € environ, dont 30% sont déductibles des impôts. Quand on habite un immeuble, les choses se compliquent : il faut convaincre les copropriétaires de l’intérêt de faire installer une borne électrique à sa place de parking, puis s’entendre sur le mode de facturation: en effet, impensable de faire supporter à ses voisins le coût de ses « pleins » d’électricité (compter en moyenne 2 € par tranche de 100 km)... Le processus peut durer un certain temps.

Des solutions existent toutefois, la meilleure étant de pouvoir faire procéder à un décompte individuel des coûts d’électricité. Pour accélérer les choses, l’Avere, association qui a pour vocation de promouvoir la mobilité électrique, vous invite à faire valoir votre « droit à la prise » et édite à cette fin un guide pratique détaillant les meilleures façons de procéder : « tout contribuable qui acquiert une solution de recharge jusqu'au 31 décembre 2018 peut bénéficier du crédit d'impôt de 30% dans une limite de 8 000 euros pour une personne seule », rappelle-t-elle.

Bornes publiques, le hic. Les choses se corsent quand on évoque les bornes publiques, souvent difficiles d’accès. Soit parce qu’elles sont occupées par d’autres utilisateurs qui peuvent tarder à les libérer (une charge, même partielle, peut durer longtemps), soit parce qu’elles sont abimées ou en panne, soit parce qu’elles ne sont pas disponible en accès libre. « 90% des charges se font au domicile ou lieu de travail. On a aujourd’hui plus de 23 000 bornes en France, le réseau est déjà dense. Mais il y a une vraie préoccupation concernant la qualité et la maintenance des bornes publiques, qui laisse souvent à désirer. C’est un appel fort que je passe auprès de tous les acteurs », lance Eric Feunteun, Directeur du programme Véhicules électriques chez Renault, interrogé par Caradisiac.

De plus, quand il ne s’agit pas de bornes de charge gratuites comme celles qu’on trouve dans certains parkings (bien payants, eux !) ou dans certains centres commerciaux, il faut bien souvent être dûment enregistré et disposer d’un compte pour accéder à tel ou tel réseau, ce qui serait impensable avec une voiture thermique. Qui imaginerait se voir empêché de faire le plein chez Esso, Total ou BP parce qu’il n’y est pas répertorié ? C’est pourtant ce qui arrive régulièrement à certains adeptes de l’électricité plus nomades que les autres et qui se voient refuser l’accès à certaine bornes parce qu’ils ne disposent pas de la carte délivrée par le syndicat de communes qui les gèrent.

Avec les bornes publique de recharge, se posent les questions de l'accessibilité et de la maintenance.
Avec les bornes publique de recharge, se posent les questions de l'accessibilité et de la maintenance.

La solution pourrait venir de cartes et applications « universelles » type Renault ZE Pass (réservée aux clients du losange) ou ChargeMap pass, qui donnent accès à la plupart des réseaux et centralisent les facturations. Mais là encore, difficile pour un utilisateur novice de s’y retrouver dans un maquis d’offres. Une généralisation de la facturation à la prestation et payable en carte bleue serait encore la plus pratique…mais pas à l’ordre du jour hélas. Relevons au passage que le francilien Autolib’ ne permet pas l’accès à ces plates-formes d’interopérabilité, ce qui résume la complexité de la situation.

Dépasser les bornes. Et, bien sûr, il faudra que les bornes continuent de se multiplier. Lors d’une audition menée à l’Assemblée nationale en janvier dernier, Carlos Ghosn, patron de l’Alliance Renault Nissan, résumait les choses ainsi : « Les infrastructures de charge sont un point essentiel pour le développement de la voiture électrique. Pour l’essence, les infrastructures de charge ont été nécessaires : sinon, les gens n’auraient pas acheté de voitures. Or, il est beaucoup moins cher d’installer une borne de chargement électrique qu’une station d’essence. Il y a donc très peu d’efforts à faire pour installer des bornes de chargement dans les villages ou dans les campagnes. L’électrique a un réel avantage comparé à l’hydrogène et à l’essence, car l’infrastructure unitaire de charge n’est pas très chère. L’effort doit être partagé entre les constructeurs, les communautés, les villages, les villes, etc. » Fin mars, son homologue chez PSA Carlos Tavares, lui aussi auditionné à l’Assemblée nationale, estimait pour sa part que « si on veut atteindre une part de 30% de modèles électriques dans les ventes totales, la question qui se pose est celle du point de vue du consommateur : un véhicule électrique c’est super, mais vais-je pouvoir le recharger ? Au-delà de la question d’entrave à la liberté de mouvement, il y a la question évidente du confort d’usage : à quelle vitesse allons-nous développer des réseaux de chargement qui sécurisent l’acheteur ? »

Le projet Ionity, soutenu par quatre des principaux groupes automobiles, prévoit le déploiement de 400 stations de charge rapide en Europe à partir de 2020. Une belle avancée pour la mobilité électrique.
Le projet Ionity, soutenu par quatre des principaux groupes automobiles, prévoit le déploiement de 400 stations de charge rapide en Europe à partir de 2020. Une belle avancée pour la mobilité électrique.

