Question de droit 

« Le Groupe [Atos] a contesté par le biais d’un référé précontractuel la décision de l’administration française de ne pas renouveler avec Worldline [une de ses filiales] le contrat de traitement automatisé des infractions routières ». Mais un recours qui a échoué, a reconnu il y a quelques jours Atos dans un communiqué. Concrètement, de quoi s’agit-il ?

 

La réponse de Caradisiac en bref

Pour la première fois depuis l’apparition des radars automatiques en 2003, ce n’est pas le groupe Atos, dirigé par l'ancien ministre de l'Économie et des Finances, Thierry Breton, que l'État a choisi pour gérer tout le système informatique de ce contrôle automatisé. C’est l’entreprise Capgemini qui lui a été préférée, fin octobre. Il faut dire que, selon nos informations, l’écart de prix entre les deux est énorme : l'offre de Worldline, la filiale d'Atos, s'élève ainsi « à 63,5 millions d'euros, quand celle de Capgemini est de seulement 24,6 millions ! », commente pour nous un observateur proche du dossier.

Et c'est justement en s'appuyant notamment sur cet « écart de prix important » qu'Atos a considéré que l'administration n'avait pas respecté ses obligations de mise en concurrence et a donc décidé de déposer ce que l'on appelle un « référé précontractuel » devant le tribunal administratif de Paris pour contester la passation de ce marché public. Requête toutefois rejetée par une ordonnance datée du 26 novembre.

De l'aveu même d'Atos, tout n'a pas été cependant perdu dans cette procédure. La décision du tribunal administratif « devrait avoir un impact limité en 2016 sur l’EBO* du groupe Worldline, du fait de la prolongation nécessaire des prestations existantes et des activités additionnelles liées à la reprise du contrat par un tiers », fait-il ainsi valoir dans un communiqué. En clair, cette stratégie lui permet de repousser l'échéance de son départ effectif de Rennes. Et entre ça et la reprise de l'existant, c'est carrément un an de gagné !

*EBO pour « Excédent brut opérationnel » que l’on pourrait définir comme le résultat avant impôts de l’entreprise.

 

Si vous souhaitez approfondir le sujet...

Les arguments officiels d'Atos

pour contester l'attribution du marché à Cap

Selon la SSII de Thierry Breton, l'offre de Capgemini apparaissait de fait comme « anormalement basse », ce qui aurait dû conduire le ministère de l'Intérieur - en l'occurrence l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai) qui gère pour lui ce marché - « à demander des précisions supplémentaires » (en vertu de l'article 55 du code des marchés publics). Ce que l'Antai n'a donc pas fait... D'où ce « référé précontractuel » déposé le 9 novembre devant le tribunal administratif de Paris, mais que ce dernier a rejeté le 26...

Reste que « l’exercice du référé précontractuel suspend automatiquement la procédure de passation », nous explique un représentant du tribunal en question. Du coup, « le contrat ne peut pas être signé à compter de la saisine du juge, et jusqu’à la notification (…) de la décision juridictionnelle ». Selon des témoins, « c'est un bon mois de plus qu'Atos a ainsi remporté », en déposant sa requête. Ajouté « à ce qu'il a obtenu en négociant au prix fort l'allongement de la réversibilité de trois à six mois », c'est carrément une année supplémentaire de gagnée avec cette stratégie.

Une contestation qui a échoué

mais qui reste payante

Initialement, le marché dit CNT4* devait débuter le 15 novembre dernier. Et si une entreprise, autre qu'Atos, était choisie, celle-ci devait rester à ses côtés durant les trois premiers mois du contrat. Depuis longtemps, on savait en interne que ce délai de trois mois n'était pas suffisant pour assurer un bon passage de relais. Un délai plus long aurait carrément dû être négocié lors de la passation du marché précédent, le CNT3, en 2011.

Mais, pour finir, c'est seulement durant l'été dernier que les discussions se sont engagées avec Atos sur ce point. Et ce alors même que le groupe ne faisait déjà plus figure de favori pour le futur marché. Les révélations, parues dans L'Express, sur un rapport interne très critique à propos de la gestion de ces marchés publics – tous attribués jusque-là à Atos –, laissaient supposer en effet que son renouvellement, une cinquième fois consécutive, serait des plus délicats. « On peut d'ailleurs douter qu'il n'ait jamais eu vraiment envie de l'emporter, vu le peu d'effort qu'il a consenti sur ses prix très élevés et alors qu'il se savait ne plus être favori », nous confie un fin connaisseur du dossier.

Pour autant, comment expliquer un tel écart de prix entre Capgemini et Atos ? Même avec la troisième entreprise qui concourrait sur ce marché, la différence est conséquente : toujours selon nos informations en effet, l'offre d'IBM se situait autour de 40 millions d'euros... Le double de celle de Capgemini ! Comment ne pas se poser de questions ? Devant le tribunal administratif, l'Antai a fait valoir qu'il n'y avait pas lieu de faire usage de l'article 55 du code des marchés publics pour réclamer des « précisions supplémentaires » à Capgemini, car, selon elle, ses prix moins élevés tenaient tout bonnement « à son offre innovante »... « Ah, c'est bien connu, l'innovation, ça coûte moins cher ! », ricane-t-on depuis, en coulisses.

Un changement qui s'annonce délicat

Bien des témoins prédisent qu'Atos Wordline ne facilitera pas l’arrivée de Capgemini, et en interne, on s'attend d'ores et déjà à des ratés, à l'image de ce qui avait pu se produire en 2013, quand le ministère de l’Intérieur avait fait le choix de changer d'entreprise pour l'entretien des radars automatiques. Le prestataire historique, la société Spie, avait alors été évincé au profit de deux concurrents Satelec (du groupe Fayat) et Ineo Infracom (du groupe GDF Suez). La disponibilité des automates s'était dès lors effondrée, et des centaines d’équipements s’étaient retrouvés hors service durant plusieurs mois.

Que le nombre de PV chute fortement en 2016, cela reste à confirmer. Le contrat remporté par Capgemini prévoit une volumétrie annuelle de 40 millions de messages d’infraction à traiter au Centre national de Traitement (CNT) de Rennes : 20 millions pour les radars et autant pour les procès-verbaux électroniques (PVe). Affaire donc à suivre...

 

* Ce n'est pas le quatrième, mais en fait le cinquième contrat qui est passé depuis 2003 pour gérer le Centre National de Traitement (CNT) des PV automatisés, basé à Rennes. Il y a eu ainsi CNT0 (en 2003), CNT1 (en 2004), CNT2 (fin 2007), CNT3 (fin 2011), puis bientôt CNT4 (à compter a priori du 15 décembre 2015, au lieu du 15 novembre).