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Route de nuit - Le (faux) verbatim de Carlos Ghosn

Carlos Ghosn et sa femme Carole ont publié ce mercredi 3 mars « Ensemble, toujours », un livre* dans lequel l’ex-PDG de l’Alliance Renault Nissan et sa femme retracent les 14 mois de descente aux enfers vécue à la suite de l’arrestation du grand patron au Japon, le 19 novembre 2018. A cette occasion, Caradisiac prend la liberté d’imaginer un faux verbatim de l’intéressé, qui commente son parcours et les décisions prises par ses successeurs.

Route de nuit - Le (faux) verbatim de Carlos Ghosn

« Alors on y est. Jeudi 14 janvier, Renault a présenté son fameux grand plan de relance. Mais comme on est en janvier et pas en juillet, c’est le retour de la R5, un modèle né en 1972, qui aura fait office de feu d’artifice pour cette défaite nationale.

Avec moi aux commandes, on ne parlait pas de « Renaulution. » Au contraire, on festoyait au Château de Versailles, et l’Alliance visait les 10 millions de voitures par an grâce à l’intégration de Mitsubishi à Nissan. A l’époque ça filait droit, et je n’avais pas besoin d’inviter les patrons japonais à venir polluer mes raouts avec des interventions vidéo complètement insipides, comme on a pu le voir l’autre jour. Qui peut croire une seconde aux fariboles de cette pseudo-harmonie retrouvée ?

Et ce de Meo, qui dit vouloir passer « de la course au volume à la création de valeur ». La belle affaire ! S’il y a UN champion du monde de la création de valeur, c’est bien moi ! Avec mes 13 millions de dollars de salaire annuel, j’étais l’un des patrons les mieux payés au monde, tout en tentant de fourguer aux clients des Latitude, Koleos et autres Wind.

Obama et moi

Et peu importe si j’ai sous-estimé l’essor des SUV, totalement négligé la technologie hybride, ou bien encore réduit le « made in France » à la portion congrue. Je voyais large, moi. J’étais un big boss mondialisé, pas un chef de bureau franchouillard. J’étais celui qu’Obama himself voulait élever au grade suprême chez General Motors en 2009. Toujours entre deux jets privés, je faisais miroiter des lendemains électriques qui chantent quand les autres, Volkswagen en tête, tripatouillaient en douce leurs moteurs diesels pour qu'ils passent les normes.

Ah, l’électrique ! Je me souviens encore des réactions incrédules au salon de Francfort 2009, quand j’avais annoncé devant les médias du monde entier ce grand virage vers le « zéro émission » alors même que Tesla n’apparaissait sur aucun radar. L’électrique pour lequel mes entreprises auront investi plus de 4 milliards d’euros dans les années 2010. OK, ça se sera longtemps résumé à du zéro vente - c’est vrai qu’il fallait avoir le moral pour acheter une Twizy ou une Fluence Z.E. - , mais maintenant que ça commence à décoller un peu partout dans le monde, il faudrait voir à rendre justice à mes talents de visionnaire.

Et la résurrection d’Alpine, c’est encore Bibi qui était aux commandes, on l’oublie trop souvent ! Sauf que moi, je leur ai resservi une vraie A110 moderne à mes clients, je ne leur promets pas une gamme 100% électrique comme cela a été fait par mes saboteurs de successeurs.

Mangas bidons

Par contre, là où je suis admiratif, c’est ce tour de passe-passe qui consiste à présenter maintenant Renault comme une future « boîte de technologie qui fabrique des véhicules ». Avec des voitures longtemps célèbres pour leurs bugs électroniques, il y a du boulot !

Mais je dois avouer que cette expression en jette nettement plus que ce concept totalement dépassé de « constructeur automobile » auquel je me suis bêtement accroché pendant toutes ces années : avec un telle baseline et une bonne communication, j’étais bon pour franchir le cap des 25 millions de dollars par an !

Une poignée d’imbéciles au Japon a hélas décidé du contraire, ourdissant un complot dans le but de revenir au Nissan d’avant. Oui, le flamboyant Nissan des années 90, avec ses berlines déprimantes dont personne ne voulait et que Renault a sauvé de la banqueroute en 1999. C’est là que je suis arrivé, tel un sauveur, et que j’ai redressé la barre de cette entreprise moribonde.

