Le 12 mai 2006, le Premier ministre a demandé au Centre d’analyse stratégique de réunir une Commission en vue de définir les perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020- 2050 et de proposer des recommandations pour la politique française de l’énergie. La Commission Energie du Conseil d'analyse stratégique (CAS), présidée par Jean Syrota, a rassemblé de juin 2006 à septembre 2007 les différents acteurs et partenaires concernés dans le domaine énergétique (plus de 80 membres : élus, partenaires sociaux, administrations nationales et européennes, opérateurs du secteur de l’énergie, industriels, experts, associations de consommateurs, organismes de recherche,...).
Un rapport a été remis au Premier ministre en octobre 2007. Ce rapport constitue une réflexion d’ordre technique qui n’a pour d’autre ambition que de contribuer au débat, sans engager le gouvernement qui fixera ses orientations dans le cadre plus large du Grenelle de l’Environnement dont il sera l’une des contributions.
Voici les points principaux du rapport
Si les entreprises ont, pour une large part, réussi à s’adapter à une contrainte énergétique qu’elles ont estimée pérenne, les ménages qui se déplacent et se logent en consommant beaucoup et inefficacement des hydrocarbures et de l’électricité n’ont pas infléchi durablement leur comportement. Il y a trente ans, les réserves de pétrole étaient estimées à trente ans de consommation. Aujourd’hui, elles sont évaluées à quarante ans environ… : seul le degré de certitude n’a pas changé. Il suffit de constater que le prix du baril n’a dépassé à nouveau, après les sommets du début des années 1980, celui de 1973 que récemment, pour comprendre que mobiliser à nouveau en arguant du prix élevé ne conduira qu’à la succession de mesures choc d’effet limité dans le temps et de démobilisations durables à quoi l’on a fini par réduire, dans bien des cas, la politique énergétique.
Prendre des décisions et s’y tenir
En étudiant chacun des compartiments de l’action publique et les possibilités d’action des acteurs du marché et de la société, la Commission s’est assez vite forgé une conviction partagée : il ne faut pas compter sur un miracle à venir pour que les problèmes soient résolus sans effort. Au niveau politique collectif, à l’échelle mondiale ou communautaire, la modestie de la part de la France ne la dispense pas de l’assumer comme les autres, même si les autres ne le font pas encore tous. Au niveau des ressources, la variété des niveaux de réserves ne change rien à la nécessité de réduire massivement les consommations. Au plan technologique, la nouvelle source énergétique quasi gratuite, renouvelable, sûre, partagée, qui suppléerait sans dommage, sans gaz à effet de serre et sans déchet à tous les usages combinés du pétrole, du gaz et du charbon, et de l’uranium, n’existe pas, et sans doute n’existera jamais.
Les partisans de tel ou tel développement – le nucléaire de quatrième génération, le photovoltaïque, la refonte de l’espace urbain, le captage et le stockage du CO2… – détiennent tous une part de vérité, plus ou moins importante, mais réelle ; aucun ne peut pour autant raisonnablement prétendre détenir la solution unique. Il faudra aussi que les choix soient cohérents entre eux : pour prendre un exemple, la politique d’orientation des modes de déplacement (qui peut combiner taxation de certains usages et tarifs attractifs pour d’autres) est inséparable de celle des infrastructures (nature, localisation) et des matériels qui sont utilisés – et aucun de ces choix n’est neutre en terme d’emploi, de croissance et d’effets indirects sur l’environnement. Une réflexion globale, une évaluation permanente, une adaptation aux progrès des comportements et des techniques, une approche constante, modeste, déterminée, sont les voies d’un succès possible.
Les pays européens
L’Union européenne doit adopter, pour le répartir entre ses États membres, une approche équitable, dans laquelle les émissions par habitant seraient en 2050 les mêmes dans tous les pays de l’Union européenne. Il en résulterait une division par environ 2,5 des émissions de CO2 en France par rapport à leur niveau de 1990.
Par rapport à ses principaux partenaires européens – Allemagne, Italie, Espagne, Grande Bretagne –, la France a pris une importante avance en matière de limitation d’émissions de CO2 en « décarbonant » avant 1990 presque totalement sa production d’électricité (grâce à la production hydraulique et nucléaire) avant 1990 alors que ces pays dépendent encore très largement, à l’heure actuelle, du charbon et des hydrocarbures pour la produire : les marges de progression dans la réduction des émissions de CO2 dans le secteur de l’électricité ont en France, déjà été largement consommées. Rien ne justifie qu’un citoyen français doive consacrer des moyens économiques démesurés par rapport à ceux consentis par ses voisins pour limiter ses émissions à la moitié de celles d’un citoyen allemand ou britannique.
Des propositions au Gouvernement illustrent les analyses qui précèdent
Au plan national, le rapport s’est attaché à formuler des préconisations de mesures nouvelles, qui sont loin d’être exhaustives, qui ne sont, pour la plupart, pas quantifiées et qui n’ont ni pour but, ni pour effet de supprimer celles existantes qui ont fait leurs preuves. Plusieurs priorités se dessinent, sur l’articulation desquelles il reviendra au Gouvernement et à la représentation nationale de se prononcer. Quelques traits saillants de la réflexion conduite peuvent ici l’illustrer dans les secteurs suivants : la production d’énergie et les transports.
