Sécurité routière : et si nous passions à l’heure anglaise ?
Comment expliquer que le nombre de tués remonte sur nos routes ? J’ai peut-être trouvé l’explication chez nos voisins britanniques : le plaisir de conduire…
À peine rentré de vacances, j’apprends que le nombre de tués sur la route au mois d’août a augmenté. Mois après mois, il se confirme que nous repassons au-dessus des chiffres de 2019, ceux d’avant le Covid.
Comme ceux de juin et juillet, le bilan d’août comporte une bizarrerie : trafic en hausse, nombre d’accidents et de blessés en baisse et pourtant d’avantage de tués. Pour les spécialistes, cette gravité accrue des accidents s’explique classiquement par l’augmentation des vitesses pratiquées.
Il se confirme donc que de plus en plus de radars de plus en plus efficaces, ne nous empêchent pas de rouler plus vite. Et aussi, me semble-t-il, avec plus d’agressivité, « d’incivilité » comme on dit en nouveau français politico-médiatique, mais à ce sujet, la statistique est muette.
Mais ce n’est sans doute qu’une impression de ma part, sans doute faussée parce que je rentre de deux semaines à sillonner des routes parmi les plus sûres au monde, dans un pays aussi peuplé que la France mais qui depuis des décennies déplore deux fois moins de victimes de la circulation.
Vous aurez reconnu la Grande Bretagne, une île où il fait bon voyager, et cela ne doit pas seulement à la beauté des paysages qui n’ont pas été saccagés par les remembrements agricoles, à l’absence de ces zones commerciales qui enlaidissent les abords de nos moindres bourgs et au pittoresque de ses petites routes tortueuses.
Le Royaume-Uni est d’abord un des pays les plus déroutants qui soit du point de vue d’un automobiliste français, et pas seulement parce qu’on y roule à gauche.
À cent à l’heure sur les départementales
Première surprise, normalement, on devrait s’y tuer deux fois plus. Voici un des derniers pays au monde où l’on cultive la passion de la voiture de sport, le dernier où les GTI se vendaient comme des petits pains, où l’on peut tracer à 60 mph (96,5 km/h) sur la majeure partie des « B roads » l’équivalent de nos départementales, où l’apprentissage de la conduite s’est longtemps effectué exclusivement en famille, où la météo n’est pas avare de pluie et brouillard et où l’on peut encore faire pointer l’éthylotest à 0,80 g d’alcool par litre de sang.
Jeune journaliste, j’avais cherché par deux fois à percer ce mystère en enquêtant sur place.
La seule réponse que j’avais trouvée, au-delà du légendaire civisme des sujets de sa gracieuse majesté, était la vétusté du réseau des routes secondaires, si dangereuses… qu’on ne pouvait y rouler vite.
En y retournant cet été en famille, j’ai constaté que rien n’y avait changé depuis mes reportages des années 90. La passion du vroum est encore vivace, les B roads sont toujours panneautées à 60 miles per hour et l’éthylotest calibré à 0,80 g par litre de sang. Seul changement, imposé par l’Europe quelques années avant le Brexit, pour obtenir son permis de conduire il faut désormais passer par l’auto-école, ce qui a eu pour seul effet tangible une légère surmortalité des jeunes hommes.
Des routes d’un autre âge
Quant aux routes secondaires, elles contrastent toujours autant avec les nôtres. Circuler dans la campagne anglaise, galloise ou écossaise, c’est replonger dans les années 30 à 50, avant la démocratisation de la voiture.
Pour de subtiles et britanniques raisons de droit foncier, leur largeur, leur profil et leur tracé n’ont pas changé depuis les débuts de l’automobile ; elles n’ont été ni élargies, ni redressées, les virages en dévers abondent et - autre anglicisme - la plupart du temps, il n’y a pas de bas-côté : les haies, les arbres ou les murets de pierres sèches sont au raz du bitume et on ne met pas le coude à la portière sans péril.
