Enquête: 2035, le grand défi de la fin du thermique
Si l’automobile a déjà entamé sa mue électrique, la disparition des moteurs thermiques neufs à l’horizon 2035 en Europe constitue un véritable défi pour les constructeurs, les consommateurs, les énergéticiens et les pouvoirs publics. Decryptage.
En 2035, les autos neuves vendues en Europe cesseront définitivement de fumer, ceci en vertu de l’application de l’accord voté mercredi 8 juin au parlement européen, déjà évoqué par Caradisiac, qui valide l’interdiction future des moteurs thermiques pour les voitures particulières et utilitaires légers.
Il y a d’ailleurs fort à parier que lesdits moteurs thermiques auront en réalité disparu plusieurs mois, voire plusieurs années avant cette échéance, dans la mesure où la plupart des constructeurs généralistes auront déjà largement entamé leur mue électrique.
Le groupe Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat, DS…), par exemple, s’est d’ores et déjà fixé pour objectif 2030 pour ne plus écouler que des moteurs « zéro émission » pour ses voitures vendues sur le Vieux continent.
Pour autant, bien des questions se posent encore et bien des obstacles restent à franchir avant de parvenir à ce « nettoyage » du parc automobile neuf, étape importante vers l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 qui guide la politique européenne. Passons-les en revue ensemble.
Pourrai-je continuer à rouler avec ma voiture thermique au-delà de 2035?
Oui, bien sûr. L’accord conclu hier ne concerne que les voitures et véhicules utilitaires légers neufs vendus dans l’UE à partir de 2035. En aucun cas les modèles écoulés auparavant ne pourront être interdits de circulation, même s’il faudra composer avec de nombreuses restrictions, notamment en zone urbaine où les Zones à faibles émissions seront appelées à se multiplier. Le parc « thermique » s’éteindra progressivement de lui-même, sachant que la durée de vie moyenne d’une voiture s’établit autour d’une quinzaine d’années.
Cette disparition du thermique neuf est-elle inéluctable ?
Très probablement, oui. Dans les faits, il reste un mince, très mince espoir pour l’hybride rechargeable, technologie qu’une partie des constructeurs continue de défendre, avec l’appui des élus du PPE (la droite européenne, majoritaire), ainsi que pour les carburants de synthèse. Le 28 juin se tiendra le Conseil européen « environnement », qui réunira les ministres concernés des 27 pays membres, lesquels examineront alors le texte voté hier et pourront le modifier.
Par la suite débuteront des discussions entre Commission, Conseil et députés européens de façon à aboutir à un texte définitif d’ici l’automne. Des modifications pourraient alors avoir lieu, avec notamment peut-être un peu plus de souplesse concernant les blocs hybrides rechargeables. Mais il n’y a pas trop d’espoir à caresser malgré tout.
Y aura-t-il assez d’électricité pour alimenter tout le parc auto en 2035 ?
Sauf catastrophe, oui. Une étude RTE (gestionnaire du Réseau de Transport d’Electricité) publiée l’an dernier se montre rassurante sur ce point : la demande devrait s’établir à 500 TWh, quand la production d’électricité décarbonée s’établirait à 650 TWh grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables.
Et RTE de préciser que les 16 millions de voitures électriques ne représenteraient "que" 8 à 10 % desdits 500 TWh. Et si des pics ponctuels risquent d’intervenir lors des grands départs en vacances, les gestionnaires auront eu le temps de « re-calibrer » le système en prévision de ces épisodes, de façon à éviter les risques de queue aux bornes.
Notons enfin que 90% de la recharge s’effectue aujourd’hui à domicile, la nuit, en charge lente. Pas de quoi faire écrouler le réseau, donc, d’autant que l’augmentation globale des besoins se fera de façon progressive, de l’ordre de 1% par an jusqu’à 2050 selon les projections d’Enedis.
Bref, L’enjeu se situe davantage dans la gestion des pointes de consommation que dans la capacité de production. Enfin, les batteries des voitures pourront aussi stocker de l’électricité qui pourra être réinjectée dans le réseau au besoin, selon le principe du « Vehicle-to-grid » (V2G).
Aura-t-on assez de bornes disponibles ?
On peut être confiant. On le sait, le déploiement du réseau de bornes électriques est plus lent que ce qui était annoncé initialement par les pouvoirs publics (100 000 bornes à la fin 2021, rappelons-le).
Il n’empêche qu’au dernier pointage réalisé fin mai, on dénombrait 62 136 points de charge ouverts au public dans l’Hexagone, chiffre qui traduit une augmentation de 51% en un an. Une dynamique est donc bel et bien lancée, n’en déplaise aux esprits chagrins.
Cette croissance est en effet plus rapide que celle du parc français de voitures électriques, en l’occurrence de 35% sur un an. Cela devrait donc bien se passer.
Concernant la mobilité longue distance, l’Avere-France rappelle qu’à la fin mars, sur 428 aires de service, 65% étaient raccordées ou en passe de l’être, contre 20% en avril 2021. L’objectif de janvier 2023, qui vise 100% d’aires équipées en bornes de recharge, est donc réaliste.
Sauvera-t-on la planète grâce aux véhicules électriques ?
Non, bien sûr ! Mais il n’empêche que nos voitures représentent 12 à 13% des émissions de CO2 en Europe (et même un peu plus en France), et que toute baisse est bonne à prendre en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
D’après les estimations des spécialistes, le vote d’hier permettrait de diviser par trois, voire par quatre, les émissions de CO2 « automobile » en Europe à l’horizon 2035. Un vrai progrès, donc, même si l'automobile ne représente qu'une petite partie du problème climatique.
Les prix des voitures électriques baisseront-ils un jour ?
C’est plus que souhaitable, dans la mesure où les voitures dites propres s’apparentent aujourd’hui à un produit de luxe, que les pouvoirs publics doivent encore largement subventionner. Il faut espérer que le déploiement des voitures électriques permettra d’en abaisser les coûts, mais on se gardera bien ici d’avancer des chiffres trop optimistes qui pourraient se trouver rapidement démenti par les faits.
En attendant, les prix des voitures neuves électriques se trouvent « noyés » dans des offres de location longue durée qui permettent de ne considérer que les mensualités, dont le montant se voit adouci par les éventuels bonus écolo, la carte grise gratuite, les faibles coûts du « carburant-électricité » et des frais d’entretien dérisoires.
L’industrie automobile saura-t-elle s'adapter?
Croisons les doigts ! Il est évident que l’électrification est un choc pour l’industrie automobile, qui fonctionne sur des cycles longs et ne peut se réinventer du jour au lendemain. D'où une inquiétude bien tangible chez certains.
Les constructeurs ont aujourd’hui une dizaine d’années devant eux pour s’adapter à une nouvelle donne à laquelle ils ont déjà largement commencé à se préparer, et qui entraînera une refonte de l’outil de production.
Une voiture électrique nécessite moins de main d’œuvre de fabrication, tandis que les contraintes et métiers d’ingénierie ne sont pas les mêmes.
Les réseaux de distribution devront eux aussi s’adapter, sachant que la vente sur Internet n'est plus un gros mot pour les constructeurs qui lorgnent avec intérêt les processus mis en place par Tesla.
De même, l’entretien d’un modèle électrique est nettement plus léger : finies les vidanges et autres courroies de distribution.
Enfin, grand est le risque que des pays en avance sur la production de batteries électrique, comme la Chine, prennent le dessus sur des constructeurs européens qui ont tardé à monter dans le train de l’électrique.
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