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Le covoiturage sous perfusion financière ?

Le covoiturage domicile-travail continue de croître… mollement. Malgré les multiples aides et incitations financières pour inciter les conducteurs à partager leur voiture, on est encore très loin des chiffres espérés. L’État aurait-il péché par excès d’ambition ?

Le covoiturage sous perfusion financière ?

En 2024, le gouvernement poursuit sa politique d’aides au covoiturage qui prévoit la mobilisation de 150 millions d’euros à destination des particuliers, des entreprises et des collectivités pour atteindre le chiffre de 3 millions de trajets covoiturés quotidiennement entre le domicile et le lieu de travail d’ici 2027. Soit trois fois plus que ce qui fait actuellement (900 000 trajets). En novembre 2019, déjà, Élisabeth Borne, ministre chargée des Transports, mobilisait les principaux opérateurs privés du secteur pour atteindre les 3 millions de trajets quotidiens à l’horizon… 2024. Pavé de bonnes intentions, le chemin à parcourir pour atteindre les objectifs semble encore long et ardu.

4 % d’autopartage via les plateformes

Selon l’Observatoire national du covoiturage quotidien, sur l’année 2023, près de 40 000 (39 467) trajets quotidiens qui ont été réalisés en covoiturage. Au regard des 100 millions de trajets journaliers effectués en voiture, cela reste faible malgré les incitations mises en place. Depuis le 1er janvier 2023 (opération reconduite en 2024), les conducteurs qui se lancent dans le covoiturage courte distance recevront une prime de 100 €. Pour la toucher le covoitureur doit obligatoirement être inscrit sur une des plateformes de mise en relation habilitées par l’État. C’est elle qui reversera la prime sous forme monétaire ou de bon d’achat pour des produits de consommation courante. Ce qui n’est pas tout à fait identique pour le covoitureur. S’ajoutent à cela les mesures incitatives soutenues par les collectivités locales ou encore le forfait mobilités durables (FMD) qui permet à un employeur de verser jusqu’à 800 euros par an (exonéré d’impôts) pour encourager un salarié à utiliser des mobilités moins polluantes ou à covoiturer sur les trajets domicile-travail.

Pour toucher la fameuse prime de 100 euros, il faut s’inscrire sur une plateforme habilitée par L’État à la proposer. Si l’on compare les données de 2023 à celle de 2022, le nombre de covoiturages annuel (réalisés via une plateforme) a été multiplié par 2, passant de 5 millions de covoiturages à presque 10 millions ! Mais attention, derrière l’effet waouh du chiffre la réalité se veut moins rose. D’après l’observatoire du covoiturage gouvernemental, les plateformes de covoiturage habilitées par l’État représentent moins de 4 % des trajets covoiturés quotidiens. Avec un résultat mitigé : 7 conducteurs sur 10 continuent à effectuer des trajets en solo pour se rendre au boulot. Cela signifie que les aides au covoiturage ne profitent qu’à une minorité de covoitureurs. Voilà pourquoi, après les particuliers, les plateformes tentent d’élargir leur clientèle et proposent également leur service aux collectivités et aux entreprises pour les aider à mettre en place leur réseau de covoiturage. Reste la question qui fâche : est-il bien utile d’engager plusieurs dizaines de millions d’euros pour encourager le covoiturage alors que 96 % des trajets covoiturés le sont de façon informelle en dehors de toute structure et plateforme agréée ?

seules les plateformes de mise en relation agréées par L'État peuvent verser la prime de 100 €.
seules les plateformes de mise en relation agréées par L'État peuvent verser la prime de 100 €.

La prime en question

Pourtant, le plan gouvernemental « a eu l'effet véritable d'un coup d'accélérateur pour la pratique. « Suite à cette mesure, on a vu notre volume d’inscrits multipliés par quatre, et on voit la tendance se prolonger sur 2024 », révèle dans 20 minutes (15/12/2023) Tom Attias, chargé du développement commercial de Karos. Blablacar parle de « 16 millions de rencontres uniques et 700 000 points rencontres sur le territoire » générés par ses services en 2023. Effet d’aubaine ou bonne opération financière ? Dans les Echos du 13 juillet dernier, Tom Attias exclue l'idée que des « chasseurs de bonus », seulement attiré pour « encaisser un chèque », auraient pu gonfler les chiffres : d'après ses calculs, ils ne représenteraient que 4 % des nouveaux conducteurs de début d'année. Et de rappeler que l’idée de partager son véhicule entre personnes d’une même entreprise n’est pas née avec la prime de 2023 : « Le changement a été lancé en 2019, suite aux grèves RATP et SNCF. Les Franciliens cherchaient une alternative aux transports en commun. Le Covid a bien ralenti l’activité, mais les affaires sont reparties de plus belle cette année. » Bien sûr, les politiques d’État y sont pour quelque chose. La baisse du pouvoir d’achat est aussi à mettre en cause : « 70 % des Français n’ont pas d’alternative de transport à leur voiture. Certes, c’est le moyen qu’ils trouvent le plus confortable. Mais il y a un frein : le prix de l’automobile et du carburant indécents depuis le début de la guerre en Ukraine », ajoute Tom Attias chez nos confrères de 20 minutes. Preuve que l’argent demeure le principal enjeu du covoiturage.

96 % des covoiturages quotidiens se font de manière informelle.
96 % des covoiturages quotidiens se font de manière informelle.

Continuer ou non les aides

Une enquête conduite par La Fabrique écologique et le Forum Vies Mobiles interroge sur la pertinence de développer à marche forcée la pratique du covoiturage au quotidien. L’étude remarque certains freins à l’autopartage. Notamment « le fait de s’embarquer à plusieurs pour faire un trajet ne présente pas toujours, sur de courtes distances, un fort intérêt économique. Autres obstacles : « l’organisation de la société, comme les horaires de travail, et plus structurellement […] l’organisation du territoire et […] la géographie française ». Mais encore, «la dispersion des activités sur le territoire (travail, loisirs, courses, etc.) liée notamment à l’absorption par les métropoles d’espaces ruraux et semi-ruraux où la population augmente, mais où l’emploi diminue. » Enfin toujours d’après ce rapport, le plan Covoiturage fait état de 50 millions de sièges « vides » qui circuleraient sur les routes françaises chaque jour ; mais les autorités ne savent pas avec précision où et quand roulent ces véhicules. Compte tenu de toutes ces limitations, l’enquête interroge sur la pertinence de développer à marche forcée la pratique du covoiturage au quotidien. « La zone de pertinence écologique du covoiturage devrait ne concerner que les déplacements de plus de 10 kilomètres où une offre de transports collectifs adaptée n’existe pas déjà », recommandent les auteurs. Une incitation à repenser l’utilisation de la voiture ?

7 conducteurs sur 10 demeurent seuls dans leur voiture pour aller au travail.
7 conducteurs sur 10 demeurent seuls dans leur voiture pour aller au travail.

Le Plan Covoiturage, qu’est-ce que c’est ?

Mis en place dès janvier 2023, le Plan Covoiturage est un plan sur 5 ans composé de 14 mesures afin de promouvoir le covoiturage du quotidien, notamment sur les axes domicile-travail. Il vise à créer un maillage de covoitureurs réguliers sur l’ensemble du territoire afin d’atteindre 3 millions de covoiturages quotidiens à l’horizon 2027. Il est estimé qu’atteindre un tel volume de covoiturage permettrait d’économiser 4,5 millions de tonnes de CO2 par an, soit 1 % des émissions de GES de la France.

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