En matière d’offre énergétique, la Commission souhaite que toutes les énergies propres – et d’abord les diverses énergies renouvelables – se développent, au maximum, à un rythme justifié par leur efficacité économique environnementale. Corrélativement, à cette contribution, doit s’ajouter le maintien de l’atout nucléaire ; la réduction de la part nucléaire dans le « mix énergétique » ne pourrait pas être compensé par un accroissement de celle des ENR, déjà poussée à un niveau très élevé. Par ailleurs, l’optimisation de la régulation et des infrastructures de réseau au niveau communautaire doivent faire partie des priorités collectives.
En matière de transport, une stabilisation des émissions ne peut provenir que de la combinaison d’une meilleure maîtrise individuelle des consommations (que l’amélioration de l’offre de transports en commun peut favoriser, ainsi qu’une réglementation plus contraignante) et du développement de véhicules de plus en plus propres, avec l’utile mais non décisif appoint des biocarburants de deuxième génération. Dans ce cadre, le rapport propose une politique extrêmement vigoureuse à mettre en oeuvre très vite. Le rapport propose une hausse des taxes sur les carburants et le rétablissement d'une vignette dont le montant serait calculé en fonction de la pollution de la voiture. Il suggère également une harmonisation à 130km/h de la limitation de vitesse sur les autoroutes européennes pour réduire la consommation de carburant et favoriser la commercialisation de véhicules moins puissants.
À plus long terme, la coordination du développement des infrastructures dans une perspective de lutte contre le réchauffement climatique et la planification des usages de l’espace sont des voies à approfondir, dans la limite où nos sociétés peuvent supporter une pareille orientation des comportements…
L’utilisation des fonds publics doit être optimisée
La recherche doit être soutenue activement, en sélectionnant les voies les plus prometteuses, sans omettre de considérer d’une part les enjeux de concurrence internationale dans ce domaine, d’autre part la future rentabilité des avancées ainsi encouragées. Ne pas croire au miracle technologique ne dispense pas, à l’évidence, d’affecter les moyens nécessaires là où se trouvent les enjeux techniques essentiels. Les actions de recherche nécessaires peuvent être entreprises sans attendre, la compétition mondiale ayant du reste déjà commencé, y compris dans les pays qui se présentent comme les plus réticents vis-à-vis d’une action mondiale concertée. Des progrès, mêmes marginaux en apparence, peuvent, par leur addition, – comme le montrent les progrès de l’industrie automobile – contribuer significativement aux objectifs visés. Dans bien des cas, les ressources publiques seraient mieux utilisées à financer le développement de technologies et leur industrialisation que par un soutien coûteux et prématuré à la mise sur le marché de technologies insuffisamment matures. Plus qu’ailleurs, la constance dans l’effort et l’évaluation constante des priorités et de leurs retombées s’impose. La rareté des fonds publics, l’impossibilité de mobiliser de nouvelles ressources incitent à reconsidérer l’ensemble de la palette d’intervention.
Là où l’incitation ou la contrainte sont nécessaires, celles de nature financière doivent être évaluées au regard de critères communs et leur efficacité réelle analysée en permanence ; à ce titre, la première approche conduite par la Commission sur le coût de la tonne de CO2 évitée révélé par différentes politiques publiques fait apparaître une grande dispersion dans l’efficacité des aides au regard de ce critère et un manque de vision commune, de critères harmonisés et de contrôle des résultats. La réglementation, là où il est aisé de fixer des objectifs simples et quand elle permet à ses destinataires de choisir sur le marché les moyens d’y répondre, s’avèrera souvent la voie la mieux adaptée, surtout si elle est harmonisée (au niveau communautaire au moins). Il convient cependant de bien mesurer les contraintes et les surcoûts qu’elle impose à ceux qui y sont assujettis et éventuellement de les compenser (y compris dans le commerce international). Encore faut-il ne pas se tromper d’objectif et accepter, là aussi, que la durée est nécessaire pour recueillir les fruits d’une politique.
La politique énergétique doit être l’affaire de tous
Il serait illusoire de s’en remettre à une seule instance – mondiale, communautaire, nationale – du soin de définir et conduire une politique dont la multiplicité des formes exclut qu’elle n’incombe qu’à un seul acteur. Le succès ne peut venir que du partage des objectifs, donc d’abord du diagnostic et de l’addition, dans un cadre commun, d’initiatives multiples susceptibles de se développer, sur le long terme, sans subir de changements brutaux de cap de la part des pouvoirs publics. Tous les acteurs sociaux sont concernés – consommateurs, salariés comme citoyens, individuellement ou regroupés en associations, syndicats ou partis, l’État, les collectivités territoriales –, chacun doit prendre part. Le débat démocratique est et demeure nécessaire pour faire face à ces défis.
(Source : Rapport de la Commission énergie, Centre d’analyse stratégique)
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