Grip : la F1 comme on ne l’a jamais lue
Comment réussir un livre à la fois ultra-technique et hypersensible, sans la moindre intrigue et en 140 pages seulement. C’est le tour de force d’Elsa Boyer dans son dernier roman, puisqu’il faut bien classifier les ouvrages.
Ceci n’est pas un roman, du moins au sens classique du terme. Dans Grip, il n’y a ni intrigue, ni suspens. Le livre d’Elsa Boyer est tout autre chose. Une prose ? Forcément. Des sensations ? Assurément. Celles que nous procurent et nous racontent trois femmes pilotes de F1. Formule 1 ? Femmes ? Un anachronisme qui tranche dans ce livre hyperréaliste qui ne nous épargne ni le nom des écuries (Mercedes, McLaren et Red Bull), ni les nombreux sponsors, ni les différents circuits de la planète, égrainé un à un.
Mais personne n’a besoin de listes supplémentaires, de panneaux publicitaires, et de l"énoncé de ces circuits au milieu de villes ou au milieu de nulle part, que chacun trouvera dans tous les médias qui se préoccupent de Formule 1. Mais ce que l’auteur, philosophe, spécialiste des jeux vidéo et du cinéma dissèque ici, c’est le rapport du corps aux machines, au fric, à ces endroits hors sol, et hors nations, que sont les circuits de course.
Les rapports aussi que le pilote entretient avec son écurie, ses ingénieurs, son manager et ses mécanos. Mais Grip n’est pas pour autant un essai de plus sur ce rapport homme machine, sur ce drôle de monde qu’est le grand cirque de la F1. C’est une fiction qui tente de nous amener au plus près des sensations, des pensées, et des actions de ces femmes pilotes, du « raclement de fond de coque qui se répercute dans les hanches » de ces femmes soudées à leur voiture, à leur baquet réalisé selon un moulage de leur corps, aux combinaisons sur mesure dont « on a calculé le tissu selon le renflement des muscles au repos et contractés, pour la meilleure visibilité des lettres, couleurs et typographie de chaque marque qui colonise à surface égale sa poitrine, son ventre, ses épaules. »
"Des gommes répercutées dans les viscères atomisés".
Il est question de grip, aussi, évidemment. Celui des pneus sur la piste, celui du pilote qui adhère à sa voiture, à son ingénieur radio, à tout le système ou il évolue. Des gommes qui "sont tendres ou à l’agonie, ou granuleuses, répercutées dans les viscères atomisés ».
La beauté dans la violence des touche-touche roue dans roue, des feinages au-delà de toute limite : c’est ce qu’essaie de démontrer ce curieux et court petit livre de 140 pages, avec ses alignements de noms de marques en pleine page, et sa tranche en forme de drapeau à damier. C’est aussi un exercice d’équilibriste entre des femmes au volant de F1 ou elles brillent par leur absence dans la vraie vie et l’accumulation d’indications techniques, alors que le propos de l’auteur est de l’ordre du ressenti et de la sensation. Ceci n’est pas un roman, on l’a dit, mais une expérience. Une sacrée expérience.
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