En 30 ans de vélo, tout a bien changé !
Jérémy Fdida , mis à jour
Il y a 30 ans, nous faisions du vélo. Mais à cette époque, nous n’étions pas déguisés en sapin de Noël. Les caméras étaient trop grosses pour tenir sur un guidon et le vélo ne servait pas à frimer sur Twitter. À cette époque, il était l’apéritif du pass vers la liberté, du papier rose et de cette merguez sur roues que nous considérions comme notre meilleur moyen de fuir la monotonie du quotidien. Trois décennies plus tard, nous voilà à pédaler à nouveau. Mais que s’est-il passé ?
Les éclairages de novembre font rêver les enfants et se réfléchissent sur les carrosseries des voitures. Phares allumés, elles forment un manège et les passagers d’avions en phase d’atterrissage admirent d’en haut cette effervescence de lumière. Nous sommes des lycéens d’une période moins anxiogène. Les écouteurs dans les oreilles, la K7 rembobinée, nous chevauchons nos destriers de métal. La chaîne vibre au rythme des coups de pédales. Sur le parcours menant au bahut, il y a cette superbe Mercedes Classe C flambant neuve, feux allumés, moteur tournant. Nous passons devant, rêvant du jour où nous aussi aurons notre auto pour nous déplacer au chaud. Dans les années 90-2000, les réseaux sociaux étaient les salles de ciné, les parcs, les piscines, les terrains de sport, les cours de récré. On prenait le vélo comme on chaussait des baskets. C’était l’engin de déplacement le plus silencieux, le plus facile, le plus pratique, mais surtout le plus abordable. Presque trois décennies plus tard, voici un boomer caressant la quarantaine, chevauchant toujours son destrier. Aidé d’un moteur électrique cette fois. Il pensait pourtant qu’une fois le permis dans une poche et les clés de voiture dans l’autre, il n’aurait plus besoin de pédaler. Mais qu’a-t-il bien pu se passer durant cette période ?
Il n’y a d’abord pas eu grand-chose. Les trottoirs et les routes étaient des pistes cyclables et ça ne gênait personne. Sauter les marches, lever les roues, descendre des escaliers, rouler sans se poser de question, sans les chiffres de l’INSEE sur la mortalité routière en tête, sans porter une cape à l’effigie de la planète. Puis la voiture est arrivée. Avec elle le plein à 0,990€ le litre d’essence. Ramener les amis de soirée, après avoir roulé jusqu’au petit matin. Se jeter dans son lit, le réservoir comme le corps vides, mais la tête pleine.
Puis la vie nous a rattrapés. Le billet de cinquante euros ne remplissait plus le réservoir. L’entretien devenait trop cher. Il fallait prendre la voiture non plus pour rouler par plaisir ou se rendre dans des endroits cool. Elle était devenue cet objet que l’on use jusqu’au carbu et qui finit par demander de l’aide. L’amour qu’on lui donnait se transformait en rage dans les bouchons. On se retrouvait à l’emmener chez le docteur des autos pour diagnostiquer ses chances de survie. Car sa valeur se résumait à quelques pièces qu’il faudrait tôt ou tard changer. Il fallait la préserver et l’amour ne durait pas les 3 ans d’une LOA.
Les transports en commun, lorsqu’ils sont accessibles, sont devenus le véhicule du quotidien. Finie la liberté, bonjour la dépendance. Les odeurs, les retards, les gens qui partagent cet espace confiné avec nous, littéralement collés contre nous. Jour après jour, nous faisons le deuil d’un plaisir cher, égoïste, mais mérité. Les jours, les semaines et les mois s’enchaînent. La voiture est là. Prête à nous aider, à se rendre utile. L’herbe a même poussé à côté des pneus. Elle sert, parfois, pour les courses ou aller chez des amis. Un jour, c’est la goutte d’eau. Celle qui fait déborder une amphore de lassitude. Celle qui nous met professionnellement dans une situation très anxiogène. Celle qui peut faire que tout s’arrête. Alors on regarde ce qu’il y a comme alternative. L’automobile au quotidien est un gouffre financier. La moto et le scooter impliquent un équipement onéreux, et sont également chers à l’usage. Il reste un vieux VTT dans un coin. Un peu d’huile de coude et de graissage, un gonflage et le voilà prêt à arpenter la ville.
Nous pédalons à nouveau. Les dents apparentes, les larmes réchauffant les joues, les doigts gelés. Ça paraissait moins violent enfant. Des pistes sont présentes et on se rend compte que nous ne sommes pas seuls sur un cycle. D’autres usagers, scintillants, roulent aussi. Parfois un bambin a pris place devant, ou derrière. Il apprécie l’impression de liberté, la caresse du vent sur son visage, le mouvement, la vitesse. Autant de sensations qu’il préfère ne pas trop côtoyer quand le froid pointe son nez et fait couler le sien.
Le problème n’est pas la voiture, la moto ou le vélo, mais le partage de la route et l’acceptation que nous évoluons dans un flux. Un flux qui, en 30 ans, est passé de 30 à 40 millions d’autos, auxquelles se sont greffés 2 millions d’utilisateurs de mobilités urbaines (selon l’ADEME). Un flux gérable tant que l’on anticipe autrui et qu’on informe les autres de ce qu’on fait. Tant qu’on respecte les règles sans jouer les justiciers. Car l’erreur est humaine et peut arriver à chacun d’entre nous. C’est simple, mais si ça fonctionne pour les avions, pourquoi pas pour les engins terrestres ?
Le cycliste a un comportement égoïste. Car à l’instar de la moto, le vélo est une activité individualiste, un moment pour soi. Bien loin de l’esprit motard, les cyclistes ne se saluent pas. Il y a des rivalités entre les VAE et les vélos musculaires. Le boomer risque d’être percuté par un cycliste qui a grillé le feu. Il n’est pas seul responsable. L’automobiliste veut absolument finir d’écrire son SMS et donc démarre les yeux baissés vers son téléphone, maladroitement caché plus bas. Très vite, on compare les risques de blessures en cas d’impact plutôt que d’essayer de les éviter.
Mais paradoxalement, sur l’ensemble personnes circulant chaque jour, les choses se passent, le plus souvent, sans problème. Internet a accentué une pseudo rivalité entre deux clans bien réels. Oui il y a des accidents, mais sur les millions de déplacements quotidiens, cela reste marginal. Triste, grave, mais marginal.
En 30 ans, le moyen de locomotion est passé d’un acte pratique à une revendication politique. C’est dommage. Le cycliste de la semaine, écologiste, œuvrant pour la planète, se transforme, le week-end venu, en un monstre conducteur de SUV, acronyme de Satan Urbain Vehicule, si on en croit les véhémences à son égard. Une même personne, deux clans opposés. Une schizophrénie numérique et purement numérique.
Car dans les faits, les vélos et trottinettes partagent les garages avec autos et motos. Ce ne sont pas les engins le souci, mais les humains aux commandes. Sommes-nous devenus stupides à ce point ? Non, c’est seulement une minorité, bruyante, qui prend plaisir à jeter de l’huile sur le feu puis à se plaindre de s’être brûlée. Les autres veulent simplement se déplacer dans un confort à hauteur de leurs moyens et envies, en sécurité, qu’importe la forme du véhicule.
Nous n’avons jamais eu autant de solutions de mobilité qu’aujourd’hui. Reste à adapter la route en conséquence. Car c’est cette variété qui permet de désengorger le trafic et d’optimiser les déplacements. Mais surtout, de mettre de côté cette provocation aussi absurde que risquée.
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