Rien n'est jamais acquis, même quand on s'appelle Audi
Ventes en baisses, licenciements, désamour des clients : Audi fait grise mine. Car comme pour les vêtements, les marques d’automobiles répondent à des modes. Et si à une époque, Audi a largement profité de l’image dégradée de BMW et Mercedes pour s’imposer, ses deux rivaux allemands ont travaillé et progressé pour rattraper la firme aux anneaux, et la dépasser.
Ce mois de janvier n’est pas folichon du côté d’Ingolstadt. Il fait évidemment froid dans ce coin d’Allemagne, mais du côté de chez Audi, dont le siège se tient dans cette ville de Bavière enneigée, l’ambiance a viré au glacial. En cause : la mauvaise année 2018 de la marque aux anneaux. Avec une baisse globale de 3,5 %, Audi fait grise mine et encore, le constructeur ne doit cette baisse toute relative qu’au marché chinois, puisqu’en Europe, le plongeon est de 13,6 %, toujours sur un an, et en France il atteint carrément 19,2 %, le record du Vieux continent. Vue l’ampleur de la déconfiture, la direction de cette filiale du groupe Volkswagen (toutes les autres marques ont augmenté leurs ventes) a immédiatement annoncé des mesures. Au menu, 14 000 suppressions d’emploi, soit tout de même 15,5 % des effectifs de la maison.
La faute aux normes WLTP et à l’électricité
Évidemment, chez Audi, pas question de coller ces licenciements sur le dos de la mauvaise passe actuelle. Les 15 milliards de dollars économisés sur trois ans grâce aux suppressions de poste étalonnés jusqu’en 2022 ? Bien obligé : il faut faire face au basculement de la production vers l’électricité. Soit. Quant au plongeon des ventes, inutile de chercher très loin, c’est la faute aux normes WLTP mises en place l’été dernier. Bref, si Audi doit se séparer de 14 000 salariés, c’est à cause de l’Europe d’une part, et des Chinois de l’autre, qui poussent tous les constructeurs à épouser la fée électricité.
Mais d’une part les nouvelles normes étaient tout de même prévues depuis un sacré bout de temps, et d’autre part, la bascule vers les watts a été planifiée, soupesée et annoncée par le groupe Volkswagen depuis une bonne année. Et considérer que les milliards nécessaires à ce redéploiement chez Audi ont été bêtement oubliés par la direction financière du groupe, et négligés par celle de la marque aux anneaux, conduit au mieux à traiter les comptables allemands de négligents, et au pire, d’incompétents.
Des modèles vieillissants
Et si les soucis d’Audi venaient d’ailleurs ? Car ses concurrents directs et historiques, qui se heurtent pourtant aux mêmes obstacles du WLTP et aux mêmes investissements à prévoir dans l’électricité, n’ont pas subi de baisse en 2018. BMW progresse de 1,8 % et Mercedes de 0,9 %.
Certes on est loin des hausses auxquelles le premium allemand nous avait habitués depuis plus d’une décennie, mais on est tout aussi loin du gadin. Sauf que ces deux marques ont renouvelé leurs best-sellers jusqu’à plus soif ces derniers temps. Pas Audi. Sa petite A1 qui vient d’être remplacée sévissait depuis 2010. C’est presque la seule citadine premium au monde, hormis la Mini du groupe BMW et la DS3 qui a déclaré forfait. Mais comment, avec si peu de rivaux, laisser s’éloigner une clientèle capable de dépenser 30 000 euros dans un segment B ? Rien de plus simple, il suffit de laisser vieillir son modèle : un truc rédhibitoire pour des consommateurs et consommatrices qui se décident sur un coup de cœur pour une nouveauté. Dans ces domaines, l’impulsion fait le larron.
Priorité au haut de gamme
Pour autant, les retards pris dans le renouvellement de certains modèles n’ont pas empêché la marque d’Ingolstadt de commercialiser de nouvelles autos. Q7, A8, Q8, R8 : les lancements se sont bousculés au cours des dernières années. La marque a décidé de commencer à se renouveler par le haut avant de s’attaquer à ses modèles les moins chers. Une logique curieuse, au détriment des volumes, qui repose sur une vague notion d’image à préserver et à améliorer. Une logique qui peut s’entendre dans le cas d’une marque qui est en déficit de cette fameuse image, mais qui peut difficilement se comprendre dans le cas d’Audi qui, du moins jusqu’à cette année 2018, symbolisait une bonne partie de la réussite sociale pour ceux qui y accédaient, ou rêvaient d’y accéder.
Audi une marque démodée ?
Mais les retards à l’allumage des modèles à gros volumes ne sont peut-être pas les seuls motifs du désamour actuel dont souffre la marque. D’ailleurs ce problème devrait être réglé rapidement par une accélération des renouvellements de certains modèles et du restylage des autres. Le problème est peut-être plus profond et plus indicible, et il a touché d’autres constructeurs avant Audi. Car l’automobile répond à des cycles de modes, des séquences pendant lesquelles telle marque est au goût du jour. Et la séquence d’Audi s’est peut-être achevée en 2018.
Pourquoi le constructeur aux anneaux a-t-il réussi d’une manière aussi insolente depuis 2005 ? Peut-être parce qu'il a profité de la faiblesse de ces deux rivaux pendant ces années-là. D’un côté, BMW trimbalait une image un peu voyou, un peu infréquentable, légende entretenue par les fantasmes de quelques apprentis gangsters se prenant pour Jacques Mesrine au volant de sa Série 5. De quoi faire fuir une clientèle tentant de traduire sa respectabilité au travers de son investissement automobile.
A l’inverse, durant ces années-là, Mercedes offrait une image trop respectable, et même ringarde : celle d’un taxi parisien ou d’un commerçant de sous-préfecture. Une image pas vraiment raccord avec celle des cadres censés démontrer leur dynamisme de toutes les façons, y compris dans le choix de leur monture.
Et c’est au milieu de ces images dégradées qu’Audi est apparu : tout en lignes sobres et de bon goût, affirmant un parfum de modernité et de technologie un peu cachée, car pour les clients des anneaux de cette époque, pas besoin d’afficher son pouvoir d’achat au travers d’une BM bling bling ou d’une Mercedes chère mais vieux jeu. La vision des anneaux suffisait à démontrer le statut social de ses occupants : des gens aisés, modernes, mais pas frimeurs. Ce pouvoir de la discrétion a tellement bien fonctionné qu’Audi n’a pas jugé utile de se renouveler, jusque très récemment.
Mais durant ces années, Mercedes et BMW ont travaillé. Le premier en rajeunissant son style et ses clients, notamment grâce à la classe A, le second en retravaillant son image, à coups de sponsoring haut de gamme, allant du golf à la photo plasticienne en passant par de nouveaux produits plus familiaux comme le monospace Active Tourer. C’est aujourd’hui leur séquence, au détriment d’Audi. Mais les séquences ne durent qu’un temps, un temps que la marque aux anneaux peut mettre à profit pour se reconstruire une image pendant que ses éternels rivaux verront la leur se dégrader une fois encore.
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