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Route de nuit - Il y a 25 ans, la Mercedes Classe A dérapait...

… et pas que lors du test de l’élan, car sa tenue de route n’était pas le (seul) problème. Retour sur l’échec retentissant d’un constructeur qui a voulu redéfinir le segment B, rien que ça.

Route de nuit - Il y a 25 ans, la Mercedes Classe A dérapait...

On a souvent raillé les constructeurs généralistes qui échouaient à monter en gamme. Trop dur apparemment. Sauf que l’inverse est vrai, comme l’a montré Mercedes-Benz en 1997.

Le constructeur allemand est, historiquement, l’un des plus importants du monde, Karl Benz et Gottfried Daimler ayant pratiquement posé les principes de l’automobile à la fin du 19è siècle.

Par la suite, la marque de Stuttgart s’est signalée par des productions souvent exceptionnelles par leur technicité et leur qualité. Je me souviens même d’une interview du patron de Mercedes dans les années 80, qui disait : « notre cahier des charges ? Être digne de notre étoile ». Puis, les financiers ont pris le dessus, la qualité a chuté d’un cran et la gamme a commencé à se diversifier tous azimuts… Les joies du nombre.

Le concept Vision A 93 de 1993 annonçait l’entrée de Mercedes sur le segment B avec un monospace.
Le concept Vision A 93 de 1993 annonçait l’entrée de Mercedes sur le segment B avec un monospace.

Fin 1993, le constructeur annonce se lancer sur segment B, en montrant un prototype Vision A 93 capable de loger 4 passagers ou d’engouffrer 1 000 l de bagages dans 3,35 m de long. Sachant qu’une Fiat Panda (3,40 m) offrait 5 places ou une capacité de chargement de 1 088 l depuis 1980... Sacrée avancée ! Mercedes améliore sa copie : il ne peut décemment investir, voire redéfinir un segment hyper compétitif avec une auto banale. Il imagine un plancher en sandwich, surélevé donc.

L’implantation de la mécanique est originale sur la Classe A, puisqu’elle passe en partie sous les pieds des passagers. Compliqué à mettre en œuvre…
L’implantation de la mécanique est originale sur la Classe A, puisqu’elle passe en partie sous les pieds des passagers. Compliqué à mettre en œuvre…

Dans la partie basse se loge une partie de la mécanique, dans la haute, les occupants. Avantages : ceux-ci bénéficient d’une longueur habitable optimisée, et se situent au-dessus de la zone de choc, en cas d’accident, durant lequel le moteur glisserait sous le plancher au lieu d’envahir le cockpit. Inconvénients : une fabrication complexe et un centre de gravité très haut…

En tout cas, Mercedes développe de zéro non seulement la plateforme mais aussi la suspension, les boîtes et les moteurs. Ça lui coûte une fortune : 2,5 milliards de deutsche marks, soit autant d’euros de 2022 !

La Classe A ne manque pas d’une certaine recherche en matière d’aménagement. Mais la clientèle se moque de ce genre de choses…
La Classe A ne manque pas d’une certaine recherche en matière d’aménagement. Mais la clientèle se moque de ce genre de choses…

L’échec est interdit, aussi une campagne de teasing incroyable commence-t-elle dès 1996, un an avant la commercialisation, ne montrant que vaguement la voiture. Les lignes de celle-ci sont révélées via des photos officielles sont diffusées dès la fin de l’année, et finalement, celle qui s’appelle Classe A, codée W 168, est lancée trois mois plus tard, au salon de Genève 1997.

Elle se présente sous la forme d’un minispace (on ne disait pas ça encore à l’époque) à l’aménagement astucieux : le siège passager avant se plie ou se retire. Ceci est aussi vrai pour la banquette arrière rabattable 1/3-2/3 dont chaque partie est amovible.

Revers de la médaille, elle ne coulisse pas, et la Classe A ne peut offrir autant d’espace aux jambes des passagers arrière que la Renault Twingo, moitié moins chère. Oui, la Mercedes a beau ne mesurer que 3,57 l de long (1,72 l de large et 1,60 m de haut), elle ne se brade pas : 109 500 F (23 000 € actuels selon l’Insee) pour le modèle de base (82 ch), nanti de l’ABS et du double airbag mais dépourvue de clim par exemple. Très lourde (1 085 kg) vu son gabarit, cette A 140 n'a rien d’une bombe, du moins pas en matière de performances.

