Electrification: l'incroyable zizanie !
Les atermoiements actuels des constructeurs autour de la voiture électrique donnent à voir un inquiétant spectacle. Le problème, comme le résume un grand patron du secteur, est que "pour ceux qui ne sont pas prêts, c'est déjà trop tard."
« Zizanie (nom féminin) : Désunion, mésintelligence qu'on fait naître dans un groupe. » La définition du Larousse correspond parfaitement à l’ambiance qui règne depuis plusieurs mois dans une industrie automobile à qui l’Europe cherche à imposer le passage au tout-électrique sur les voitures neuves en 2035, mesure déjà votée par le Parlement et approuvée par la Commission.
A vrai dire, la colère grondait plus ou moins sourdement depuis quelques mois. Mais c’est le refus de l’Allemagne, le 3 mars dernier, de ratifier le texte interdisant la vente de véhicules thermiques neufs qui a mis le feu au poudre. Elle se trouve notamment rejointe dans ce combat par l’Italie.
L'Allemagne tire le frein à main
Si certains Etats se rebiffent, c’est bien parce qu’ils sont poussés en ce sens par leurs propres constructeurs automobiles, qui redoutent les dégâts que la refonte de l’outil industriel peut causer, notamment en termes d’emploi. L’association italienne des constructeurs automobiles (Anfia), fait ainsi valoir que l’électrification menace 450 entreprises sous-traitantes et quelques 70 000 emplois.
Du côté des anti, les arguments sont déjà bien rodés : nécessité de défendre un tissu industriel composé autour des motorisations thermiques, perte de la souveraineté industrielle face à la Chine, prix des voitures électriques neuves qui les rend inaccessibles au commun des acheteurs, difficultés de déploiement des infrastructures de recharge, vertus écologiques discutables de l’électricité quand elle est produite par des centrales à charbon, coût de l’électricité, ou bien encore tensions géostratégiques autour des métaux rares, qui de plus sont extraits dans des conditions souvent peu vertueuses (contrairement au pétrole?).
Essence de synthèse
Pour toutes ces raisons, le passage au tout-électrique devrait être reconsidéré, afin que soient davantage mis en avant des motorisations anti-CO2 alternatives telles que l’hydrogène ou les carburants synthétiques.
Le premier est notamment soutenu par BMW, qui défend une technologie efficiente, dotée d’une batterie moins gourmande en terres rares et permettant une recharge très rapide. Resterait notamment à bâtir un réseau de distribution solide, et produire l’hydrogène à moindre coût et de manière mieux décarbonée.
Quant aux e-fuels, ils sont notamment poussés par le groupe VW…et plus précisément par Porsche AG qui y voit un moyen de préserver son héritage industriel et son image (même argument de la part de Ferrari, au passage).
Mais là encore, cette technologie bute sur la question d’une production aussi énergivore que coûteuse, ce qui se traduit par un tarif estimé à 2 € par litre juste pour la seule production. Et même en augmentant les volumes, ce produit n’aurait pas vocation à se démocratiser : en clair, il aurait plus vocation à activer les pistons d’une 911 que ceux d’une Dacia Sandero.
Auto-schizo
Dans ces conditions, on conçoit que tous les constructeurs sont loin d’être sur la même longueur d’onde, certains frisant même la schizophrénie sur la question de l’électrique.
A l’image du groupe Volkswagen qui, tout en soutenant les carburants synthétiques - son patron Olivier Blume a la double casquette de patron du groupe VW et de patron de Porsche AG - a annoncé cette semaine un investissement de plus de 120 milliards d’euros sur…l’électrique et le développement des logiciels qui vont avec, de façon à rattraper Tesla et les constructeurs chinois.
Quant à BMW, malgré ses réticences au sujet des modèles à batterie, il a annoncé ce matin prévoir que ceux-ci monteront à 15% de ses ventes totales en 2023, contre 9% en 2022. Il prévoit qu’un cinquième de sa production sera entièrement électrique en 2024, puis un quart en 2025 et un tiers en 2026.
Du côté de Stellantis, Carlos Tavares ne manque jamais une occasion de s’élever contre les tarifs élevés du « zéro émission » : « La différence de prix entre les véhicules européens et chinois est importante. Si rien ne change dans la situation actuelle, les clients européens de la classe moyenne se tourneront de plus en plus vers les modèles chinois », a-t-il récemment déclaré.
Mais le même Tavares Carlos déclarait lors du dernier Mondial de l’automobile qu’« avec la hausse des volumes, les tarifs vont baisser en flèche » à partir de 2026, pour s’aligner sur celui des modèles thermiques équivalents.
Voitures à frictions
Les constructeurs sont donc en désaccord avec eux-mêmes (!) en matière d’électrification, ce qui est assez fâcheux.
Sans surprise, ils ne sont pas d’accord entre eux non plus. Ce mercredi, le patron de Volvo Jim Rowan tire la sonnette d’alarme sur le réseau LinkedIn : « Ce n'est pas le moment de revenir en arrière et de bloquer les objectifs climatiques scientifiques pour notre industrie. Ce n'est pas le moment de faire passer les intérêts politiques nationaux avant la santé et le bien-être de notre planète et des citoyens de l'UE, et même des générations futures. Le moment est venu d'adopter une politique et un leadership forts, décisifs et progressistes. »
Rappelons que Volvo (qui appartient au groupe chinois Geely) a pour objectif que l’électrique représente la moitié de ses ventes mondiales d'ici 2025 (soit environ 600 000 unités) et 100% d’ici 2030.
Bref, cette diversité de prises de positions à de quoi dérouter, sachant que par ailleurs l’Europe est en train de réorganiser son industrie autour de l’électrique, ce qui prend du temps et coûte des milliards.
Un investissement qui ne sera rentabilisé que si les constructeurs vendent des voitures : « Les constructeurs et les acteurs de l’automobile ont investi des milliards d’euros pour aller dans cette direction. En cinq ans, nous sommes parvenus à multiplier par dix la part des véhicules électriques et électrifiés. Les déclarations de ces derniers jours nous placent dans un sentiment d’instabilité assez préoccupant. Que cela soit les allers-retours sur les motorisations en 2035 mais également sur la norme Euro 7, une réglementation ubuesque qui nous oblige à investir sur des moteurs dont on organise par ailleurs la disparition! L’industrie automobile a besoin d’un cap, d’une direction claire », martèle Luc Chatel, dirigeant de la Plateforme automobile, dans Le Figaro ce jour.
Déjà trop tard?
L’industrie auto a donc urgemment besoin d’un GPS, sachant que ce qui est en jeu est moins l’adaptabilité de telle ou telle entreprise que la question de la planète, tout simplement.
Le paradoxe est que cette course en avant nécessaire vers l’électrique se fait non pas au rythme de l’industriel le plus rapide, mais du plus lent, comme l’expliquait en octobre au Mondial de l’auto Christophe Périllat, D.G. de l’équipementier Valeo, qui travaille avec tous les constructeurs mondiaux et dispose d’une vision à 360° des enjeux de demain et de ce qui se mitonne dans tous les états-majors du secteur.
Or, assène-t-il, « si nous voulons être forts en Europe pour la filière électrique nous devons accélérer. C’est la seule manière d’être compétitif. Si on n’accélère pas en Europe nous aurons un petit marché. C’est une des raisons avec le réchauffement climatique pour aller le plus vite possible pour créer l’effet d’échelle. » Et le même d'avertir : « je suis désolé de le dire, mais pour ceux qui ne sont pas prêts c’est déjà trop tard. »
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