Ensuite, cela méritait bien de soigner le storytelling, quitte à mandater des publicitaires pour qu’ils fassent éditer des mangas bidons à ma gloire. Quand je vois à quel point les médias occidentaux ont mordu à l’hameçon de cet outil de communication, je me dis que j’aurais eu bien tort de me priver ! Ce pays, je l’ai servi pendant 17 ans, et 200 ouvrages sur le management m’y ont été consacrés. Qui aujourd’hui peut en dire autant ?

Merci Mélenchon

Me voici maintenant assigné à résidence à Beyrouth dans une maison que Nissan prétend posséder, mais dont c’est moi qui ai les clés. J’attends donc que les Japonais viennent faire valoir leurs prétendus droits au tribunal, ici à Beyrouth, mais je ne suis pas très inquiet quant à l’issue des discussions. Ils m’ont envoyé à l’ombre, je profite maintenant du soleil à leurs frais, c’est de bonne guerre.

A eux de prouver ma culpabilité dans toute cette histoire : depuis l’affaire des faux espions de Renault en 2011, où j’avais accusé sans preuves des cadres de Renault d’espionnage au profit de la Chine, j’ai complètement changé de point de vue sur la présomption d’innocence. Ce n’est pas parce que je l’ai refusée jadis à autrui que je devrais en être privé aujourd’hui.

Depuis mon évasion du Japon après 14 mois de persécution, je me sens de toute façon intouchable. Pensez, même Jean-Luc Mélenchon était venu à mon secours avec des mots qui resteront à jamais gravés dans ma mémoire : « Les droits de l’homme et les droits de la défense ne s’appliquent pas avec des critères de classe. La maltraitance à laquelle s’est livrée la justice japonaise est inacceptable. Vous connaissez un être humain qui n’essaie pas de s’échapper quand on le maltraite ? »

Merci Méluche, je suis prêt à prendre gratuitement la présidence de ton comité de soutien pour 2022 ! On fera battre ce Macron avec lequel je ne me suis jamais entendu, et dont je suis persuadé que c’est la maladresse qui a provoqué le début de ma chute.

Je reviendrai

Quand l’Etat-actionnaire, allié que je croyais avoir définitivement réduit à l’état de carpette, avait soudain voulu augmenter sa participation dans le capital de Renault en 2015, ça avait effrayé les Japonais qui eux ne détenaient aucun droit de vote côté Renault. Pour eux l’humiliation, et pour moi le début de la fin ! Ou plutôt la fin du début, parce que vous pouvez compter sur Carlito pour rebondir toujours plus haut.

Comme je le répète souvent, je ne sors pas de l’ENA, je ne fais pas partie pas de l’establishment et le microcosme ne me considère pas comme faisant partie des siens. Dont acte, mais il y a un truc que je peux vous garantir : c’est que tout ce petit monde sera scotché devant sa télévision quand la télévision diffusera d’ici quelques mois la série retraçant mon parcours. Croyez-moi, j’en ai encore sous la pédale et je reviens plein gaz ! »

 

*Ensemble, toujours, Carole et Carlos Ghosn, éd. L’Observatoire, 304 p., 20 €

 

Nouvelle rubrique. Tous les soirs du jeudi au dimanche, la Route de Nuit de Caradisiac va passer par la case culture, au sens le plus large du terme. Attendez ! Ne fermez pas votre tablette ! Ne piétinez pas votre smartphone ! Ne cliquez pas sur un autre site qui forcément vous décevra ! Ne fuyez pas. La culture n’est pas synonyme d’ennui et d’élitisme. Nous allons vous montrer qu’elle est intimement liée à la passion - ou au simple intérêt - que vous portez à l’automobile.Qu’on le veuille ou non, qu’on la vénère ou qu’on la vilipende, l’automobile est omniprésente depuis cent trente ans dans nos sociétés, dans notre vie quotidienne et donc dans la vie culturelle.Tous les créateurs s’en emparent un jour ou l’autre que ce soit pour l’encenser ou pour la conspuer. On rencontre l’automobile à tous les carrefours : dans la littérature, le cinéma, la mode, la musique, l’architecture, la publicité, la photographie…Ce sont ces confluences et ces connivences que nous allons évoquer ensemble.Nous sommes sûrs qu’avec le concours d’une nuée d’artistes iconoclastes, Route de nuit ne rimera pas avec ennui.

La rédaction.

 

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