Renault-Fiat : faut-il relancer les épousailles ?
Rupture de fiançailles à Billancourt. La belle Italienne n'a pas supporté que le Français demande le temps de la réflexion. Pas rancunier, ce dernier ne ferme pourtant pas la porte. Faut-il garder le champagne au frais ? Ou mettre la pièce montée à la poubelle de l'histoire ?
"Il est devenu évident que les conditions politiques en France n'existent pas à l'heure actuelle pour qu'un tel rapprochement se déroule avec succès." Ils sont gonflés les Italiens d'invoquer les "conditions politiques" pour justifier leur rupture. Cinq jours de réflexion et un aller-retour au Japon, c'est tout ce que demandait le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, avant de passer la bague au doigt des deux constructeurs. Un minimum sachant que Renault est depuis vingt ans, pacsé et même allié à une entreprise japonaise.
Certes, ces derniers temps celle-ci le bat froid, hésite à s'engager plus avant dans l'Alliance, et craint plus que tout la fusion souhaitée par le français. Forcément, la nipponne hésite à s'engager dans un mariage à trois qui la mettrait en minorité.
Prendre prétexte d'un délai de cinq jours - alors que l'annonce des fiançailles ne datait que de dix jours - pour rompre les négociations du mariage témoigne d'une hâte bien étrange. Et même d'un empressement suspect...
Pourquoi tant de hâte ?
Qu'avaient donc à craindre les italiens de ce délai de réflexion ? Que l'actionnaire de référence de Renault, l'Etat français, s'avise de l'iniquité du deal ? Basé sur la valorisation actuelle de Renault, en chute de 50 % depuis la destitution de Carlos Ghosn, la proposition de Fiat est de toute évidence très déséquilibrée sur le plan capitalistique : Renault vaut bien plus cher que Fiat.
Elle l'est encore plus en termes économique si l'on considère l'énorme différence de dot commerciale et technologique entre les fiancés.
Que peut apporter l'italo-américaine dans la corbeille ?
Côté européen, Fiat est un constructeur finissant, vivant depuis douze ans accroché aux mamelles de la 500 dont la providentielle résurrection et la miraculeuse rentabilité lui ont permis de s'offrir Chrysler-Jeep, menacé de ruine au débouché de la crise de 2008. Un rachat en forme de coup de poker qui n'est pas sans évoquer la cavalière tentative de mariage avec Renault.
Depuis des lustres, les budgets de recherche-développement de FCA sont sabrés au nom de la rentabilité à court terme et du résultat non pas annuel, mais trimestriel. Voiture électrique, connectée, autonome ? Connait pas !
Lancia ? L'ancienne Mercedes italienne est subclaquante avec la seule Ypsilon au catalogue. Alfa Romeo ? En voie de marginalisation à force d'échecs. Ferrari ? Tellement rentable qu'elle a été scindée du groupe FCA et cotée à part : Ferrari ne fait pas partie du deal. Magnetti Marelli ? L'équipementier qui fondait la technologie Fiat a été revendu l'automne dernier pour six milliards d'euros au fond américain KKR. Même les positions en Amérique latine ne cessent de s'éroder.
Bref, Fiat a été proprement essoré et peut se résumer à la vieillissante 500 et son dérivé SUV : en exagérant un peu, plus très loin de ce qu'était Mini avant que BMW ne mette la main dessus.
Une branche américaine qui repose sur le SUV.
Côté américain, FCA est plus attirant, ne serait-ce que par la passerelle qu'il ouvre vers le deuxième marché mondial en volume, et toujours le premier en valeur.
Mais Chrysler qui fut le plus innovant et le plus dynamique des big three américains n'est plus que l'ombre de lui même. Ses berlines et coupés ne s'exportent plus et peinent à se vendre sur leur marché national. Comme Fiat, la marque a été pressée comme un citron et délaissée au profit de Dodge-RAM et Jeep dont les 4X4, pick-up et SUV sont bien plus profitables.
Profitables pour combien de temps encore ? Comment envisager sur le long terme l'avenir de deux constructeurs dont la technologie et la réputation reposent sur des engins de deux tonnes, profilés comme des parpaings et tellement énergivores que les convertir à l'électrique ou à la pile à combustible serait un non sens technique, économique et écologique. Dodge, RAM et à fortiori Jeep pourraient-ils survivre à la fin de la mode du SUV ? Peu probable.
Au final, on voit mal au nom de quoi Renault hypothèquerait son indépendance dans une alliance dont le contrôle reviendrait de fait à Exor, le trust de la famille Agnelli, qui pèse deux fois plus lourd dans l'actionnariat de FCA que l'Etat français dans celui de Renault. Pour faire simple, Renault peut vivre sans Fiat alors que l'inverse n'est pas sûr. Dans ces conditions, comment parler de mariage entre égaux ?
La seule chose que le Losange peut envier au turinois, ce sont ses... moteurs.
Vivement des moteurs Fiat !
Car en attendant d'autres développements, ce projet de mariage, sa rupture et le feuilleton à venir de l'éventuel rabibochage tombent à point nommé pour occulter l'épidémie de casse du moteur 1,2 l TCE et la mise en demeure de l'UFC Que Choisir de procéder à un rappel.
Un pur scandale dans la grande tradition Renault à base de petites économies de conception et de mise au point, avec un SAV qui minore les faits ou rejette la faute sur le propriétaire, des clients qui épongent des factures de 10 000 € et des communicants qui promettent que tout va s'arranger.
Vu à travers le prisme de cette énième farce mécanique, on peut voir les choses tout autrement et se demander ce qui peut bien motiver les italiens à vouloir épouser un constructeur dont la dernière voiture réellement fiable remonte à 1988 avec la R19.
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