La Cour de cassation casse le stationnement devant chez soi
Stationner devant l'accès de sa propriété a toujours été interdit mais largement toléré tant que cela ne gêne personne. La nouveauté, c'est que la Cour de cassation veut désormais faire appliquer la loi. Au nom de quoi ? De l'égalité des citoyens, rien que ça !
L'arrêt de la Cour de cassation ne fait en effet que confirmer une interdiction ancienne… et déjà contestée.
Voici deux ans, le député du Nord Dominique Baert posait au ministre de l'Intérieur une question écrite, lue à l'Assemblée nationale sur " la très souhaitable modification de la disposition réglementaire relative au stationnement de leur véhicule par les occupants d'une habitation devant le garage de celle-ci."
Dans cette question, le député socialiste s'étonnait que l'article R 417-10 du code de la route interdise de se garer devant le bateau de son propre garage ou de son pavillon, même si l'on est le seul usager de cette entrée carrossable et même si cela ne gêne personne. Il relevait que cette pratique va de pair avec "l'état du stationnement possible dans des zones urbanisées alors que le nombre de véhicules (...) ne cesse de s'accroître" - façon polie de signaler que la plupart des municipalités créent une pénurie de stationnement en réduisant le nombre de places disponibles.
Surtout, M. Baert suggérait que l'on adopte la méthode belge qui, par la grâce d'un arrêté royal, permet de stationner devant l'accès à son domicile pour peu que la porte de celui-ci comporte le numéro d'immatriculation de la voiture autorisée. Une méthode officieusement pratiquée en bien des endroits de notre côté Quiévrain et qui, à ma connaissance, a toujours eu l'indulgence de la police et n'a jamais empêché un véhicule de secours de secourir.
Au nom de l'égalité
Réponse presque un an plus tard du ministère : "il n'est pas prévu à ce jour de modifier le Code de la route (...). En effet la jurisprudence a confirmé que le fait de garer son véhicule devant chez soi sur la voie publique contrevient au principe d'égalité de tous les citoyens devant la loi et équivaut à une privatisation de l'espace public."
J'adore l'évocation du "principe d'égalité de tous les citoyens devant la loi" et comme chacun, j'ai bien des idées pour que l'on y contrevienne encore moins, mais là n'est pas le sujet.
Le sujet, c'est que ce mesquin rabotage d'un petit passe-droit qui n'occasionnait ni trouble ni gêne va avoir des conséquences très désagréables dans la vie quotidienne des habitants de bien des banlieues, lotissements et villages.
D'abord, pourquoi des gens se garent-ils devant chez eux au lieu de mettre leur auto au garage ? Bien sûr, il y a la flemme quand on rentre chez soi le temps de déjeuner, et dans certains cas, la trouille de se faire piquer sa bagnole moteur tournant, le temps d'ouvrir le portail.
Mais le plus souvent, c'est parce que le garage est déjà occupé par l'autre voiture du ménage. Ou bien fait office de salle de ping-pong, de garage à motos voire de débarras, au point qu'il n'y a plus de place pour Titine… Ben oui, où caser le congélateur, le parapente, la planche à voile, les VTT, le dériveur, les skis, le Zodiac, le kayac, la luge, la remorque, l'établi, la caravane, le char à voile, le sapin en plastique, le trampoline et tous ces machins encombrants qui nous délassent quelques fois l'an ?
Une mesquinerie lourde de conséquences
Si les polices nationale et municipales appliquent à la lettre l'arrêt de la Cour de cassation, une catastrophe majeure va se produire.
D'abord, les serveurs du bon coin vont exploser car il faudra vider les garages.
Du coup, les Français arrêteront de faire du sport, de bricoler, de congeler, de naviguer, de camper avec les conséquences que l'on imagine en termes de santé publique. Decathlon, Castorama, Picard, Trigano baisseront le rideau et l'économie française s'effondrera.
Notez que ceci n'est pas tout à fait certain.
Ce qui l'est en revanche, c'est que se garer dans ces quartiers va devenir difficile ou le sera encore davantage. Dans une rue de banlieue, de village, de résidence, comptez ceux qui se garent devant leur portail d'entrée. Comptez ensuite les places libres pour le stationnement. Vous voyez le souci ?
Dans la plupart des banlieues pavillonnaires des grandes métropoles, trouver une place le soir est déjà une punition. Cela deviendra mission impossible. On aura alors remplacé le stationnement non gênant devant chez soi par le stationnement ultra-gênant sur les trottoirs, les terre-pleins, les zébras, les places "handicapés" ou livraison, les arrêts de bus, les passages piétons… Car on n'a jamais vu quelqu'un repartir au boulot à 19h00 parce qu'il ne trouve pas à se garer dans son quartier.
Reste à comprendre la motivation de ce jugement. Personnellement, je sèche. Je n'arrive déjà pas à comprendre que la "Cour de cassation, chambre criminelle" n'ait rien d'autre à moudre que réformer nos petites habitudes de stationnement. A-t-elle été contaminée par l'autophobie ambiante ? A-t-elle chevillée à ses robes la passion de l'égalité des citoyens au point d'oublier qu'il est aussi écrit "fraternité" au fronton des mairies ? Est-elle horrifiée par la privatisation de l'espace public ? Dans ce cas, je tiens à sa disposition une liste de cas qui devrait la passionner. Une liste longue comme une autoroute… Ecrire à la rédaction qui transmettra.
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