Les groupes allemands BMW, Daimler (Mercedes), Ford et Volkswagen avancent de concert sur le sujet, comme en atteste le projet Ionity, souvent évoqué par Caradisiac. Cet accord débouchera sur le déploiement de 400 stations de charge rapide à travers 19 pays d’Europe à partir de 2020, ce qui constituera un réel progrès vers la mobilité électrique globale. Tesla pourrait les rejoindre. Renault, lui, a rejoint le consortium E-Via Flex-E qui regroupe des acteurs tels que EDF,  Enedis, Verbund ou encore Enel et vise une développement de la charge rapide en Europe du sud (France, Espagne, Italie...). Les éléments se mettent donc en place. Doucement.

Mettre la main à la poche. Autre frein au développement des voitures électriques, leur offre encore limitée. Les constructeurs vont progressivement élargir leurs catalogues dans tous les segments de marché, permettant à un nombre croissant de consommateurs de trouver « voiture à leur pied ». Mais en attendant, rouler vert coûte encore cher. Hors remises et primes à la conversion mais bonus écolo inclus, comptez au minimum 17 700 € pour une Renault Zoé (sans compter la location de batterie), 33 560  € pour une Volkswagen e-Golf, 27 900 € pour une Nissan Leaf, ou bien encore 30 200 € pour une Hyundai Ioniq electric. Pour séduire, ces modèles de référence doivent aussi affronter la concurrence interne que leur livrent des modèles thermiques ou hybrides exposés dans les mêmes concessions. Même si la conception même de ces derniers peut apparaître comme un non-sens – il faut deux moteurs pour consommer moins ! – force est de leur reconnaître une polyvalence d’usage nettement plus rassurante pour le consommateur. L’an dernier, il s’est vendu 4,3 fois plus d’hybrides que de modèles 100% électriques (source : JATO).

 

Le développement de la voiture électrique bute aussi sur une offre encore faible dans les catalogues des constructeurs.
Le développement de la voiture électrique bute aussi sur une offre encore faible dans les catalogues des constructeurs.

En d’autres termes, les modèles « zéro émission » intéressent surtout les plus aisés ou les plus militants d’entre nous.  « Avec les offres de loyer « tout compris » sur Zoé, on arrive à des tarifs comparables à ce que l’on trouve pour Clio. Ce modèle représente 12% des ventes du segment B pour Renault en France, ce qui n’a rien d’anecdotique », tempère Eric Feunteun (Renault). En France, environ la moitié des clients particuliers de la Zoé optent pour des formules de location longue durée.

Carlos Ghosn, encore : « il n’est pas vrai que des consommateurs préfèrent le diesel, d’autres l’essence et d’autres encore les voitures électriques : les consommateurs s’en moquent éperdument, sauf 5 % ou 10 % d’entre eux qui s’intéressent à la question. Sur 95 millions de voitures vendues dans le monde, je peux vous certifier que 85 millions sont achetées en considération du prix – le coût d’acquisition et le coût de fonctionnement, soit le coût global de possession ou total cost of ownership –, du service rendu et de la disponibilité des pièces. L’utilisation de la voiture électrique sera massive lorsque son total cost of ownership sera plus faible que celui de la voiture à essence. »

Objectif 2040

Sur le plan financier, les choses devraient commencer à s’arranger vers…2025, si l’on se fie à une étude menée par l'agence Bloomberg New Energy Finance qui prédit une baisse drastique des prix des batteries électriques à cet horizon: « les véhicules électriques devraient atteindre 54% des ventes de voitures neuves en 2040. La chute des prix des batteries lithium-ion aura pour conséquence une baisse des coûts sur la durée de vie la voiture, et signifie que les modèles électriques coûteront moins cher que les thermiques dans la plupart des pays entre 2025 et 2029. »

A cette époque, il est probable que rares seront les constructeur à proposer encore les batteries à la location, formule qui ne favorise guère la lisibilité des offres commerciales et contribue à décourager des clients potentiels. Nissan l’a déjà abandonné pour la nouvelle Leaf, et on observe que Renault commence à la proposer sur la Zoé, désormais disponible à l'achat intégral, dispositif qui séduit déjà 15% de ses clients européens.

