Route de nuit - Panne de jus de cerveau chez Renault
Autrefois inventif et audacieux, Renault se contente de sortir des voitures plan-plan au look consensuel. Certes fort bien conçues, elles ont renoncé à faire bouger les lignes. Quel dommage !
J’ai pris de plein fouet conscience de la décrépitude avancée des têtes pensantes de Renault en voyageant à l’arrière du dernier Scenic. Le court. C’était un modèle haut de gamme, doté des tablettes aviation au dos des sièges avant.
Très épaisses, celles-ci empiétaient de façon stupide sur l’espace aux jambes des passagers arrière, de sorte que même en reculant la banquette au maximum, il demeurait tout juste digne d’une citadine. Dans un monospace. Signé Renault…
Rappelons que le Losange avait sorti une Mégane Scenic remarquablement aménagé en 1996 : sièges indépendants, inclinables et amovibles, rangements un peu partout, et notamment dans le plancher.
Depuis, le monospace n’a fait que dégrader sa fonctionnalité, en touchant le fond avec la 4 génération. Le constructeur a voulu lui donner des airs de SUV. Mais quelle idée géniale ! Ce n’est pas comme s’il y avait déjà le Kadjar pour remplir ce rôle dans la gamme…
La même dégénérescence a touché l’Espace, le pionnier européen du grand monospace. Résultat, il a disparu, comme le Scenic. Renault tente de le raviver avec un Scenic Concept, qui reprend l’idée inepte de lui donner des airs de SUV, au détriment de la fonctionnalité. Mais à quoi pense-t-on au sein de l’ex-Régie ?
Ce conformisme affolant me rend d’autant plus fou que Renault fait partie des constructeurs qui ont réellement fait avancer l’automobile. Après avoir mis la France sur 4 roues avec la 4CV, très moderne en 1946, la marque de Billancourt est passée à deux doigts d’inventer le SUV, avec la Colorale en 1950, juste avant de sortir une Frégate certes mal motorisée mais dotée d’une suspension arrière indépendante bien plus efficace que celle de Mercedes.*
Surtout, elle a sorti la géniale 4L en 1961, une voiture couteau-suisse qui a su séduire toutes les couches de la société. A suivi la remarquable R16 en 1965, dotée d’un hayon et d’une banquette modulable. Puis la R5 en 1972, dont le design avait 10 ans d’avance.
La R14 est passée à côté de la plaque, mais son langage stylistique était, lui aussi, très en avance en 1976. Il a très certainement influé sur celui de la Peugeot 205 !
On osait chez Renault, qui fut le premier généraliste européen à proposer des moteurs turbo essence dès 1980. Puis ce fut le coup, très gonflé, de l’Espace, en 1984. Formidablement bien aménagé, ce véhicule surélevé a rouvert la voie des monospaces en Europe. Son concept est plus abouti que celui du prototype de Scenic qui vient d’être révélé. En près de 40 ans, Renault a régressé sur ce point.
En 1990, la Clio redéfinissait les normes du segment B par son confort, ses qualités routières et sa finition, et deux ans plus tard, bam : l’ouragan Twingo s’abat sur le salon de Paris 1992. Rarement voiture a-t-elle été conçue avec autant d’intelligence, ni dessinée avec autant de génie. Que s’est-il passé ensuite ? Renault en a proposé des descendantes, soit moches, soit peu fonctionnelles. Bref, il a saboté une voiture géniale !
En réalité, le tournant de la bêtise a eu lieu au début des années 2000. Les Laguna II, Espace IV et Vel Satis, lancées à la hâte et notoirement peu fiables, ont réduit à néant les énormes efforts consentis depuis la R19 de 1988 pour donner à Renault une image qualitative. La Vel Satis montrait aussi l’incapacité du bureau de design à produire des autos différentes et sympas, faute d’une direction cohérente.
L’automobile entrait dans l’ère de la bêtise, sous les coups de boutoirs d’une industrie allemande notoirement conservatrice. On attendait du losange qu’il résiste : il s’est en réalité soumis à ces diktats débiles. Très, très regrettable car avant ça, grâce à un design puissant, chaque Renault qui sortait était un évènement en soi. Le duo Louis Schweitzer / Patrick Le Quément fonctionnait à merveille.
Schweitzer a tout de même signé deux coups fumants avant de céder la place à Carlos Ghosn en 2004. Le premier, c’est l’alliance avec Nissan, en 1999, qui a engendré l’un des tous premiers groupes automobiles mondiaux : Renault-Nissan.
Le second, tout aussi pertinent, date de la même époque : c’est le rachat de Dacia. Les vraies Renault sont là. Pourquoi ? Parce qu’avec un concept, certes pas nouveau mais très abouti, le constructeur roumain a mis sur le marché, dès 2004, des modèles au rôle social important, comme jadis la 4CV et la 4L. Fiables, confortables, pratiques et peu chères, elles permettent à des ménages modestes de se rendre d’un point A à un point B dans de bonnes conditions et à moindre coût. Résultat, la Sandero a été pendant plusieurs années la voiture la plus vendue auprès des particuliers, non pas en France mais en Europe !
Renault a frappé un dernier coup, relevant d’un esprit assez visionnaire : la Zoe, qui, poussée par Ghosn, anticipait l’expansion formidable de la voiture électrique. Dès 2012 ! Seulement, celle qui aurait pu révolutionner le marché, à l’image de Tesla, n’était pas assez aboutie et n’a pas su évoluer suffisamment vite, notamment côté autonomie. Et le modèle actuel n’est qu’une évolution de celui qui compte déjà dix ans.
Depuis ? Plus rien. Les Renault sont certes d’excellentes voitures, rigoureusement conçues et fabriquées, mais elles ne font plus bouger les lignes. Ni par leur concept, ni par leur design, massif, mastoc, banal et rassurant, dans le sillage de la voiture coffre-fort imposée par les Allemands voici vingt ans.
L’électrique pourrait constituer une formidable occasion de repenser l’architecture des voitures chez Renault. De proposer des idées nouvelles qui profiteront à tous. Je suis certains qu’on a du jus de cerveau chez le constructeur français. Il suffirait de le faire circuler à nouveau.
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