Le malus automobile est-il devenu une caricature absurde ?
Audric Doche , mis à jour
L'idée originale du malus automobile pour financer le bonus par les pollueurs était intéressante. Mais elle est aujourd'hui tellement détournée d'un côté par les constructeurs, et poussée à son paroxysme de l'autre par l'Etat qu'elle en devient absurde et caricaturale.
L'idée de départ du Grenelle de l'environnement de 2007 de faire un barème du pollueur/payeur n'était pas idiote. D'un côté, on taxe les clients qui achètent des voitures très polluantes, et on récupère l'argent pour financer des aides à l'achat de véhicules dits "propres". L'économie circulaire, en somme. Mais le fait d'avoir centré le barème uniquement sur le CO2 nous a amenés aujourd'hui à des situations ubuesques.
Une supercar moins taxée qu'un Dacia Duster
Nous voilà en 2021, et pas à une aberration près. Il y avait déjà la flopée de monstrueux SUV hybrides rechargeables de plus de deux tonnes qui échappent à tous malus grâce à la présence de batteries suffisantes pour faire quelques dizaines de kilomètres en mode électrique. Parfait pour passer haut la main le test d'homologation et faire baisser la moyenne du constructeur.
Test qui a par ailleurs été durci avec le passage à la norme WLTP, mais les constructeurs ont toujours la parade : augmenter la capacité des batteries, pour aller plus loin en électrique, et réduire la note CO2. Nous sommes fort heureusement sortis du cas de figure ubuesque d'un Cayenne Turbo S Hybrid de 680 ch à 30 g/km, mais il est ainsi toujours sous les 100 g/km de CO2. Soit une bonne cinquantaine de grammes en moins qu'un Dacia Duster TCE.
Alors évidemment, le Duster ne peut pas rouler en mode électrique, le Cayenne, lui, si. Mais cela veut dire que l'on part du principe d'une écologie théorique où la réduction de CO2 du parc automobile est "éventuelle", et pas vraiment certaine : elle dépend de l'utilisation du propriétaire du véhicule. Un nouveau facteur qui se rajoute à la déjà très volatile donnée de consommation réelle d'une auto vis-à-vis des données officielles du test.
Nous ne sommes toujours pas à une aberration près. McLaren vient de lancer sa nouvelle supercar, l'Artura. Vendue à partir de 228 000 €, elle embarque un V6 biturbo d'un peu moins de 600 ch qui lui aurait valu les 30 000 € de malus en temps normal. Mais puisqu'elle embarque une toute petite batterie de 7,4 kWh, elle échappe au malus et s'annonce à 129 g/km. Soit, grosso modo, les rejets d'un Duster diesel de 115 ch.
Si le malus avait effectivement au tout départ un intérêt potentiel, il semble qu'il ait perdu depuis bien longtemps son objectif en vue : l'environnement. Combien de temps faudra-t-il à un propriétaire d'hybride rechargeable pour compenser les rejets polluants émis lors de la fabrication du moteur électrique, des batteries et des éléments électroniques face à un modèle thermique équivalent, sans hybridation ? Sans parler du surpoids induit et de l'usure plus rapide de tous les consommables (freins, pneus, embrayages) qui rejettent leur part de particules fines.
D'aucuns diront que les constructeurs font simplement ce qu'ils "peuvent" pour répondre à des normes toujours plus restrictives. D'autres soutiendront qu'ils se fichent bien de l'écologie et que tout est bon pour gruger les règles, dans la limite de la légalité (ou pas, on l'a vu avec le dieselgate). La vérité est probablement au milieu de tout ça.
L'écologie des riches
Finalement, tout ce que le malus est parvenu à faire en France, c'est creuser les inégalités automobiles. Un coupé un tant soit peu sportif peut facilement dépasser les 10 000 à 20 000 € de malus pour peu qu'il fasse appel à plus de quatre cylindres, tandis qu'une McLaren sera "propre" aux yeux de l'Etat.
Le malus représentera bientôt 90 % du prix d'une Ford Mustang, mais il ne représente rien sur un engin à plus de 100 000 ou 200 000 €, du moment qu'il ait une petite batterie pour la bonne conscience. Pourquoi, dans ces cas là, le malus n'est-il pas calculé dans une certaine proportionnalité du prix du véhicule... ? Le bonus est bel et bien limité en pourcentage du prix total du véhicule, pourquoi ne fait-on pas de même sur le malus ?
Et puis, finalement, la planète respire-t-elle mieux depuis l'instauration du malus ? Pas sûr. Les passants, eux, respirent effectivement mieux grâce à ces autos capables de rouler dans le silence le plus total, au sein des zones urbaines... pour faire par la suite rugir leur V6 et autre V8 sur les petites routes et sur voie rapide. Mais puisqu'il a fallu choisir, on a peut-être un peu trop choisi l'écologie locale au détriment de l'écologie globale.
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération