Enquête - Pourquoi recharger sa voiture électrique sur l’autoroute va devenir très compliqué
La vie des utilisateurs de voitures électriques va sérieusement se compliquer. Entre la fermeture de Corri-Door, le principal réseau de recharge rapide sur autoroute et le changement de politique tarifaire de Ionity, son concurrent, les longs trajets sur l’autoroute ne seront pas aussi rapides et attractifs qu’avant.
Si le réseau de recharge rapide sur les autoroutes françaises était loin d’être le plus dense, il avait jusqu’en début d’année le mérite d’exister. Car le 7 février dernier, Izivia, filiale à 100 % du groupe EDF, a décidé de fermer 189 des 217 bornes de recharge rapide de son réseau Corri-Door, ce qui représente environ 70% du total de points de recharge sur autoroute. Il était le plus important et surtout le seul réseau de recharge rapide accessible à tous, couvrant les principales autoroutes du territoire français, avec des bornes d’une puissance de 50kW. Contrairement à d’autres réseaux comme Tesla ou Ionity, vous pouviez venir vous charger quel que soit le modèle de véhicule, moyennant un pass avec ou sans abonnement et en payant au temps de recharge.
Après deux incidents d'ordre technique mettant en cause la sécurité, Izivia, par principe de précaution, a d’abord mis à l'arrêt de manière temporaire une partie du réseau Corri-Door. Puis, suite à une analyse des incidents par un bureau d'études certifié indépendant et un conflit avec le producteur des bornes EvBox, la firme a décidé de ne pas remettre en fonctionnement les bornes arrêtées. De son côté, EvBox se défend en expliquant "avoir constaté que ces dernières années, la maintenance n'a pas été effectuée de manière continue".
Alors que le réseau était initialement composé de 217 bornes de recharge rapide, 28 sont toujours en exploitation et le réseau devrait en compter à terme entre 40 et 50. « Cette annonce est un coup dur à court terme pour les utilisateurs mais les solutions de la recharge sur autoroute seront enrichies à moyen terme », explique l’Avere dans un communiqué, soulignant « l'absolue nécessité d'assurer un maillage minimal et fonctionnel de la recharge sur autoroute dans les meilleurs délais ».
Combien et quels types de recharges trouve-t-on en France ?
En termes d’infrastructure, la France figure parmi les bons élèves à l’échelle européenne. La machine aura mis du temps à se lancer mais elle semble enfin sur les rails. L'exécutif a donné un coup d’accélérateur à l’été 2019 en débloquant des fonds (15 millions d’euros) qui ont servi à allouer des aides pour le déploiement de bornes de recharge, notamment au sein des copropriétés et des collectivités territoriales.
L’Hexagone compte aujourd’hui près de 30 000 points de recharge publics, selon l’Avere (l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique). Avec 240 000 véhicules électriques en circulation, la France dispose de 1 point de recharge pour 8 voitures, ou 1 pour 11 si l'on inclut les 65 000 hybrides rechargeables immatriculés dans l'Hexagone. Un niveau acceptable, selon l’Avere, au regard des recommandations européennes qui est de 1 point de charge pour 10 véhicules.
La charge rapide essentielle aux longs trajets représente 6% du parc français
Leur répartition est réalisée selon trois puissances différentes : la charge accélérée (entre 11 et 49 kW) est la mieux représentée avec 20 149 emplacements, soit 68 % du parc. Loin devant les 7 649 bornes en charge normale (inférieure ou égale à 11 kW), soit 26 % des infrastructures. La charge rapide (supérieure ou égale à 50 kW), essentielle aux trajets longue distance, ferme la marche avec seulement 1 780 sites, soit 6 % des solutions proposées.
Parcourir 100 km d’autoroute au volant d’une Renault Zoe vous en coûtera un minimum de 13 € !
Le problème, c'est que jusqu'alors, la filiale du groupe EDF avait le quasi-monopole sur les aires d’autoroute. Le second réseau s’appelle Ionity. Il regroupe à l’heure actuelle 45 bornes à haute puissance et il est exclusivement présent sur les autoroutes. Et le fournisseur a décidé pratiquement simultanément de bouleverser sa politique tarifaire, ce qui change totalement la donne pour une partie des utilisateurs. Jusqu'ici, l’accès au réseau de charge rapide était accessible avec un forfait fixe de 8 €, qu’importe le volume consommé. Depuis février 2020, ce système change avec l'arrivée d'une tarification au kW/h qui devient beaucoup moins intéressante sur une grosse recharge. Ainsi, dans certains cas, le coût d'une charge se rapproche pratiquement de celle d’un plein de carburant ! Dans certains cas seulement, car Ionity a fait le choix de privilégier les marques appartenant à son consortium (les groupes BMW, Volkswagen, Hyundai/Kia, Ford et Daimler). Ce qui soulève deux problèmes.
Le premier, la compatibilité des prises. « Ionity joue à fond le standard Combo CSS adopté par toutes les voitures allemandes notamment, au détriment d’autres formats », regrette Stephane Semeria, Président de la FFAUVE (Fédération Française des Associations d'Utilisateurs de Véhicules Electriques). Ce qui signifie que plusieurs modèles en sont exclus d‘office à l’image de la Nissan Leaf, la voiture électrique la plus vendue au monde, qui dispose d’un connecteur Chademo ou encore l’ancienne génération de Renault Zoe.
Ensuite, le second problème et non des moindres, c’est le prix. Ionity privilégie les marques issues de son consortium. Ces modèles disposent ainsi d’un abonnement préférentiel au kWh (environ 30 centimes/kW/h pour un forfait mensuel de 17,25 €/mois). Quant à ceux qui auraient le malheur de ne pas avoir souscrit d’abonnement et de vouloir se charger sur une borne rapide, le plein est facturé 79 centimes du KW/h. On pense aux modèles non-membres de ce consortium, comme la Renault Zoe ou la Peugeot e208, les deux plus grosses ventes actuelles en France !
Les Renault Zoe et Peugeot e-208, les deux plus grosses ventes en France paieront une recharge au prix fort (79 centimes/kW/h) sur les bornes Ionity.
Ainsi, parcourir 100 km sur autoroute au volant d’une Renault Zoe vous en coûtera plus de 13 €, si l’on prend on considération la seule consommation mixte (précisons que sur autoroute la consommation d’une voiture électrique est supérieure) homologuée de 17,2 kWh/100 km, selon le cycle WLTP et une température extérieure clémente. Le prix au kilomètre devient ainsi supérieur à celui d’une voiture thermique. « Reste que les tarifs Ionity sont très élevés et discriminants. Ces voitures (ndlr : celles dotées d’une petite autonomie et d’un format de prise différent), se voient exclues des autoroutes et devront se rabattre sur le réseau secondaire comme c’était le cas pour tous avant l'arrivée des bornes Izivia », constate la FFAUVE.
A l’heure actuelle, le réseau indépendant de Tesla semble le plus abouti.
Les décisions d’Izivia comme la hausse des tarifs décidée il y a quelques semaines chez Ionity montrent que l’éco-système de la voiture électrique se cherche encore. "Les bornes rapides sur les autoroutes n’ont pas encore de business-model, n’en auront peut-être jamais. Le seul moyen de rentabiliser les investissements est d’avoir un prix de l’électricité supérieur à celui de l’essence. La voiture électrique à batterie n’est pas faite pour de longues distances", résumait récemment Nicolas Meilhan, expert voitures électriques chez EV-Volumes (société spécialisée dans les statistiques de voitures électriques) à nos confrères de BFM-TV.
A l’heure actuelle, bien qu’il ait subi récemment une légère une hausse de prix, le réseau indépendant de Tesla semble le plus abouti. Faire le plein dans l'un des superchargeurs du constructeur américain ne coûte aux propriétaires que 24 centimes/kW/h. Pour tous les autres, mieux vaut aller voir ailleurs. Le nombre de superchargeurs est certes moins dense sur les aires d'autoroutes mais la marque a pensé à tout. Les clients trouveront des points de charge à proximité des sorties d'autoroute, de restaurants, de centres commerciaux.
Bilan : l'autoroute en voiture électrique ? Cher, compliqué et pour longtemps
Jusqu'ici recharger une voiture électrique sur l'autoroute restait relativement simple et accessible financièrement pour son propriétaire mais le retrait d'EDF, principal fournisseur présent sur l'autoroute, a totalement rebattu les cartes. Le nombre de bornes a chuté de près de 70% et les fournisseurs restants discriminent certaines voitures électriques soit financièrement (si les modèles n'appartiennent pas à leur groupe) soit techniquement du fait de la compatibilité des prises. Conséquences ? Réaliser un long trajet sur autoroute vous en coûtera désormais beaucoup plus cher sans vous apporter la garantie de pouvoir vous recharger. Il vous faudra alors sortir de l'autoroute. Ionity va continuer de développer son réseau alors que d'autres fournisseurs comme Total (3 stations, dont une fonctionnelle à l'heure actuelle) comptent densifier leur offre mais il faudra se montrer patient ou très optimiste, car il semble que les bornes rapides sur les autoroutes soient un business très peu lucratif.
Interview de Stephane Semeria, Président de la FFAUVE (Fédération Française des Associations d'Utilisateurs de Véhicules Electriques)
Pouvez-vous, en quelques mots, nous présenter la FFAUVE et ses activités ?
La Fédération regroupe plusieurs associations et acteurs promoteurs de la mobilité électrique et elle a pour objectifs de coordonner des actions de communication et de lobbying. Comme par exemple, disposer en permanence du meilleur niveau d’information dans les domaines des véhicules et de la mobilité électriques, partager nos savoir-faire et nos expériences.
A l’échelle européenne, la France est-elle un bon élève en matière d’infrastructures de recharge ?
Avec 19 245 zones de recharge selon ChargeMap (la plus grosse application de localisation de points de recharge), la France apparaît bien placée, à l’échelle européenne. Le niveau d’information de ChargeMap est plus fin car la cartographie des bornes est assurée par les utilisateurs de véhicules électriques. L’Avere (l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique) qui annonce 30 000 points de charge y ajoute les points de charge en entreprise. Il convient toutefois de préciser que moins de 10% sont des bornes de charge rapide, celles-là même qui permettent les déplacements sur de longues distances.
Quel est l’état de fonctionnement de ces points de recharge ?
L’état des bornes est très variable selon les réseaux. Les bornes rapides sont les plus sujettes à des pannes car elles sont très sophistiquées. Elles sont rarement protégées du soleil et des intempéries et cela ne contribue pas à leur taux de disponibilité. L’été 2019 a été catastrophique pour les bornes du réseau Izivia qui depuis a été quasiment arrêté.
Et en termes de variété de prises ?
En termes de prises, la prise Type 2 est devenue le standard pour la recharge accélérée à 22 kWh, côté voiture et borne. En recharge rapide, c’est désormais le type Combo CCS qui est de plus en plus adopté par les constructeurs. Cela pénalise fortement les constructeurs et les utilisateurs de voiture utilisant le standard chademo comme la Nissan Leaf par exemple.
Plus simplement est-il aujourd’hui facile pour un propriétaire de se charger n’importe où en France ?
La capacité à se recharger reste encore hypothétique, sauf à rouler en voiture Tesla, cette marque de voitures électriques haut de gamme bénéficiant d’un réseau exclusif de bornes, nombreuses par site de rechargement et très rarement défaillantes. Le maillage des sites Tesla est par ailleurs extrêmement bien pensé. Un consortium appelé Ionity s’inspire du système Tesla et déploie ses bornes en Europe. Le rechargement y est hélas hors de prix pour les voitures des marques n’appartenant pas au consortium.
Comment préparez-vous un « long trajet » en voiture électrique ? Quels outils (chargemap, etc.) utilisez-vous et sont-ils fiables (disponibilité, emplacement, fonctionnement) ?
Encore aujourd’hui, un long déplacement ne se fait pas sans préparation, sauf à rouler en voiture Tesla. L’électro-mobiliste « non Tesla » s’appuie sur l’application Chargemap, qui est la référence en France, alimenté par les utilisateurs (déclaration des nouvelles bornes, dysfonctionnement des bornes, remises en service). Il en existe beaucoup d’autres. La lacune de ces outils est que les informations de fonctionnement et de disponibilité (voiture actuellement en charge ou non) ne sont pas des informations « temps réel ». L’électro mobiliste n’est pas à l’abri d’une mauvaise surprise en arrivant sur une borne. La fiabilité des équipements n’est pas encore optimale, sinon sur les réseaux Tesla et Ionity. Une généralisation de la réservation, existante sur certaines formes d’abonnements, serait la bienvenue, l’électro-mobiliste annonçant « j’arrive dans 15 minutes et je resterai une demi-heure sur la borne ». Au prix où elle est facturée, il faut que la prestation de recharge sur les bornes de type rapide (50 kW) ou hyper rapide (100 kW et plus), soit souvent mieux signalée et plus confortable (avec une protection contre la pluie et le soleil, tant pour la borne que pour le conducteur).
Izivia, la filiale groupe EDF a annoncé la fermeture de 189 des 217 bornes de recharge rapide de son réseau Corri-Door sur autoroute. Cette décision va-t-elle compliquer la vie des propriétaires de voiture électrique ?
Au quotidien non. La plupart des gens chargent à domicile, la nuit, en charge lente. En itinérance, oui. Seuls les propriétaires de Tesla, avec leur réseau dédié, ne seront pas impactés. Ceux qui roulent avec des véhicules à petite autonomie, ainsi que ceux dont les véhicules chargent en mode rapide avec des prises type 2 (la Zoé) et ChaDeMo (Nissan Leaf, Kia Soul, Peugeot Ion, Citroën C zéro, Mitsubishi I-miev, Berlingo-Partner, Outlander PHEV...) seront bien obligés de prendre en compte cette situation. Ils devront rechercher d'autres bornes comme celles de Ionity, sachant que la plupart ne proposent que des prises Combo CCS, alors que les bornes Izivia d'Edf étaient tri-standard. Ces voitures se voient exclues des autoroutes et devront se rabattre sur le réseau secondaire comme c’était le cas pour tous avant l'arrivée des bornes Izivia.
On apprend également que Ionity, autre fournisseur de recharge rapide uniquement présent sur le réseau autoroutier a modifié sa politique tarifaire. L’objectif annoncé est de « privilégier » les marques du consortium (Kia, BMW, Mercedes, etc.). Avez-vous eu des retours de la part d’utilisateurs et notamment ceux « hors consortium » ?
A l’exception de Renault qui a fait un lobbying très efficace pour le déploiement des bornes 22 kWh favorables à la Zoé, les constructeurs français n'ont rien prévu, sinon des voitures, pour les trajets sur et hors autoroute. Seul Nissan avait conclu des alliances avec les magasins Ikea et Auchan pour implanter des bornes rapides au standard Chademo. Même Renault qui aurait pu organiser les choses différemment avec son réseau de concessions n'a pas anticipé la chose. Le constructeur aurait pu décider d'installer ses bornes à l'extérieur des concessions pour qu’elles soient accessibles 7/7 et 24/24. PSA ne fait pas autrement, bien que se lançant tout dernièrement (mieux vaut tard que jamais) dans la voiture électrique. Le problème avec un consortium comme Ionity est de bien définir les choses. Comment est-ce possible de voir un consortium allemand prendre autant de mètres carrés sur les aires de nos autoroutes, là ou EDF a échoué ?
Tesla est la seule marque à disposer de son propre réseau, offrant ainsi la recharge pour ses modèles les plus luxueux. Pensez vous que c’est l’exemple à suivre ?
En tant qu'utilisateur je répondrais oui, bien sûr, si ce n’est que Tesla n’est pas une marque de luxe, loin s’en faut, et que les conducteurs les plus nombreux possèdent la Model 3 qui ne profite pas de la gratuité.
En tant que co-fondateur de FFAUVE, je dirai que ce n'est pas logique de faire autant de différenciation, ce que nous reprochons à Ionity, nous nous devons de le reprocher à Tesla. Mais, contrairement à Ionity, Tesla a fait affaire avec le groupe 100% privé ACCOR pour l’installation de ses bornes. Maintenant, on ne peut pas blâmer des entreprises privées de faire pareil choix, surtout lorsque le secteur public (EDF/ IZIVIA) abandonne les électromobilistes en sabordant le réseau Corri-door pour un hypothétique Corri-door 2 dans quelques années.
Enfin plus général. Peut-on affirmer qu’aujourd’hui, emprunter l’autoroute avec une voiture électrique est compliqué ?
L’intérêt de l’autoroute pour le véhicule électrique est qu’en fonction des tarifs pratiqués et en vitesse stabilisée 100/110 km/h, elle est énergétiquement intéressante sur de longs trajets en permettant d’éviter tous les ralentisseurs et ronds-points énergivores. Bien qu’Izivia se retire, Ionity et Total arrivent. Il y a donc une apparente « compensation ». Mais les 45 stations Ionity actuelles et la seule station Total opérationnelle à ce jour couvrent moins le territoire autoroutier.
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