Permis de conduire : faut-il le soigner ou l'achever ?
Une réforme absurde qui fait s'effondrer le taux de réussite à l'examen du code, une auto-école qui achetait de faux permis à des fonctionnaires corrompus et maintenant le bouquet : l'instauration d'une simple contravention pour conduite sans permis. Le carton rose est malade. Faut-il le soigner ou l'achever ?
"Le conducteur doit-il ouvrir la porte de sa voiture avec la main gauche ou la main droite ?". La bonne réponse c'est "avec la main droite", car cela impose de se tourner vers l'extérieur pour vérifier que cette ouverture se fait sans risque.
On se demande pourquoi cette question-là n'était pas dans l'échantillon envoyé aux journalistes pour promouvoir la nouvelle épreuve du permis aux mille questions. Elle fait partie des trois cents nouvelles diapos qui ont fait chuter de 68 à 16 % le taux de réussite à l'épreuve théorique. Au point d'obliger le ministère de l'Intérieur à en retirer d'urgence les deux tiers pour les reformuler. Les reformuler ? Si je peux me permettre, les mots n'y sont pour rien. En prose ou en alexandrins, une question stupide ou vicieuse reste une question stupide ou vicieuse. Il faut avoir fait deux ou trois séries de 40 questions pour mesurer le subtil sadisme de l'exercice.
L'empire du bien attaque la route
Le souci n'est pas dans la formulation, mais dans l'ambition de l'examen : la Sécurité routière veut envoyer sur la route une espèce de conducteur intellectuellement et moralement modifiée, qui aura acquis de nouveaux réflexes de vivre ensemble, et saura arbitrer les aspects sécuritaires, moraux et juridiques du partage de la route. Ce Nouveau Conducteur ne devra pas seulement savoir conduire dans le respect des autres usagers et des règles du code de la route, mais aussi connaître par cœur la longueur du réseau autoroutier national, l'incidence du CO2 sur le dérèglement climatique, celle du poids et de l'aérodynamique de son véhicule sur sa consommation et sa pollution, les effets et les détails des nouvelles technologies sur le comportement humain et même les premiers gestes à effectuer sur un blessé de la route.
C'est l'Empire du Bien décrit par le polémiste Philippe Murray, la dictature des belles âmes sur le peuple imparfait, et ici le projet fou de faire entrer dans le crâne de millions de conducteurs les subtiles problématiques de chercheurs en accidentologie qui se mêlent aussi de géographie, d'environnement et de technologie. Le motard, l'automobiliste ou le camionneur ne doit pas simplement être prudent et attentif, il doit avoir un savoir, une déontologie et "aiguiser sa prise de conscience des risques en conduisant". C'est que pour la Sécurité routière, "conduire est une tâche complexe qui doit mobiliser tout à la fois stratégies, connaissances, valeurs sociales, prises de conscience et collaborations". Il faudra que j'explique ça à Momo, le fils de la voisine qui a déjà loupé quatre fois l'examen, que Pink Vador ne veut que son bien.
Une "énorme bêtise" ou un gain de temps ?
Pendant que les crânes d'œufs de la Sécurité routière peaufinaient leur impossible nouveau questionnaire, un patron d'auto-école de Neuilly-sur-Seine corrompait des fonctionnaires de la préfecture de Nanterre pour vendre près de trois cents vrais faux permis à des stars du football, de la télévision et à quiconque était prêt à débourser 2 000 à 10 000 € en liquide.
Parmi les personnalités impliquées,Samir Nasri, qui évolue avec Manchester City, Jérémy Ménez, ancien du PSG aujourd’hui au Milan AC, et Layvin Kurzawa, actuel défenseur du PSG. Et aussi Ali Baddou, le chroniqueur de Canal +. Avant de confesser "une énorme bêtise" sur son compte Twitter, celui-ci aurait expliqué aux enquêteurs qu'il n'avait pas le temps de repasser le permis étant donné son emploi du temps chargé.
On peut prendre cette "excuse" de deux façons.
Soit accabler le petit marquis des médias qui se croit au-dessus des lois et s’exempte de la commune servitude grâce à ses relations et son argent.
Soit se demander s'il n'a pas raison ce monsieur qui n'aime pas perdre son temps, agrégé de philosophie à 23 ans, journaliste, écrivain et chroniqueur multimédia.
Après tout, notre délirant examen où échouent chaque année des centaines de milliers de jeunes n'a jamais fait la preuve de son efficacité. On a beau le rendre toujours plus cher et difficile, la part des jeunes dans la mortalité routière n'évolue pas. Elle était la même quand on passait son permis à l'armée en trois coups de cuiller à pot et un tour de caserne en GMC.
Et dans les pays anglo-saxons où le permis de conduire n'est qu'une formalité -un très simple QCM à remplir avant trois manœuvres et une marche arrière devant un examinateur-, les jeunes ne se tuent pas plus que chez nous. La Belgique et la Grande-Bretagne qui n'avaient pas d'auto-école et ont adopté - Europe oblige - notre difficile permis n'ont enregistré aucun progrès de ce côté. Et puis, s'il est vital de passer le permis à la française, pourquoi accorder l'équivalence du carton rose et laisser conduire chez nous ceux qui l'ont obtenu aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et dans la plupart des pays d'Afrique ?
Mettre fin à ce bizutage stérile
Ali Baddou a raison, c'est perdre son temps que de formater vainement son esprit aux questionnaires de la Sécurité routière. Je me demande parfois quel effet aurait une simplification radicale du permis, sa "baccalauréatisation" avec un taux de réussite de 85 % et une division par trois du coût. Je parie qu'il n'y aurait pas plus de tués sur la route. Et que l'énergie, le temps et les finances libérés auraient un impact énorme sur la formation des jeunes, leur accès au monde du travail et la croissance du pays. Actuellement, le permis coûte plus cher que les études secondaires de la moyenne des jeunes Français. Un énorme gâchis de temps, de neurones et d'argent.
D'ailleurs, cela vient d'être implicitement reconnu par la relance du projet de "déjudiciariser" de la conduite sans permis. Sauf récidive, elle ne serait plus sanctionnée d'un passage devant le tribunal, mais d'une simple contravention de 800 euros : moins cher qu'à l'auto-école de Neuilly sur Seine...
Cette énorme sottise n'est qu'un aveu d'impuissance : selon les estimations, 600 000 à 1,5 million de personnes circulent sans permis en France, en grande partie à cause de son coût. Le vrai courage consisterait à mettre fin à ce bizutage stérile.
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