80 km/h, la cause des femmes ?
Il est tout de même curieux de n'entendre que des hommes s'opposer au "80 km/h". Et si la réduction de la vitesse sur route témoignait de la montée en puissance des femmes et de leurs valeurs dans notre société ?
C'est une révolte masculine. Dans les manifestations contre le 80 km/h, sur les forums auto et moto, dans les commentaires des sites d'information, à 40 millions d'automobilistes comme chez les Motards en colère, dans les automobile clubs ou les associations de défense des conducteurs, on ne voit et n'entend que des hommes. Je ne dis pas que les femmes y sont favorables, juste qu'on ne les entend pas.
Je constate aussi qu'en dehors des politiques et fonctionnaires bien obligés d'endosser les arguments du ralentissement obligatoire, les rares déclarations en faveur de la mesure viennent de femmes.
De fait, les grandes voix de la défense des conducteurs ont toujours été masculines. Et féminines celles de la Sécurité routière ou du parti des victimes de la route, de Geneviève Jurgensen à Chantal Perrichon en passant par Christiane Cellier et Jehanne Collard. Il faut noter au passage que ces noms ont souvent, ici même, attiré l'injure sexiste et j'ose espérer que les commentaires en bas de cette page y échapperont.
Sécurité, attention à autrui, défense des plus faibles...
Faut-il en conclure que le 80 km/h, c'est la victoire du point de vue des femmes sur la route ? Pour moi, oui, clairement, et cette victoire-là a sa source aux mêmes principes et valeurs que bien d'autres ayant contribué à faire évoluer notre société.
Il ne s'agit pas d'assigner altruisme et prudence aux femmes et goût du risque et cynisme aux hommes, simplement de constater que civilisation rime avec féminisation. Et cette féminisation porte ses priorités à la sécurité, l'attention à autrui, la défense des plus faibles.
Bref, tous ces machins que l'on recoupe sous le vocable anglais "care" (soin, attention), que nous les hommes trouvons très nobles, très dignes de considération, nécessaires au progrès, tout ça-tout ça, mais qui au fond nous em... euh, nous enquiquinent. Parce qu'ils mettent le bâton dans les roues du monde tel que nous le concevons et le dirigeons depuis au moins 50 siècles.
Pensons à ce que serait ce monde s'il avait été, depuis ces 50 siècles, dirigé par les femmes, aussi totalement et radicalement qu'il l'a été par les hommes. Pensons-y vraiment...
Ça donne le vertige, hein ? Pas de guerre, de massacre, de chasse à courre, de poker, de Grand Prix de F1, de virées dans les bars. Resteraient la pêche au gardon, le bricolage et le jardinage pour occuper nos week-ends.
Blague à part, comme beaucoup d'hommes - et je pense la plupart - la parité et l'égalité parfaites me semblent parfaitement naturelles et évidentes. Je ne vois pas au nom de quoi nous continuerions à donner le la sur cette planète ou à gagner 15 % de plus que nos compagnes. Au nom de nos talents de chasseur de mammouth ?
Eh bien, accrochez-vous à ce que vous avez sous la main : cette égalité parfaite est en train d'advenir. En signant la fin définitive de l'omerta sur le harcèlement sexuel, la campagne "balance ton porc" avec ses scandales et ses affaires est la dernière marche, sans doute la plus haute et sûrement la plus glissante, qu'avaient à gravir les femmes. Tout le reste suivra, à commencer par le pouvoir et les salaires.
Qu'est ce qu'un risque acceptable ? Et qui en décide ?
J'en suis à la fois satisfait et inquiet. Satisfait pour ma compagne et mes filles, satisfait en tant qu'homme. Inquiet car il ne s'agira pas seulement d'arrêter de raconter des blagues de blonde.
Je crains que le balancier que nous lâchons enfin, bon gré mal gré, ne reparte trop loin dans l'autre sens, qu'il n'entraîne l'éradication du risque et de toutes les valeurs dites "viriles". Ce qui nous ramène au 80 km/h.
Je m'explique.
Il est indiscutable que les routes seraient moins dangereuses si tout le monde y circulait 10 km/h moins vite. Il est tout aussi incontestable qu'elles le seraient encore moins si l'on n'y dépassait pas les 60 km/h. Et a fortiori les 30 km/h.
Où placer le curseur ? Quelle est la vitesse "nécessaire" ? Et quel est le risque acceptable ? Et d'abord, qu'est ce qu'un risque acceptable ? Et surtout, qui en décide ?
Récemment, dans un dîner en ville, je m'inquiétais de voir la moto bientôt disparaître. Cela a commencé il y a déjà longtemps par la raréfaction des gamins seuls à vélo. Puis, il y a vingt ans, les ventes de cyclo ont commencé à s'effondrer, suivies, il y a dix ans, de celles de 125. Aujourd'hui l'acheteur de moto neuve a plus de 45 ans en moyenne et ne parcourt que 3 000 km/an. La moto, ce véhicule instable que l'on chevauche sans réelle protection n'est déjà plus un risque acceptable, hormis pour une minorité de seniors nostalgiques de leur jeunesse rock’n’roll. Sentant mes interlocuteurs assez peu émus par cette affirmation, j'ajoutais qu'après la moto, ce serait au tour de l'auto. Car après l'avènement de la voiture autonome, il ne sera plus concevable de laisser un être humain diriger un engin d'une tonne à une vitesse qui lui confère la puissance destructrice d'un obus de canon. La société interdira pareille folie. Je conclus en disant que je ne savais pas ce qu'il fallait en penser, mais qu'une grosse part de notre liberté disparaîtrait avec le volant et le guidon, que l'expression "avoir son destin en main" n'aurait plus tout à fait le même sens.
A ces mots, les hommes prirent des mines sombres, évoquèrent le plaisir de conduire, le sentiment de liberté que cela leur procure, la joie simple d'une pointe de vitesse, le frisson d'une franche accélération, affirmèrent que la voiture autonome, ils n'en voulaient pas. Les femmes les regardaient comme de grands enfants, aucune de celles présentes ce soir-là ne voyait où était le problème, ni en quoi cela pouvait rogner notre liberté ou affecter notre joie de vivre.
Et on parla d'autre chose.
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