Fait totalement inédit : depuis septembre, le ministère de l'Intérieur rappelle un peu plus de 5 000 véhicules. Des véhicules qui, après avoir été déclarés dangereux et vendus à la casse par leurs anciens propriétaires, n’ont tout simplement pas été détruits, mais réparés et remis dans la circulation.
La loi, c’est vrai, le permet. Mais encore faut-il respecter des règles strictes, des règles apparemment bafouées par des garagistes et surtout des experts, sans qui tout cela n’aurait jamais été possible.
Notre enquête grand format
On peut alors se demander si le problème ne se limite en France qu’à ces 5 000 véhicules potentiellement toujours dangereux : combien d’épaves sont-elles ainsi mal réparées chaque année ? Sans jeter l’opprobre sur tous les professionnels de ce secteur, on peut s’interroger sur la fiabilité des contrôles existants normalement dans cette filière. Et ce sont finalement tous les propriétaires de véhicules d’occasion, qui ignorent l’historique de leur voiture, qui peuvent aujourd'hui se poser des questions.
Concrètement comment cela se passe pour les propriétaires concernés ? Très mal, parfois. Au ministère de la Justice, on nous confie qu’il faudrait qu’une association agréée s’empare du problème. Ça tombe bien : Familles de France réfléchit sérieusement à lancer ce que l'on appelle une action de groupe. Par solidarité avec les victimes, Caradisiac se propose aussi de participer à la collecte des dossiers (tous les renseignements nécessaires sont à retrouver à la fin de notre article).
Notre enquête en bref
Enquête sur ce rappel de 5 000 véhicules soupçonnés d'être dangereux : nos principales révélations
1 – Moins de la moitié des véhicules rappelés examinés
Selon les tout derniers chiffres communiqués par le ministère de l'Intérieur, organisateur de ce rappel, il n'y a même pas la moitié des 5 000 véhicules rappelés qui ont été pour l'instant contrôlés. Sur « seulement 1 895 véhicules qui ont déjà été examinés, 707 ont encore été déclarés VGE [« véhicules gravement endommagés »], c'est-à-dire pas en état de rouler », indique Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la Sécurité routière, à Caradisiac. C'est donc 37 % qui se révèlent être toujours dangereux !
Pour lui, ce rappel était tout simplement « une question de vie ou de mort ». Les autorités se préparent maintenant à relancer les propriétaires qui n'ont toujours pas pris rendez-vous pour faire expertiser leur voiture. « On est en train d'étudier les mesures qui pourront être prises le cas échéant contre ceux qui n'ont pas pris contact », précise Emmanuel Barbe. Risquent-ils de voir leur carte grise bloquée en préfecture, ce qui reviendrait à leur supprimer le droit de circuler avec leur auto ? Quand nous avons interrogé la Sécurité routière, elle a préféré botter en touche. Mais cette sanction paraît effectivement à l'étude.
2 – Cinq experts « voyous » à l'origine de cette affaire
C'est une enquête de police sur un trafic de pièces détachées (autrement dit des pièces volées) qui a révélé toute cette affaire. Trois épavistes de l'Essonne sont accusés d'être au cœur de ce trafic. Ils se seraient servis de ces pièces pour réparer, sans respecter la procédure, des véhicules déclarés dangereux (soit VGE) ou économiquement irréparables (VEI dans le jargon des professionnels). Grâce à la complicité de cinq experts du Val d'Oise, qui ont signé de faux certificats de conformité, ils ont pu récupérer une carte grise valide pour ces épaves. Les voitures pouvaient alors de nouveau circuler et être revendues sur le marché de l'occasion...
Au total, l'enquête a porté sur 140 véhicules réparés par ces trois professionnels, mais seuls 36 ont été retenus dans le cadre du procès qui s'ouvrira le 22 mars prochain au tribunal Correctionnel d'Evry, et devant lequel 11 personnes sont citées à comparaître pour escroquerie en bande organisée.
D'où sortent alors les 5 000 véhicules en ce moment rappelés par le ministère de l'Intérieur ? Ils représenteraient l'ensemble des véhicules vus ces dernières années par les cinq experts incriminés dans l'affaire du procès d'Evry. Au ministère de la Justice, on nous assure cependant que l'instruction étant close, il n'est plus possible de se constituer partie civile.
3 – Des victimes peu informées
Quand leur véhicule est encore détecté dangereux, le montant de la facture varie de quelques centaines à plusieurs milliers d'euros. Pour les cas rencontrés au cours de notre enquête, la note oscille ainsi entre 400 et 6 000 euros. Des réparations non couvertes par l'assurance... Qu'est-ce qui est alors proposé aux victimes qui souhaiteraient agir en justice ? Officiellement, pas grand-chose...
