80 sur route, pourquoi on n'y échappera pas
S'il y a un reproche que l'on ne peut faire à ce projet de réforme, c'est de taper à côté de la plaque. Au contraire, il est en plein dedans, les départementales où l'on déplore les deux tiers des victimes de la route.
L'ennui, c'est qu'il y a en France 900 000 kilomètres de routes départementales potentiellement concernées par le 80 km/h, dont au moins 850 000 km où le respect de la limitation ne relève que de la bonne volonté. Je ne vois pas comment on pourrait y accroitre la présence des forces de l'ordre, actuellement proche de zéro virgule un.
Même avec les fameuses 450 voitures radar circulant en 2X8, la probabilité d'y perdre un point - récupérable en six mois - restera infime ou au moins trop faible pour y changer quoi que ce soit.
Bref, si comme le disent les sondages, entre les deux tiers et les trois quarts des Français sont opposés à cette réduction de 10 km/h, je ne vois pas bien ce qui les contraindrait à lever le pied. On peut même craindre une augmentation des différentiels de vitesse - et donc des dépassements - entre ceux qui respecteront la nouvelle règle et ceux qui ne respectaient déjà pas l'ancienne.
80 km/h partout : et pourquoi pas 70 km/h parfois
Ne serait-il pas préférable d'augmenter le nombre de tronçons à 70 km/h ? Il y en a déjà beaucoup, il pourrait y en avoir bien plus, là où c'est nécessaire. Nous connaissons tous des routes limitées à 90 où rouler à 80 km/h, c'est déjà trop. Les limiter à 70 serait légitime et respecté. Ce qui aurait permis de laisser à 90 km/h les grandes routes de plaine, celles où l'on voit un tracteur à deux kilomètres, un cycliste à 500 m et où tenir un petit "100 compteur" est déjà éprouvant. Mais je me suis déjà exprimé sur le sujet.
Le 80 km/h partout, ça m'enquiquine et je reste poli. Ca m'enquiquine d'autant plus qu'il s'avère que l'expérimentation réalisée sur plusieurs portions de route a été bidonnée par des aménagements routiers. C'est d'ailleurs pour cela que ses conclusions ne seront pas publiées. Et pourtant, je n'arrive pas à signer ces pétitions que l'on voit sur le web. J'en soupire d'avance de devoir me trainer à cette vitesse, je veux bien même parier que cela n'aura pas l'effet escompté sur la mortalité - 400 morts de moins, rien que ça. Mais qui peut prédire que la fin du 90 km/h n'épargnera pas vingt, cinquante ou cent vies. Qui peut dire qu'elles n'en valent pas la peine.
Des arguments éculés
Mais ce qui retient vraiment ma signature, c'est de voir ressortir cette litanie d'arguments éculés contre les limitations de vitesse. Je veux bien signer une pétition titrée "Fichez-nous la paix" avec un argumentaire sincère et honnête comme :
1/ 90 km/h, c'est déjà pas très marrant, alors 80 km/h...
2/ 90 km/h chrono, avec la marge de tolérance, c'est 100 au compteur. L'expression "cent à l'heure" fait partie du patrimoine de la langue française. "quatre-vingt-dix à l'heure" sonne moins bien et on ne sait jamais où placer les tirets.
3/ Dépasser un camion limité à 80 nous procure le plaisir de l'accélération et décrasse nos moteurs conçus pour rouler à de toutes autres allures. La propreté des moteurs et le plaisir de l'homme sont des enjeux de santé publique.
Ca aurait une autre gueule que le baratin fatigué ressorti pour l'occasion. Petit florilège, lu et entendu.
- "On ferait mieux de lutter contre l'alcool et les stupéfiants". Certes, mais ceci n'empêche pas cela. On ne roulera pas plus imbibé ou camé qu'avant et avec 1,2 g d'alcool par litre de sang, on est moins dangereux à 80 qu'à 90...
- Rouler moins vite augmente le risque de somnolence. Avec un tel argument, il faudrait laisser chacun conduire à la vitesse qui le stimule. Si on s'endort à 80, on ne pète pas le feu à 90. Et si conduire une voiture vous endort, achetez une moto.
- "Changer les panneaux coutera 12 milliards d'euros." Et pourquoi pas 300 milliards ? Et aussi fondre la tour Eiffel et le pont de Tancarville pour les fabriquer?
- "On ne pourra plus passer la 6 ème et donc on consommera plus." L'optimum de consommation sur une voiture moyenne se situe autour de 70 km/h. On consomme moins en 5 ème à 80 qu'en sixième à 90, une allure qui, soit dit en passant, frise le sous régime sur ce rapport.
- "Les camions roulant déjà à 80, ça va provoquer des ralentissements." Des ralentissements à 80 km/h alors, mais il semblerait que ce soit précisément le but recherché... Le vrai souci, c'est qu'il faudra prendre le risque du PV pour ne pas se faire enfumer par le camion qui tousse un peu trop gras. Mais honnêtement, on ne le prenait pas déjà avant.
- "La France va y laisser 2% de PIB." En perdant moins de 5 mn par 100 km ? Des rendez-vous client en moins pour les technico-commerciaux ? Des heures sup pour les livreurs ?
- "Ca ne réduira pas le nombre d'accidents, juste un peu leur gravité." J'ai la flemme de rechercher la différence des distances de freinage à 80 et à 90 km/h, mais ça doit être dans les 10 ou 12 mètres sur sol sec, la longueur d'un beau camion. Et d'après une certaine loi de la physique où il est question de carré de la vitesse, cette baisse de 11% de la vitesse doit entrainer une baisse voisine de 20 % de la violence d'une collision.
Dix kilomètres heure, ça peut aussi être ce qui sépare le simple dérapage de la sortie de route, le simple écart de trajectoire du choc frontal, le cycliste aperçu à temps du cycliste percuté, l'accident matériel du corporel, le corporel du mortel. Environ 1/3 des accidents mortels sur départementales se produisent sans tiers en cause. Et pas uniquement à cause de l'alcool et des stupéfiants.
- "On confond vitesse excessive et excès de vitesse." Passez moi l'aspirine et expliquez moi en quoi on ne combat pas les vitesses excessives en réprimant les excès de vitesse. Et réciproquement aurait dit Pierre Dac.
- "Ceux qui ne respectaient pas le 90 ne respecteront pas le 80." Ca, c'est bien vrai et votre serviteur le premier ! Pour ne pas perdre plus d'un point et 45 €, je ne dépasse (presque) jamais un petit 110. Je vais donc descendre d'un cran et ne (presque) plus pointer à plus de "cent à l'heure" et ça ne devrait pas trop affecter ma joie de vivre.
Une mesure médiatique ?
On reproche aussi à cette mesure d'être avant tout médiatique. Vu les vagues qu'elle fait dans les milieux auto et moto, ça pourrait plutôt être sa principale qualité.
Fin 2002, les vitesses moyennes sur tous les réseaux avaient brutalement diminué à l'annonce des radars automatiques, un an avant même la pose du premier d'entre eux. Pendant tout un hiver et au printemps encore, on mangeait de l'insécurité routière à tous les JT, à la radio et dans les journaux, à la sauce gendarme ou hôpital, avec du fauteuil roulant, du permis annulé, de la carcasse broyée et des parents éplorés. Une indigestion, mais avant même le premier flash, la fameuse "tolérance zéro" de Nicolas Sarkozy avait fait remonter les pieds droits.
Notons au passage que cette baisse spectaculaire des vitesses moyennes constatées s'était accompagnée d'une chute historique du nombre de tués.
Mais il parait que ça n'avait aucun rapport...
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