Quand tout va mal, Magic Elon sort de nouvelles Tesla de sa malle
La marque accumule les pertes, les problèmes sociaux et les retards de livraison. Ce qui n’empêche pas son patron de présenter deux nouveaux modèles qui renvoient tout ce qui roule à la préhistoire automobile. Elon Musk est-il le plus grand illusionniste de l’industrie mondiale ?
Comment faire quand on est harcelé de toutes parts ? Lorsqu’on est accusé par un syndicat de faire obstruction à son implantation ? Si l’on est vilipendé par des clients qui ont versé un acompte et annulent la commande de leur Model 3 qui a pris du retard ? Alors qu’on est encerclé par des concurrents qui se lancent à fond dans l’électrique ? Au moment ou l’on est questionné par des actionnaires qui s’interrogent sur son avenir ? Et que, in fine, on a enregistré les plus grosses pertes de son histoire ? Lorsque l’on est ainsi assailli, comme Elon Musk, on sort le grand jeu, la grosse surprise, le tour de magie qui renvoie David Copperfield à un job de magasinier dans une boutique de farces et attrapes. C’est ce que Magic Elon a fait dans la nuit de jeudi à vendredi dans le hangar d’un aéroport du côté de Los Angeles.
But initial du show retransmis en direct sur le Web : dévoiler Semi, son camion électrique déjà entraperçu de-ci de-là. Un camion façon Tesla, avec une fiche technique que Marius Berliet n’aurait jamais osé imaginer même sous l’emprise de puissants stupéfiants. Semi, c’est 800 km d’autonomie (en roulant sur l’autoroute et à pleine charge, a précisé le boss). C’est aussi un 0/100 km/h en 5 secondes à vide. Et le tout à un prix inférieur de 20 % à celui d’un camion classique. Outre le fait que d’autres avant lui, de Renault Trucks à Daimler ont travaillé sur le sujet, outre le fait aussi que les accélérations de ce camion – du niveau d’une Alfa Romeo Giulia de 280ch — ne constituent pas forcément un argument convaincant pour pousser Norbert Dentressangle à lâcher le mazout, cette soirée ne s’est pas arrêtée aux vertus de ce futur gros-porteur. Car le sieur Musk sait jouer de ses effets.
Ceci n’est pas un roadster, c’est un avion
Quelques minutes seulement après la révélation du camion joliment profilé, le patron de Palo Alto a fait apparaître le roadster. Lui aussi avait fuité, mais était loin d’être attendu aussi vite. Sauf que chez Tesla il suffit de demander : et hop, m’sieurs dames, voilà un Ovni. Et pas un engin bricolé dans un petit garage comme ceux que nous promettent Audi ou Porsche, des marques d’un tout petit groupe (Volkswagen) qui n’est, après tout, que le premier, ou le deuxième suivant les saisons, constructeur mondial. Leurs Porsche Mission-e et Audi e-tron Sportback promettent 600 ch et un 0 à 100 km/h en moins de 3.5 secondes d’ici 2 ans ? Le groupe Volkswagen investit 70 milliards d’euros d’ici 5 ans, dont la moitié dans les voitures électriques et autonomes ? Des petits joueurs car le nouveau roadster Tesla leur met un vent. Suffit d’ausculter la fiche technique. 200 kWh de batteries, 2 secondes pour passer de 0 à 100 km/h, un couple de 10 000 Nm, une vitesse de pointe de 450 km/h. N’en jetez plus. Si ? Une autonomie de 1 000 km et un prix de 200 000 dollars.
Vous en voulez encore ? Elon Musk prévient, sur Twitter qu’il ne s’agit là que du modèle de base, et qu’un pack performance devrait débouler vite fait. Il laisse même entendre que ce roadster évolué pourrait voler. On relit deux fois, on reprend ses esprits et on sourit. En attendant le flying roadster, on peut réserver l’engin terrestre et d’entrée de gamme pas plus tard que tout de suite, moyennant, tout de même, 50 000 dollars d’acompte.
À la suite d’une telle annonce dont l’avancée technologique laisse pantois, soit on s’incline, soit on s’échine à démêler le plausible de l’improbable. En commençant par les batteries. Multiplier par deux les 100 kWh de l’actuelle Model S, qui pèsent déjà près de 600 kg, équivaut, logiquement, à en multiplier le poids par deux. On ose à peine imaginer le poids final de ce roadster. À moins que le rusé Elon Musk n’ait réussi à développer un nouveau type de batterie d’ici trois ans, date prévue des livraisons de ce nouveau modèle. Allégées ou non, il faudra bien truffer d’électricité ces énormes armoires à watts. Un problème qui se pose au roadster comme au camion Semi.
La future botte secrète de Tesla pour gaver ses énormes batteries s’appelle Megacharger. Au menu de ces bornes : un courant de 350 kW, alors que les Superchargers actuels ne délivrent pas plus de 120 kW au maximum. Un dispositif que la marque entend bien installer partout sur la planète. À quel prix pour les clients et pour Tesla ? Pas si cher que cela, puisque Musk l’affirme : ses megachargers seront reliés à des panneaux solaires, tout simplement. Ce qui, toujours selon ses dires, reviendrait pour le routier comme pour l’amateur de roadster de folie à un KWh qui ne dépasserait pas 5 centimes d’euros. À ce prix, on aurait bien tort de se priver.
Ceci n’est pas une logique industrielle, mais un jackpot boursier
Tous ces beaux projets devraient donc voir le jour en 2020. Un beau camion, un beau roadster et de bien beaux chargeurs solaires. Sauf que l’on peut se poser quelques questions. Même dans l’éventualité ou ces deux modèles et leurs stations-service seraient techniquement réalisables avec les spécifications techniques livrées la semaine passée, on peut se demander avec quels moyens Tesla les mettra en œuvre. La Model 3 accumule les retards, quant à la Model S, elle date de 2012 et le temps sera bientôt venu de renouveler ce qui reste aujourd’hui le best-seller de la marque.
Au lieu de combler son retard et de proposer une remplaçante de son modèle phare, Elon Musk prend comme à son habitude le contre-pied de toute logique industrielle. Ses non-profits depuis 14 ans (hormis durant deux petits trimestres) que Tesla existe, ont prouvé à son comptable qu’il faisait fausse route. Mais son impressionnante valorisation en bourse pourrait laisser penser l’inverse. D’ailleurs au lendemain de son show, la cote de Tesla a grimpé de 4 %. À croire que son trader n’est autre que le philosophe Henri Bergson pour qui « l’idée de l’avenir est plus féconde que l’avenir lui-même ». En espérant pour Elon Musk que Wall Street continue longtemps de verser dans la philo.
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