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Caradesign - Philippe Charbonneaux, un pionnier français

Dans Rétro / Autres actu rétro

Serge Bellu

Si le design est né en Amérique du Nord dans les années 1930, c’est à un Français que l’on doit son importation en Europe. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Philippe Charbonneaux a donné au métier de styliste une nouvelle dimension.

Caradesign - Philippe Charbonneaux, un pionnier français

Dans les années 1940, personne ne parle de « design » dans les pays francophones. Le mot et l’activité sont des purs produits de la culture américaine. Le design a pris son envol au lendemain de la crise économique de 1929. Les pionniers se nomment Raymond Loewy, Walter Teague, Henry Dreyfuss, Norman Bel Geddes, Harold Van Doren… autant de designers qui proposent de donner à l’Amérique un environnement esthétique à l’image de son développement industriel. La crise de 1929 précipite le mouvement. Après cette fracture, l’Amérique a besoin de sang neuf et les pionniers de l’esthétique industrielle pressentent qu’ils peuvent contribuer au redressement moral et économique de la nation.

Le travail des designers porte sur tous les objets de la vie quotidienne. De l’aspirateur à la locomotive, du taille-crayon au paquebot, tous les produits manufacturés sont frappés au sceau du design qui se présente comme l’un des moteurs de la reprise dans la dynamique du New Deal.

En France, rien de tout cela. Dans les années 1930, le « styliste » est un personnage obscur, isolé dans le bureau d’études, solitaire, condamné à subir l’autorité du directeur technique.

Philippe Charbonneaux est l’un des premiers stylistes français qui échappent à cette fatalité. Né le 18 février 1917 à Reims, Philippe Charbonneaux griffonne ses premiers croquis dans la marge de ses cahiers d’écolier avant de quitter sa ville natale pour tenter sa chance à Paris. Son premier travail reconnu consiste en une série de cartes postales en couleurs représentant des avions. Il n’a pas fait d’études artistiques spécifiques, mais montre d’emblée un talent singulier, dans la lignée d’un Géo Ham. Il publie ses premiers dessins de voitures dans la revue L’équipement automobile.

Philippe Charbonneaux
Philippe Charbonneaux

Philippe Charbonneaux rêve de dessiner ses propres carrosseries, inventer des lignes, des styles, créer des formes pour les constructeurs à la manière de Raymond Loewy en Amérique. L’une de ses premières créations porte sur la voiture révolutionnaire que le pilote Jean-Pierre Wimille entend commercialiser. Un premier prototype – doté d’un moteur Citroën – apparaît à l’occasion de l’inauguration de l’Autoroute de l’Ouest, à Saint-Cloud, en juin 1946.

Le modèle abouti – motorisé par Ford – est dévoilé au Salon de Paris 1948. La caisse se caractérise par des formes lisses et dépouillées, le modelé des surfaces, le pare-brise panoramique, les vitres affleurantes, les jalousies sur la lunette arrière, la ceinture surbaissée, la garde au sol réduite… Le cockpit accueille trois places de front avec le poste de conduite central ; un rêve de pilote ! Le prototype évolue au fil des ans, pour les salons 1949 et 1950, avant que le développement ne soit interrompu par la mort accidentelle au volant d’une Gordini de Jean-Pierre Wimille en janvier 1949,  lors du Grand Prix d’Argentine.

Delahaye 235
Delahaye 235

De 1947 à 1951, toujours plus entreprenant et indépendant, Philippe Charbonneaux est conseiller pour le style chez Delahaye. Dans ce cadre, il réfléchit à une nouvelle identité visuelle de la marque et illustre les catalogues avec un élément stylistique récurrent : la fine calandre verticale, quadrillée comme un masque d’escrime. Pour la 235, en 1951, il imagine une ligne plus contemporaine malgré la base mécanique toujours aussi archaïque. En 1949, Philippe Charbonneaux effectue un stage de six mois à Detroit, chez General Motors, ce qui lui permet de revendiquer une petite contribution dans le dessin de la première Corvette.

Téléavia (1957)
Téléavia (1957)

À l’instar de ce qui se fait aux États-Unis, mais pas encore en France, le « cabinet d’esthétique industrielle » de Philippe Charbonneaux, installé rue Copernic, à Paris, offre ses services à tous les industriels. Il réalise le téléviseur « Panoramic III » pour Téléavia (1957), le réfrigérateur « Caravelle » de Frigeavia (1956), des machines électroniques pour Bull-Gamma, le stylo « Dauphin » de Bayard, des horloges pour Jaz, des cabines de véhicules industriels pour Bernard (1959) et de nombreux camions publicitaires aux étonnantes formes futuristes…

Charbonneaux n’abandonne pas pour autant l’automobile : il dessine la petite « Ariette » pour Rosengart, un roadster sur base Salmson 2300 Sport ou encore un coupé très réussi sur la base de la 2 CV. Charbonneaux est commissionné par le carrossier Franay pour imaginer une élégante limousine pour la présidence de la République, élaborée sur la plate-forme d’une Citroën 15-Six.


Consultant auprès de Renault de 1960 à 1963, Philippe Charbonneaux met en place un embryon de studio et oriente le style des R8 et R16. Redevenu indépendant, il crée le camion Stradair pour Berliet (1964).

Renault R16
Renault R16

Tout en se consacrant à son magnifique Musée de l’automobile française, à Saint-Dizier, puis à Reims, cet infatigable créateur développe le prototype Ellipsis (1992), assurant une sécurité optimale en reprenant l’architecture en losange. Sans cesse à la recherche d’un ancrage dans la grande tradition de la carrosserie française, il propose des transformations qui tendent à faire des Renault 16 et 25 des berlines tricorps plus statutaires.

Philippe Charbonneaux s’éteint en juin 1998 à l’âge de quatre-vingt-un ans en laissant le souvenir d’un esprit indépendant et original dans l’univers très conservateur du design français des trente glorieuses.

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