L'État ne gagne-t-il vraiment rien ou pas plus avec la hausse des prix à la pompe ?
Stéphanie Fontaine , mis à jour
« Je peux vous assurer qu’aujourd’hui l’État ne gagne pas d’argent sur les taxes sur les carburants », dixit Élisabeth Borne, la semaine dernière… Mais que voulait bien dire la Première ministre ? Caradisiac s'est penché sur la décomposition des prix des Gazole et SP 95, toujours à la hausse. C'est quand même la moitié - ou presque - de la facture qui rentre dans les caisses de l'État à chaque plein !
Interrogée sur le sujet lors d’une réunion publique le 8 juin dans le Calvados (14), où elle est candidate pour les élections législatives (au 1er tour de ce dimanche, elle est arrivée en tête dans la 6ème circonscription, devant le candidat de la Nupes auquel elle sera opposée au 2ème tour), Élisabeth Borne a assuré que l'État ne gagnait pas plus d'argent avec l'envolée des prix à la pompe.
Du moins, c’est ce qui a été retenu de sa réponse rapportée par les journaux locaux. Pour être précis, voici ce qu'elle a déclaré : « Je peux vous assurer qu'aujourd'hui l'État ne gagne pas d'argent sur les taxes sur les carburants »…
Stupeur : la cheffe du gouvernement signifierait-elle que l’État dépense plus à traiter ces taxes qu’il n’en gagne en les encaissant ? À lire ce qu’a pu raconter également Élisabeth Borne lors de cette rencontre publique, et les précisions par la suite apportées par Matignon, il fallait apparemment comprendre que ces taxes, en ces temps d’inflation galopante, sont loin de couvrir toutes les dépenses que l’État engage pour tenter de maintenir le pouvoir d’achat des Français, ainsi que toutes celles qu'il doit entreprendre pour la transition énergétique, afin de justement sortir de la dépendance aux énergies fossiles.
Toujours lors de cette réunion, Élisabeth Borne a ainsi parlé de situation « assez paradoxale » et de moment « délicat ».
C’est sûr que trouver normal de fortement taxer des produits que l’on entend faire disparaître à l’avenir car ils sont trop polluants – quand bien même ils étaient déjà fortement taxés bien avant cela – et décider dans le même temps de les subventionner pour permettre aux consommateurs de continuer à les consommer, ça peut paraître un brin paradoxal et délicat !
Comme il paraît un brin osé le fait de prétendre que l’État « ne gagne pas d'argent sur les taxes sur les carburants »…
De fait, l’État encaisse quand même pas mal de recettes grâce à ces taxes, même si celles-ci ne suffisent pas à couvrir toutes ces dépenses publiques. Et l’on peut préciser que ces taxes ne sont de toute façon pas complètement fléchées vers le budget consacré à la transition énergétique (voir plus loin).
TICPE et TVA, c'est 45 à 50 % de la facture
En l’occurrence, il y a deux taxes sur les carburants :
- La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE (ex-TIPP). Cette taxe est fixe depuis quelques années : elle s'élève à environ 60 centimes par litre de Gazole et 69 centimes par litre d'essence. Sans oublier la TVA, au taux normal de 20 %, qui s'applique sur cette partie. Eh oui, la taxe est taxée dans le prix final TTC à la pompe ! Et comme la TICPE est fixe, la part de TVA ici ponctionnée l’est aussi. Selon le carburant, elle est de l’ordre de 12 et 14 centimes par litre. C'est donc 72 à 83 centimes déjà de taxes fixes imposées.
- La TVA – toujours de 20 % - sur le prix brut du carburant, comme pour tout produit consommé en France. Elle s’applique au prix hors la TICPE précédemment citée. Et c’est cette part de TVA qui évolue en forte hausse en ce moment (+10 centimes au moins, voire plus loin !) en raison de l'augmentation de ce prix de base du carburant, établi à partir des cours du pétrole, en plus des coûts du raffinage et de distribution.
Dans la note finale d'un plein TTC, en ce moment, il y en a en moyenne pour près de 50 % de taxes !
Évolution des prix du pétrole et du carburant en un an
A quoi servent ces recettes issues des taxes sur les carburants ? Toutes ne vont pas alimenter les caisses de l'État.
Celui-ci ne récupère par exemple qu’une partie de la TICPE, alors estimée à 19,4 milliards d’euros pour 2021, et 20,4 milliards d’euros pour 2022. Et à la louche, cette part de TICPE abonde pour moitié le budget général de l'État, et pour l'autre moitié le compte d’affectation spéciale « transition énergétique ».
Enfin, le reste - environ 14,5 milliards d’euros - est affecté aux régions et départements pour compenser la décentralisation et les transferts de compétences, comme pour la formation professionnelle, l’apprentissage, le RSA…
De plus en plus de taxes encaissées
Si les recettes encaissées par l’État augmentent, comme on l'a vu, avec la hausse des cours du pétrole, elles progressent aussi avec la hausse des volumes de carburants consommés.
