Routes à 80 km/h : le rapport de l'expérimentation est enfin publié mais zappe l'essentiel
Attendu et réclamé depuis des semaines, le bilan du test sur plusieurs portions de nationales a enfin été rendu public. Mais il se focalise sur des mesures de vitesses et n'évoque aucunement le bilan de l'accidentalité.
En juillet 2015, l'État a lancé une expérimentation de la baisse de la limitation de vitesse de 90 à 80 km/h sur trois tronçons de routes nationales. Et qui dit expérimentation, dit bilan officiel pour valider une généralisation. Mais le gouvernement a zappé cette étape et a décidé d'imposer les 80 km/h sur l'ensemble du territoire au 1er juillet 2018.
De quoi agacer les opposants à la mesure, qui estiment que sans rapport il n'y a aucun fondement scientifique, et transformer cela en affaire politique : de nombreux sénateurs ont réclamé le bilan, leur Président Gérard Larcher allant jusqu'à lancer à la télévision un appel au Premier Ministre.
Miracle, près d'un mois après l'officialisation de la mesure, le tant attendu document a été publié. Il a été rédigé par le Cerema, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement. Après avoir rappelé les fondements de l’expérimentation et sa méthodologie pour les mesures, le Cerema détaille en longueur les résultats à propos des vitesses moyennes relevées.
Dans l'ensemble, pour les véhicules légers, la vitesse moyenne est passée de 86,0 à 80,9 km/h. Une donnée est aussi communiquée pour les véhicules légers dits libres, c’est-à-dire pour lesquels le véhicule qui précède est assez loin (4 secondes d'écart minimum), ce qui n'influence pas leur allure. Pour cette catégorie, la vitesse moyenne est passée de 88,9 à 83,5 km/h. Pour les poids lourds, pas concernés car déjà limités à 80 km/h, c'est passé de 79,5 à 76,5 (là, rien ne dit si c'est un ralentissement volontaire ou imposé par la baisse d'allure des voitures). Dans l'ensemble, la vitesse moyenne a reculé de 4,7 km/h.
Autre point positif, que l'État utilise comme argument pour justifier la baisse : la mesure semble avoir fluidifié la circulation, car la proportion de camions qui ne sont pas suivis directement par des autos a augmenté, passant de 52,1 à 56,1 %.
En revanche, le rapport montre que le taux de non-respect de la limite en vigueur a augmenté. Pour les véhicules légers libres, 35 % ont dépassé la vitesse de 0 à 10 km/h en mai 2017, contre moins de 30 % en juin 2015. Entre 10 et 20 km/h d'excès, c'est passé de 10 à près de 15 % et pour les plus de 20 km/h, de 5 à quasiment 10 % !
L'énorme problème avec ce rapport, c'est qu'il n'y a que des analyses de vitesse. On ne trouve aucune trace d'un bilan de l'accidentalité, avec un nombre de morts et de blessés. Emmanuel Barbe, délégué général à la Sécurité Routière, a d'ailleurs reconnu que l'expérimentation a été trop courte pour cela. Dommage, vu que la réduction de la mortalité est le principal objectif de la mesure, et que rien ne vient le démontrer ici.
Le rapport ressemble à une tentative d'enfumage. Sa conclusion phare est : "La vitesse limite autorisée a une incidence significative sur les vitesses pratiquées. À une baisse de la vitesse limite autorisée correspond une baisse des vitesses pratiquées." C'est évidement vrai, prouvé par des mesures... mais tellement logique que cela devient risible. C'est évident qu'en demandant aux conducteurs de rouler à 80 au lieu de 90, on va baisser la moyenne.
Mais pour l'État, la simple mesure de la vitesse moyenne suffit à tout justifier, car tout son raisonnement se base sur un postulat simple : moins de vitesse = moins de morts. Emmanuel Barbe l'a d'ailleurs dit clairement lors de son audition au Sénat fin janvier : "Ce que nous recherchions avec cette expérimentation, c'est de déterminer si elle avait un impact sur la vitesse moyenne. Or, comme vous l'a déjà annoncé le Premier ministre, c'est ce qui s'est passé, avec une baisse de 3-4 % de la vitesse moyenne sur ces tronçons. Et c'est tout ce qui nous intéresse, puisque comme déjà dit une baisse de la vitesse moyenne entraîne une baisse des accidents !". Mais il botte en touche quand on évoque les bons bilans de nos voisins allemands et anglais, qui ont pourtant des limites plus élevées que nos actuels 90 km/h.
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