L'avocate Caroline Tichit suit déjà plusieurs dossiers. Des associations s'interrogent également sur l'opportunité de lancer une action de groupe. Familles de France y réfléchit, avec le soutien de la Ligue des Droits de l'Assuré (LDDA), et aussi CGA2R (Groupe conseil auto-réparation responsable), la nouvelle association dont elles font toutes deux partie pour accompagner les automobilistes quand ils ont besoin de faire réparer leur voiture.
En attendant d'y voir plus clair, il est évident en tout cas que les victimes ne disposent pas de toutes les cartes pour pouvoir correctement se défendre : manque d'information sur les recours possibles en justice, difficultés pour déposer plainte auprès des commissariats et/ou des brigades de gendarmerie. Notre enquête révèle que c'est un véritable parcours du combattant qui attend les victimes.
La solution serait de déposer plainte directement auprès du procureur de la République de son domicile ou de celui de Pontoise, puisque c’est sur cette juridiction que sont installés les cinq experts incriminés. Mais le mieux, nous dit-on à la Chancellerie, serait que les victimes se rassemblent pour déposer plainte en même temps, d’où l’intérêt pour elles du lancement d’une action de groupe.
4 – Les expertises organisées dans le cadre du rappel officiel seulement partielles et peu protectrices pour les victimes
Le souci surtout, c'est que ces expertises telles qu'elles sont organisées sont peut-être une réponse d'un point de vue strict de la sécurité routière, mais juridiquement, elles ne seraient pas valables. Au point, se demande l'avocate Caroline Tichit, de déconseiller aux victimes de suivre la procédure officielle, et « d'organiser plutôt à leurs propres frais une expertise contradictoire amiable, en convoquant au minimum le vendeur de leur véhicule ».
En outre, les expertises organisées par les autorités sont uniquement visuelles, sans démontage. Sont-elles suffisantes pour évaluer correctement la dangerosité des véhicules rappelés ? Des propriétaires et des professionnels rencontrés au cours de notre enquête s'interrogent...
Le hic, c'est que l'expertise organisée dans le cadre du rappel officiel est prise en charge le plus souvent par les assurances. Or, organiser une expertise contradictoire, donc plus poussée, à ses propres frais, cela revient à devoir débourser au moins 500 euros. Sans compter les éventuelles réparations qui se révéleront nécessaires si le véhicule est jugé dangereux...
5 – Les assurances en partie responsables
C'est au cœur de l'été dernier que le rappel inédit des 5 000 véhicules potentiellement toujours dangereux a été décidé par le ministère de l'Intérieur. Experts et assurances ont été invités à se mettre autour de la table. Pour finir, les grandes sociétés d'assurance et les mutuelles ont accepté de prendre en charge les frais d'expertise de leurs assurés, pour un montant forfaitaire de 360 euros. Pas de problème ainsi avec les grandes enseignes, mais avec les petites... Des courtiers, comme Protegys par exemple, refusent de payer selon notre enquête.
Il faut dire que, comme le dénonce Jean Pringault de la LDDA, « les assureurs portent dans cette affaire une part de responsabilité puisque ce sont eux qui vendent les épaves. Ils les vendent soit aux enchères soit par contrat, mais de toute façon, ces véhicules sont vendus beaucoup plus cher qu'ils ne valent en réalité, ce qui ne permet pas à celui qui les répare de faire les travaux dans de bonnes conditions ».
Malgré cette affaire, il est en tout cas peu probable que la législation évolue. Des véhicules déclarés dangereux et/ou économiquement irréparables (VGE et/ou VEI), vendus à la casse, pourront toujours se retrouver dans la circulation, après avoir été réparés, dès lors qu'ils sont suivis par un expert.
6 – 80 % des 5 000 véhicules rappelés immatriculés en Ile-de-France
C'est en région parisienne que se concentre le problème. Cinq garages ont ainsi été sélectionnés autour de la Capitale pour faire passer les expertises, à raison de six par jour, du lundi au vendredi, depuis le 21 septembre.
Pour nous contacter
Les victimes peuvent nous transmettre leur dossier que nous ferons suivre aux associations qui souhaitent lancer une action de groupe, via notre formulaire en ligne (choisissez "Rédaction en chef" dans le menu déroulant) ou par courrier à l'adresse suivante :
CARADISIAC
"Affaire des 5000 véhicules dangereux"
22, rue Joubert
75009 PARIS
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