Route de nuit - Oui, l’invention de Rudolf Diesel était géniale!
Aujourd’hui voué aux gémonies, le moteur inventé par Diesel présentait bien des avantages qu’on a peut-être tort de mépriser aujourd’hui…
Autant Felix Wankel s’est vautré dans l’épouvante, autant Rudolf Diesel avait un réel désir de profiter à la communauté. Français de naissance (il vint au jour à Paris en 1858), ce dernier effectue de brillantes études d’ingénierie à Munich.
A l’époque, l’industrie et les rares véhicules automobiles recourent à des moteurs à vapeur, dont le rendement est très faible. Du coup, ils sont monstrueux, seule solution pour obtenir une puissance suffisante. Et très peu fiables : les explosions sont légion.
Aussi Diesel réfléchit-il à un moteur à combustion interne dans les années 1880, déposant un brevet en 1892 (qui deviendra actif en 1893). Son idée est de permettre à de petits artisans de développer leur industrie en leur offrant une source d’énergie compacte, facile à installer et à déplacer, tout en utilisant des combustibles faciles à trouver, pas forcément du gasoil.
Or, à l’époque, le raffinage du pétrole est loin d’être aussi performant qu’aujourd’hui : on en extrait presque exclusivement des huiles et très peu d’essence. Avec son principe de très haut taux de compression permettant de se passer d’allumage, le moteur de Diesel fonctionne parfaitement avec les huiles.
D’ailleurs, le brevet le présente comme un moteur à huile lourde. Et affiche – déjà – un rendement supérieur non seulement à ceux fonctionnant à la vapeur (et utilisant du charbon, très polluant) mais aussi à l’essence. Ironiquement, il faut le chauffer avec de la vapeur pour que faire démarrer le moteur de Diesel, mais rapidement, celui-ci conçoit une pompe à air pour corriger ce défaut.
A l’exposition universelle de 1900, à Paris, le moteur Diesel décroche le grand prix et est commercialisé, puis, rapidement, on le retrouve dans des centrales électriques, des usines et des bateaux, notamment des sous-marins de guerre, ce qui déplait fortement à son inventeur.
Mystérieuse disparition
Plus philanthrope que businessman, il ne profite guère du succès de son moteur, et, émotionnellement instable, a tendance à la dépression. Le fait qu’il perde beaucoup d’argent dans des investissements douteux n’arrange pas les choses ! Il révèle néanmoins, et c’est une chose dont devrait se souvenir actuellement, que son moteur fonctionne parfaitement avec de l’huile végétale.
En 1913, il est invité par la Royal Navy qui connaît ses grandes compétences mécaniques. Il embarque sur un bateau (à vapeur, eh oui….) le 30 septembre, le Dresden, reliant Anvers à l’Angleterre pour discuter avec les autorités britanniques. Malheureusement, il n’arrivera jamais à destination : il disparaît dans la nuit, et son corps est retrouvé des mois plus tard sur une plage belge. Suicide ? Meurtre ? On ne saura jamais.
Malgré sa mort, son moteur continue à évoluer. Dès 1921, Peugeot développe un prototype de voiture à moteur Diesel, la 156, qui, dans une course reliant Paris à Bordeaux, brûle 16 /100 km de mazout à 70 km/h de moyenne. Mais la France interdit alors le moteur Diesel dans les voitures particulières.
En 1924, un Français, Lucien-Eugène Inchauspé invente une pompe à injection qui en facilite considérablement l’usage, de sorte qu’on l’installe rapidement dans des camions. Puis dans des voitures qui seront commercialisées. D’abord en 1936, dans la Mercedes 260D, dont le 2,6 l développe 45 ch.
Suit l’Hanomag Rekord, tandis que Peugeot a mis au point une 402 Diesel, qu’il s’apprête à commercialiser en 1939, juste avant la guerre… Après celle-ci, Fiat présente, en 1951, une 1900 Diesel (qui n’aura pas de succès), puis Austin en 1956 le taxi FX3, avant que Peugeot ne revienne au gasoil en 1959 avec sa 403 à moteur Indenor (nom de la filiale de Peugeot qui le produit).
Initialement, les voitures Diesel intéressent surtout les professionnels, qui en apprécient la fiabilité et la frugalité, passant au-dessus de leur relative lenteur, leur niveau sonore et leur prix plus élevé. Il faut dire qu’à une époque où les moteurs à essence sont d’une fiabilité pas toujours avérée, les blocs Diesel passent le million de kilomètre !