Le secret de la Classe A : un plancher-sandwich censé accroître la longueur habitable et améliorer la sécurité passive.
Le secret de la Classe A : un plancher-sandwich censé accroître la longueur habitable et améliorer la sécurité passive.

Car une déflagration va bien se produire fin 1997, peu après l’arrivée en concession des premiers exemplaires. Des journalistes suédois soumettent une Classe A chargée à leur test de l’élan le 21 octobre 1997. Et la voiture finit sur le toit. Le scandale qui retentit est bien plus puissant que toute la campagne de pub qui a annoncé la Mercedes, c’est dire !

Le constructeur a d’abord tenté d’affirmer que l’essai n’était pas valable, vu qu’il avait été mené dans des conditions spéciales, que non, sa citadine n’avait pas de défaut, invoquant les bons résultats obtenus par le TüV Sud, l’organisme de certification allemand. En vain, surtout que des journalistes teutons allaient eux aussi frôler le tonneau lors de tests !

Mercedes a beaucoup étudié la Fiat Punto en concevant la Classe A : celle-ci adopte une épure de suspension arrière très proche de celle de l’italienne.
Mercedes a beaucoup étudié la Fiat Punto en concevant la Classe A : celle-ci adopte une épure de suspension arrière très proche de celle de l’italienne.

Il est alors décidé d’équiper d’office la Classe A de l’ESP, mais ça ne suffit pas à calmer les attaques. Aussi, Jürgen Schrempp, grand patron de Daimler-Benz AG prend-il une lourde décision : la production sera suspendue durant 12 semaines, le temps de modifier la voiture. La suspension est affermie, l’assiette abaissée, et l’ESP installé, en même temps que des pneus plus larges. Mieux, les 2 600 autos livrées avant la crise seront mises à jour. Coût de l’opération : 300 millions de deutsche marks.

Mercedes convoque les journalistes, y compris les suédois qui avaient retourné la Classe A, et tous en conviennent : la voiture est désormais sûre. C’est donc qu’il y avait bien eu un problème…

En fait, Mercedes n’avait aucune expérience en matière de petites voitures et a été trop ambitieux techniquement avec la W 168. En effet, en mettant de côté ses soucis initiaux de tenue de route en condition extrême, elle n’avait pour elle que sa modularité, son habitabilité étant juste correcte pour quatre personnes.

Route de nuit - Il y a 25 ans, la Mercedes Classe A dérapait...

Sa finition ne correspondait pas du tout aux standards de la marque, elle n’était ni confortable ni silencieuse ni même agréable à conduire, tout en coûtant un bras. Et la suite montrera qu’elle souffrait d’une fiabilité aléatoire. Entre 1997 et 2004, Mercedes vendra un peu plus d’1,1 million de Classe A : pas si mal mais pas assez pour gagner de l’argent, chaque exemplaire engendrant une perte de 1 440 € selon ce qu’a annoncé The Economist en 2013.

Le constructeur commettra le même péché d’hubris avec la Smart, lancée à la même époque : ambitieuse, compliquée, peu fiable et pas rentable du tout. Croyez-vous qu’il se serait arrêté là ? Non. Une Classe A de 2 génération apparaît en 2004, plus grande chic et chère que la première, et se vendra encore moins.

Route de nuit - Il y a 25 ans, la Mercedes Classe A dérapait...

Ces deux modèles présentaient au moins l’avantage de proposer quelque chose de différent sur leur segment, misant sur l’intelligence de leur conception. Sauf qu’on était entré dans l’ère de la voiture bête. Mercedes l’a compris et a offert aux clients ce qu’ils voulaient. Une concurrente à l’Audi A3, très banale techniquement, moyenne par ses prestations mais tape-à-l’œil et surtout dotée de l’argument décisif : une tablette façon iPad sommairement collée sur la planche de bord. Enfin le succès arriva !

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