80 km/h : un jackpot assuré pour les radars automatiques ?
Stéphanie Fontaine , mis à jour
La grande critique avancée pour contester le bien-fondé de la mesure sur l'abaissement de la vitesse autorisée sur le réseau secondaire, en passe d'être adoptée par le gouvernement, est qu'elle sert surtout à multiplier les amendes, et ainsi à renflouer les caisses de l'État. Que sait-on exactement des trois tronçons expérimentés durant deux ans ? Pour ce qui est de l'accidentologie, pas grand-chose en effet. En revanche, une certitude : selon les statistiques récupérées par Caradisiac, c'est le jackpot systématique pour les cabines installées sur ces trois itinéraires, avec quatre fois plus de PV !
Ça marche à tous les coups ! Sur les trois tronçons concernés par l'expérimentation du 80 km/h depuis 2015, les quatre cabines implantées ont vu leurs chiffres s'envoler (voir notre tableau ci-dessous)… Et pas qu'un peu ! Leurs statistiques ont plus que doublé dès la première année, alors que la vitesse n'avait été modifiée qu'à partir de l'été, et en 2016, elles ont continué à fortement progresser.
Les statistiques des 4 cabines où le 80 km/h est expérimenté
Les 4 radars fixes / nbre d'infractions enregistrées |
2014 | 2015 | 2016 | L'augmentation entre 2014 et 2016 (%) |
Dans l'Yonne (89), tronçon de 49 km expérimenté entre Auxerre et Varzy (Nièvre) : - Merry-Sec sur la N151, installé le 25 juin 2005 |
161 | 340 | 930 | 477,6 % |
En Haute-Saône (70), tronçon de 14 km expérimenté entre Vesoul et Besançon : - Quenoche sur la RN57, installé le 1er août 2012 |
573 | 1 159 | 2 109 | 268,1 % |
Dans la Drôme (26), tronçon de 18 km expérimenté entre Gervans et Bourg-lès-Valence : - Chateauneuf-sur-Isère sur la RN7, installé le 20 février 2007 |
2 352 | 5 700 | 9 855 | 319,0 % |
- La Roche-de-Glun sur la RN7 installé le 12 juillet 2007 |
624 | 1 639 | 2 149 | 244,4 % |
Total |
3 710 | 8 838 | 15 043 | 305,5 % |
Selon les statistiques officielles communiquées par le ministère de l'Intérieur
Quatre fois plus de PV !
En tout, les quatre cabines ont ainsi enregistré quatre fois plus d'infractions en 2016 - année pleine pour cette expérimentation - par rapport à 2014 - dernière année complète durant laquelle la vitesse était encore à 90 km/h à leur hauteur. Certes, tous ces flashs n'ont pas été transformés en de véritables PV. Mais on peut tout de même facilement l'estimer. Et selon nos calculs, cela a ainsi dû correspondre à quelque 8 000 avis de contravention envoyés. Soit un surplus de recettes que l'on peut évaluer à 360 000 euros, pour seulement 4 radars fixes, en une seule année !
Il paraît ainsi évident, que l'abaissement généralisé de la vitesse autorisée sur l'ensemble des routes bidirectionnelles du réseau secondaire va aussi rapporter gros à l'État. Surtout au moment, où la conduite des voitures-radar doit être confiée aux entreprises privées, afin d'accroître leur utilisation… De là à en déduire que cette mesure serait adoptée pour cette raison, et surtout cette seule raison, cela paraît tout de même disproportionné.
Aucun résultat détaillé de l'expérimentation du 80 km/h…
Est-on alors sûr que cet abaissement améliorera l'accidentologie sur le réseau secondaire français ? Cela reste bien sûr à confirmer, mais si la mesure est largement respectée, il paraît évident qu'elle aura des effets positifs sur la mortalité routière. "Je ne le nie pas", reconnaît d'ailleurs bien volontiers Nadine Wantz, maire de Rioz, l'une des villes concernées par l'expérimentation du 80 km/h en Haute-Saône, "mais il y avait d'autres mesures à mettre en place, en tout cas en ce qui nous concerne sur la Nationale 57, avant d'en arriver là !"
Depuis la mise en place de l'expérimentation à l'été 2015, "quelques aménagements que nous réclamions depuis longtemps avec les autres maires des villes alentours, ont fait leur apparition, comme des bandes d'évitement pour permettre les arrêts en toute sécurité sur le bas-côté. Mais à part cela, il reste encore beaucoup à faire", nous a aussi précisé Nadine Wantz. À l'entendre, ces aménagements restent ainsi largement insuffisants, et l'abaissement de la vitesse n'y change rien.
Cela pose surtout un tout autre problème : comment se fait-il que ce tronçon ait pu être concerné par des travaux de voirie susceptibles d'impacter directement les résultats de l'expérimentation en cours ? Avant l'annonce en fin de journée, ce mardi, du nouveau plan de mesures de la Sécurité routière par le Premier ministre, qui devrait entre autres entériner cette généralisation du 80 km/h, Caradisiac s'est ainsi penché minutieusement sur cette expérimentation. Mais le constat est sans appel : ni avant, ni pendant, il n'y a eu d'information détaillée sur l'accidentologie de ces trois tronçons choisis ! Et les acteurs locaux n'ont pas plus été tenus au courant.
... Même dans la lettre d'Édouard Philippe aux sénateurs
Les quelques précisions d'Édouard Philippe, dans sa lettre adressée aux sénateurs lundi, et révélée par BFMTV, ne changent rien à l'affaire. Voilà très précisément ci-dessous ce que le Premier ministre leur indique :
Il n'apporte ainsi aucun détail, tronçon par tronçon, et se limite à communiquer des généralités, difficilement vérifiables. À force d'investigation, Nadine Wantz a fini par connaître l'accidentologie enregistrée avant 2015 de son seul tronçon de Haute-Saône, entre Vesoul et Besançon : aucun mort et 3 blessés en 2013, un tué et deux blessés en 2014. Et depuis ? "Impossible de le savoir", confirme la maire de Rioz. "On m'a même fait comprendre que si on ne voulait rien nous dire, c'est parce que le bilan était mauvais !". Il faut dire que les chiffres sont catastrophiques pour tout le département en 2017, avec 33 morts, contre 10 "seulement" en 2016.
Même son de cloche dans l'Yonne et la Nièvre, pour ce qui est des 49 kilomètres testés avec le 80 km/h sur la Nationale 151. "On n'a jamais eu aucune précision, mais en ce qui nous concerne, on nous a plutôt laissé entendre que les résultats étaient positifs", nous rapporte Claudine Boisorieux, la maire de Clamecy (Nièvre).
L'alcool et le portable également visés ?
Parmi les autres mesures qui pourraient être annoncées lors du Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) cet après-midi, il y aurait aussi un durcissement des sanctions en cas d'utilisation du téléphone au volant et d'alcoolémie. Dans le premier cas, on parle de suspension de permis de conduire en cas de récidive, et de l'obligation de faire installer un éthylotest antidémarrage dans le second. Pour ce qui est du portable, cela reste tout de même peu probable puisque la récidive n'existe pas en matière contraventionnelle.
Mais on sera vite fixé. Rendez-vous sur Caradisiac pour tous les détails en fin de journée !
À lire pour en savoir plus :
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