Or, après deux années particulières, rythmées par des confinements et des couvre-feux, qui ont eu un impact indéniable sur la circulation automobile, la reprise est bien là.
« On est en train de retrouver le niveau de consommation d’avant Covid, en 2019 », nous indique une porte-parole de l’Ufip Énergies et Mobilités, l'Union française des industries pétrolières. Cela veut dire une consommation annuelle de quelque 46 millions de tonnes de carburants, dont 80 % de Gazole (voir ci-dessous).
Dans la trajectoire de décarbonation en France, ajoute la représentante de l'Ufip, « on devrait théoriquement être sur un 'trend' de - 5 % de consommation par an, mais on n’y est pas du tout ». Malgré la hausse des prix à la pompe, la consommation continue inoxérablement sa progression.
Preuve s'il en est que les Français restent hyper dépendants au transport routier et à leur voiture ! Si l’on ne s’en tient qu’à cette consommation en carburants, point de changement de comportement à signaler. Et vu le contexte, on peut parier que c'est parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement.
L’inflation actuelle avec l’explosion des cours du Brent s’explique largement par l’invasion de la Russie en Ukraine, en février, et la guerre qui y sévit depuis, mais pas que… La hausse des prix du baril s’était amorcée dès 2021, avec la reprise économique (comme on peut le constater sur les cours du Brent et des carburants ci-dessus). D'où l'instauration d'aides publiques…
Des aides plus chères que les taxes récoltées ?
Fin 2021, l’indemnité Inflation de 100 euros destinée à toute personne percevant moins de 2 000 euros par mois avait déjà vocation à faire face à la hausse des prix de l'énergie et des carburants. Nouvelle mesure instaurée en soutien du pouvoir d’achat au 1er avril : la remise de 15 centimes hors taxe (ou 18 cts TTC) par litre de carburant appliquée sur chaque plein dans les stations doit se poursuivre jusqu’à la fin août.
Initialement, elle n'était prévue que pour quatre mois. Et c’est vrai que cette ristourne se révèle supérieure à l’augmentation des recettes de TVA perçues avec la flambée des prix à la pompe. Du moins, en moyenne pour l'instant…
La décomposition des prix des carburants
La semaine dernière, le litre moyen de Gazole est repassé au-dessus de la barre des 2 euros, malgré cette ristourne de 15 centimes : 2,07 € le 10 juin, contre 1,41 € un an auparavant, c'est un boom de 47 % ! Et c'est une moyenne… Or, en fonction, le niveau de TVA perçu n'est pas le même. Jusqu'où cela ira ?
Même topo avec le Sans-Plomb 95. À 2,13 € la semaine dernière, en moyenne, le litre s'élevait à 1,53 € début juin 2021, soit une progression de presque 40 %.
Appliquée sur le prix brut du carburant, la TVA a, comme ce dernier, explosé ! Sa hausse frôle les 100 % pour le Gazole et plus de 85 % pour le Sans-Plomb !
Concrètement (voir notre infographie ci-dessus), c’est 11 centimes d’euro supplémentaires (hors taxes) encaissés par litre de Gazole et 10 centimes de plus pour le SP 95… C’est donc certes moins que les 15 centimes par litre reversés à chaque plein depuis le 1er avril, mais encore une fois, c'est fluctuant : si les prix continuent de grimper, cela pourrait évoluer !
Et il n'en reste pas moins que depuis un an, la part de la TVA encaissée n’a pas cessé de progresser. Si l’on se réfère aux prix moyens de la dernière semaine de mars, toujours comparés aux prix de juin 2021, c’était alors quelque 12 et 8 centimes de TVA de mieux par litre de Gazole et de SP 95 enregistrés pour les caisses publiques.
De là à considérer que l'État est gagnant ? Le gouvernement, dès qu'il le peut, assène le contraire.
Le coût de la ristourne de 15 centimes est estimé à 3 milliards d’euros par Bercy, le chèque énergie et l’indemnité inflation, à plus de 4 milliards. Et c’est sans compter le « bouclier tarifaire » (plafonnement des prix de l’électricité et du gaz), prolongé jusqu’à la fin de l’année. La note le concernant serait de « 20 à 25 milliards d’euros » pour l’État, selon les dernières déclarations d’Élisabeth Borne.
« La hausse des prix peut conduire à une hausse ponctuelle des recettes de TVA sur les carburants, mais des prix plus hauts pénalisent d’autres postes de consommation des ménages et donc le bilan net des recettes de TVA pour l’État est au mieux nul », peut-on notamment lire dans une communication officielle du gouvernement.
Ou encore, insiste-t-il, il n'y a « pas de cagnotte cachée, mais bien un effort très significatif de l’État pour protéger les Français »… Un « effort très significatif » qu'il est prêt à consentir, certes avec de la dette, mais aussi en se référant à ces recettes fiscales en forte hausse du fait de l'inflation !
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