Progressivement, les constructeurs s’intéressent à cette technologie, Opel et Citroën dans la première moitié des années 70, puis Volkswagen et à nouveau Fiat dans la deuxième moitié. La crise pétrolière favorise l’essor de ces moteurs qui, de par leur faible consommation, réduisent la facture liée à l’importation de pétrole. Même General Motors propose des voitures de tourisme diésélisées à cette époque !
Cela dit, en 1977, Mercedes, peut-être inspiré par l’ingénieur Georges Régembeau qui avait développé le sien pour l’installer dans la Citroën SM, commercialise la première voiture à moteur turbo-diesel, la 300 SD, conçue pour les USA. Peugeot suit en 1979, avec sa 604, devançant de peu l’Alfa Romeo Alfetta Turbo-Diesel. La française est la première berline Diesel vendue en Europe dotée d’une suralimentation qui autorise des performances se rapprochant de celles des voitures à essence.
VW y vient en 1982 (Golf GTD) tout comme Renault avec sa Fuego, et Fiat en 1983 (vous vous rappelez l’Argenta Turbo-D ? Non ?), pour ne citer qu’eux.
Peu à peu, grâce à un rapport performances/consommation très favorable, les voitures diesel se répandent. Fin 1985, Toyota introduit l’injection directe sur son 4x4 Land Cruiser HJ, un véhicule de tourisme, Fiat étant le premier à en doter une berline en 1988, la Croma TDid.
Avec ce type d’alimentation, le diesel réalise un grand bond en avant côté rendement, mais c’est VW qui l’exploitera le mieux commercialement avec ses productions badgées TDI. On l’a oublié aujourd’hui, mais le TDI a énormément fait pour l’image de VW, en bien. Ces trois lettres étaient synonymes de performances exceptionnelles et de consommations basses.
Néanmoins, les deux grandes avancées suivantes viendront de chez Fiat. D’abord le turbo à géométrie variable, sur la Croma TDid restylée en 1991, puis, surtout, l’injection très haute pression common-rail, lancée pour une question de marketing fin 1997 sur l’Alfa 156 (même nom que la Peugeot de 1921 !).
Dans la foulée, Peugeot et Mercedes embrayent sur cette technologie, badgée respectivement HDi et CDI, puis tous les constructeurs s’en dotent. Cette révolution a permis aux blocs diesels de progresser encore par leurs performances tout en abaissant leurs consommations. Evidemment, cela s’accompagnera d’une baisse de la fiabilité, notamment chez les constructeurs allemands… Peugeot corrige un des autres défauts du Diesel, les suies, en introduisant le filtre à particules en 2000 sur la 607.
De sorte qu’au début des années 2000, il suffisait parfois d’acheter puis simplement de revendre une voiture common-rail pour qu’elle soit rentable face à une essence de même puissance (mais moins véloce, la faute à un couple inférieur), et parfois, les deux étaient au même prix !
Il ne faut pas chercher plus loin l’extraordinaire expansion des voitures diesels, et ce, même dans les pays où le gasoil est plus cher que l’essence, comme l’Angleterre ou la Suisse ! La fiscalité les a, bien sûr, très largement favorisées en France, surtout avec l’introduction du bonus/malus CO2 en 2008, non sans pertinence car le diesel, de par son rendement supérieur, participe à réduire les émissions de CO2 face à aux blocs à essence…
Mais c’était sans compter les progrès de ces derniers, passant également à l’injection directe combinée à un turbo, et surtout l’invraisemblable affaire du Dieselgate qui éclate en 2009. Et là, tout commence à s’inverser, d’autant que de nombreuses ONG et forces écologistes saisissent l’occasion pour, une fois de plus, dénoncer la pollution spécifique au diesel, peu importe que leurs tests correspondent à la réalité ou pas.
L’irruption subventionnée de l’électrique dans la décennie 2010 enfonce le clou : le diesel, ultra-majoritaire dans les ventes (plus de 70 % en France), chute lourdement, mais sans disparaître. Très efficacement dépollué et toujours performant, il reste le type de moteur le plus adapté à qui roule beaucoup : de nombreuses berlines restent sous les 5 l/100 km en moyenne à 130 km/h sur autoroute, où elles peuvent parcourir parfois plus de 1 000 km sans ravitailler.
Seul le diesel permet ça, ce qui présente bien des avantages en termes d’émissions de CO2, donc dans la lutte contre le réchauffement climatique. Mais allez faire comprendre ça à des autorités politiques plus sensibles aux groupes braillards et revendicatifs qu’au simple (mais silencieux) pragmatisme… L’invention de Rudolf Diesel demeure pertinente près de 120 ans après son brevet, même si de nombreux constructeurs ont annoncé bientôt renoncer au moteur thermique.
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