Conséquence de cette étroitesse, la visibilité dans un virage à gauche est souvent réduite à 10 ou 20 mètres, les croisements s’effectuent au centimètre (et parfois au prix d’une marche arrière) et il est rigoureusement impossible d’y circuler à vélo. D’ailleurs, on ne voit aucun cycliste en dehors des agglomérations et des voies cyclables.
Les intersections n’ont pas davantage évolué. Les ronds-points, pourtant une invention britannique, sont rarissimes en dehors des « A roads », l’équivalent de nos nationales. On se croise à angle droit et très souvent avec une visibilité réduite.
De quoi calmer toute ardeur tachymétrique : si pointer à quasiment « cent à l’heure » (60 mph) n’est pas interdit, c’est très rarement possible et par conséquent, on ne regarde plus son compteur après avoir constaté que l’aiguille ne dépasse jamais les 50 mph, voire les 40, sans avoir l’impression de lambiner. D’autant que les changements de limitation sont rares et toujours à propos. Pour qui aime conduire, c’est le paradis.
Là où sur une départementale française on tient le volant d’un doigt, en se curant le nez de l’autre, un œil sur le compteur, l’autre sur son smartphone en maudissant Édouard Philippe et son 80 km/h qui empêche de passer la 6ème, le British driver a les mains à 9 h 15 et se concentre pour ne pas fouetter la végétation de son rétroviseur gauche. Il y avait bien longtemps que je n’avais pas pris autant de plaisir à conduire une voiture et depuis mon retour, je n’ai plus qu’une envie, y retourner à moto.
REDUCE YOUR SPEED NOW
Désuètes dans leur topographie, les routes secondaires britanniques contrastent également avec les nôtres parce qu’elles sont remarquablement bien entretenues : le bitume est le plus souvent impeccable. Même dans les bourgs et les villages, les rues restent vierges des traces de tranchées qui lézardent les nôtres (eau, gaz, électricité, câble, fibre et rebelote). Partout, les marquages au sol semblent repeints de frais et la signalisation remarquablement succincte et, le plus souvent inscrite au sol : REDUCE YOUR SPEED NOW ! ou SLOW ! en immenses caractères, sans autre explication inutile.
Autre différence qui renforce l’exotisme automobile de la Grande Bretagne, les ralentisseurs sont rarissimes. En mille miles, j’ai dû en escalader trois ou quatre, tous judicieusement placés, alors qu’en France, particulièrement dans le Sud, ils pullulent et dégénèrent dans leur forme au point que conduire est devenu une punition, j’en parlais ici. Aussi rares, les zones 20, l’équivalent des zones 30 qui gagnent désormais les plus dépeuplés de nos villages.
Quant à la présence policière, là où en France en 1 609 kilomètres, j’aurais croisé une bonne vingtaine de voitures des forces de l’ordre et autant de radars automatiques, je n’en ai vu que cinq ou six de chaque.
Un combat entre soi et l’autorité
Un bonheur que de conduire au pays de sa majesté la r… euh, le roi.
Et c’est là que la pièce est tombée…
Et que, 30 ans après mes reportages, j’ai peut-être trouvé une autre explication au fait que nos voisins d’outre-manche meurent deux fois moins que nous sur la route : on leur fait confiance, ils sont respectés, bien traités, pas fliqués. Bref, pas stressés et donc moins agressifs.
En France, inversement, conduire devient une punition. De plus en plus bastonné par les ralentisseurs et les gendarmes couchés, circulant sur un réseau routier désormais laissé à l’abandon, stressé par d’incessants changements d’allure (et encore plus depuis qu’il faut savoir si l’on roule dans un département 80 ou un département 90), sans cesse et toujours plus surveillé par d’innombrables machines fixes et roulantes, l’automobiliste français vit un combat permanent entre lui et l’autorité.
Et c’est peut-être pour cela qu’il ne joue plus le jeu, qu’il accélère et respecte de moins en moins les règles.
Une hypothèse qui devrait être méditée.
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