Argent public. Dans l’intervalle qui nous sépare d’une accélération spectaculaire des ventes d’électriques, seul un soutien des pouvoirs publics à la filière permettra d’en soutenir l’émergence, comme le conclut une récente étude menée par l’Agence européenne de l’environnement: « partout où un niveau approprié de taxation et d’incitations a été mis en place, les consommateurs ont adopté des véhicules aux taux de CO2 réduits. On a pu le constater pour les modèles électriques en Hollande, Norvège ou en France, ou bien encore pour les moteurs diesels en Irlande. »

Un procédé qui a ses limites, comme le rappelle Carlos Tavares : « si on continue à soutenir la vente de ces véhicules, c’est le budget de l’Etat qui en sera impacté. Cela ne me paraît pas très crédible dès l’instant où les volumes augmenteront fortement. » Un subtil équilibre serait donc à trouver.

Ecolo, vraiment? Il est enfin permis de s'interroger sur les vertus écologiques réelles des modèles électriques. Si ceux-ci n’émettent aucune émission polluante à l’usage (à condition de faire abstraction des particules résultant de l’usure des pneus et freins, comme pour tout engin roulant), leur bilan environnemental laisse encore à désirer. En Allemagne, l’institut Franhaufer soutient que les émissions polluantes à la production sont 1,5 à 2 fois supérieures à celles enregistrées lors de la fabrication d’un moteur à combustion interne. Et d’après une étude de l’Agence suédoise de l’énergie, la production de chaque kilowatt/heure entraîne l’émission de 150 à 200 kilos de CO2 et autres gaz à effet de serre.

L'environnement paie aussi un lourd tribut à la fabrication des batteries.
L'environnement paie aussi un lourd tribut à la fabrication des batteries.

A quoi s’ajoute la question des métaux (lithium, cuivre, cobalt…), qui entrent dans la composition des  électriques, et dont l’extraction s’effectue principalement en Chine, Afrique et Amérique latine. « La purification de chaque tonne de terres rares requiert l’utilisation d’au moins 200 mètres cubes d’une eau qui, au passage, va se charger d’acides et de métaux lourds », détaille le journaliste et auteur Guillaume Pitron dans son livre « La guerre des métaux rares: la face cachée de la transition énergétique et numérique » (ed. Les liens qui libèrent) . « Transite-t-elle par des stations de raffinage avant d’être évacuée dans les fleuves, les sols, les nappes phréatiques ? Très rarement. Les Chinois auraient pu faire le pari de la propreté, mais ce n’est pas l’option qui a été privilégiée. D’un bout à l’autre de la production de métaux rares, quasiment rien en Chine n’a été fait selon les standards écologiques et sanitaires les plus élémentaires. En même temps qu’ils devenaient omniprésents dans les technologies vertes et numériques les plus enthousiasmantes qui soient, les métaux rares ont ainsi imprégné de leurs scories hautement toxiques l’eau, la terre, l’atmosphère et jusqu’aux flammes des hauts-fourneaux – les quatre éléments nécessaires à la vie. »

Electro-paradoxe. On arrive donc au paradoxe d’une mobilité électrique qui, pour être mise en œuvre, représente une importante source de pollution. S’ajoute bien sûr la question de la production d’électricité qui, quand elle n’est pas d’origine nucléaire (10,5% de la production d’électricité mondiale), est en grande partie le fruit de centrales thermiques très polluantes.

Avec la précision de propos qu’on lui connaît, Carlos Tavares résumait les choses de la sorte lors de son audition à l’Assemblée nationale en mars : « avons-nous véritablement fait une étude d’impact à 360° complète  de ce que représente la transition énergétique vers l’électricité ? Cette étude irait du puits à la roue et passerait par le mix énergétique de l’électricité, c’est-à-dire sa propreté réelle, et passerait aussi par l’empreinte carbone de la fabrication et du recyclage des batteries. […] L’ensemble de ces impacts 360° nécessite une réflexion en profondeur. » Etude qui reste à mener, en même temps qu’il faudra lever toutes les barrières énumérées plus haut avant d’aboutir à une mobilité électrique généralisée.

 

Le bilan : vert mais juste

Le propos de cette enquête n’est certainement pas de décourager quiconque serait tenté par l’électrique. D'ailleurs, le fait de pointer du doigt les défauts de ces motorisations ne rend pas les technologies thermiques classiques plus propres par effet de miroir.

La transition énergétique dont nous sommes témoins avance vraisemblablement dans le sens de l’histoire, mais le temps médiatique n'est pas celui de l'automobile, industrie lourde par essence (haha) et qui doit aujourd'hui se réinventer (au moins en partie).

La bonne nouvelle est que les obstacles se lèvent peu à peu: l'autonomie des batteries a doublé ces dernières années, les bornes de recharge se multiplient, la gestion des temps de charge va s'optimiser, les composants des batteries devraient évoluer et l'offre de véhicules "zéro émission" s'élargir. Le mouvement vers le zéro émission - à ne pas confondre avec le zéro pollution - semble donc inexorable, mais il importe de laisser du temps au temps avant que les voitures électriques représentent un tiers des ventes de voitures neuves. Entre sept et dix ans, en l'état actuel des choses.

 

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